Les ONG cherchent un million de signatures pour interdire les pesticides

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Obtenir l’interdiction des pesticides de synthèse dans l’Union européenne d’ici quinze ans est-il possible ? C’est l’objectif que se sont fixé 90 organisations européennes, qui ont lancé une initiative citoyenne européenne, pour récolter un million de signatures à déposer sur le bureau de la Commission européenne.
L’idée imprègne désormais l’air du temps presque autant que les produits chimiques l’air et l’eau : l’interdiction de tous les pesticides de synthèse. Demandée depuis plus d’un an en France par l’Appel des coquelicots, elle est maintenant promue à l’échelle européenne. Plus de quatre-vingt-dix organisations de dix-sept pays de l’Union européenne (UE) ont lancé lundi 25 novembre une Initiative citoyenne européenne (ICE). Intitulée « Sauvons les abeilles et les agriculteurs », elle demande à l’UE d’en finir avec les pesticides de synthèse d’ici quinze ans.
Une initiative citoyenne européenne est une procédure officielle permettant à un million de citoyens de l’UE, venant d’au moins sept États membres, de demander aux institutions européennes de se saisir d’un sujet. Les porteurs de cette ICE ont dix mois, jusqu’au 30 septembre 2020, pour recueillir les signatures. Le nombre de signatures par pays est proportionnel au nombre d’habitants, il faudra donc en France qu’au moins 55.500 personnes signent cette ICE.
L’association coordinatrice dans l’hexagone est Générations futures, rejointe par le réseau France nature environnement (FNE), l’Union nationale des apiculteurs français (Unaf), Justice pesticides, Greenpeace et les Amis de la Terre. « L’Europe est une échelle importante de la réglementation des pesticides, indique Alain Chabrolle, vice-président de FNE. Et cela permet d’avoir un signal fort alors que la nouvelle Politique agricole commune [PAC] est en discussion. » La PAC, de par les subventions qu’elle octroie aux agriculteurs, pourrait permettre d’accompagner une reconversion de l’agriculture européenne vers l’agroécologie, espèrent les organisations écolos.
Une transition urgente, rappelle Alain Chabrolle, alors que « le récent rapport sur l’état de l’environnement en France a indiqué que 65 % des ressources d’eau profonde ne présentent plus des critères de potabilisation suffisants à cause de la présence de pesticides. » L’ICE souhaite « sauver les abeilles », symbole de la biodiversité. L’Unaf rappelle la récente étude publiée dans la revue Nature fin octobre, qui a mesuré le déclin des arthropodes (insectes, araignées et crustacés) dans trois régions allemandes, et a montré que leur biomasse avait diminué de 67 % dans les zones de prairie et de 40 % dans les forêts. Des résultats qui « suggèrent » que ce déclin majeur est lié aux pratiques agricoles, indiquaient les auteurs.
Par ailleurs, l’opinion publique est mûre pour une telle initiative, estiment ses promoteurs. « En France, on en est à plus d’une centaine d’arrêtés anti-pesticides pris dans des communes, se félicite Arnaud Apoteker, de Justice Pesticides. L’Appel des coquelicots a rassemblé énormément de signataires [979.000 à ce jour] et en Bavière, une pétition pour ‘sauver les abeilles’ a obtenu plus de 1,7 millions de signatures. » François Veillerette, directeur de Générations futures mais aussi président de l’ONG européenne Pesticide Action Network, reconnaît que la France « est l’un des pays les plus mobilisés sur le sujet des pesticides. Les collègues en Allemagne nous racontent qu’ils ont du mal à obtenir des articles dans la presse. En Pologne le sujet est moins majeur. Mais il a beaucoup progressé en Europe centrale et de l’Est ces dernières années, les ONG s’en emparent. L’initiative a d’ailleurs été lancée par des Autrichiens et des Allemands. »
Impacter les réglementations européennes

La procédure de l’ICE est plus compliquée que pour une simple pétition en ligne, et demande un justificatif d’identité. Mais en 2017, une initiative citoyenne européenne, qui demandait l’interdiction du glyphosate et une meilleure évaluation des pesticides, avait réussi à réunir le nombre de signatures requis. Quand le nombre de signatures requis est atteint, les porteurs de l’ICE sont reçus par la Commission européenne, qui n’a aucune obligation mais est invitée à s’emparer du sujet, voire à le traduire dans la législation. « C’est l’une des raisons pour lesquelles le glyphosate a été ré-autorisé pour seulement 5 ans plutôt que 15 ans », estime Arnaud Apoteker. « Cette ICE a aussi permis d’obtenir la transparence sur les études utilisées dans les dossiers d’homologation des pesticides », ajoute François Veillerette.
Cette nouvelle ICE demande, elle, l’interdiction des pesticides de synthèse en deux étapes. La première serait une première réduction de 80 % d’ici 2030, en commençant par les produits les plus dangereux. Puis une deuxième étape en 2035 marquerait la fin des pesticides de synthèse sur le territoire de l’UE. Elle formule également deux autres demandes : « restaurer les écosystèmes naturels dans les zones agricoles », et « réformer l’agriculture en accordant la priorité à une agriculture diversifiée et durable à petite échelle » en accompagnant les agriculteurs dans cette transition. « Une suppression des pesticides de synthèse d’ici 2035 implique un rythme de conversion à l’agriculture bio de 6 % des surfaces agricoles par an, a calculé François Veillerette. En France, nous n’en sommes qu’à 1 % par an. »
Voulant se démarquer des accusations « d’agribashing », les porteurs de l’ICE entendent promouvoir « une vision positive de l’agriculture, vue comme un moyen de rétablir la biodiversité », indique le directeur de Générations futures. Ils rappellent que les agriculteurs sont les premiers exposés aux conséquences des pesticides sur la santé, mais aussi que ces produits entretiennent un système agricole qui fait « qu’en Europe des milliers d’agriculteurs sont contraints de quitter leur profession tous les ans », insiste Arnaud Apoteker.
Les organisations commencent désormais la récolte de signatures, en ligne et via des formulaires papier. Plus de 15.000 personnes auraient déjà adhéré, d’après le compteur en ligne. « On n’est pas certains d’obtenir 100 % de ce que l’on demande, reconnaît François Veillerette. D’autant qu’on ne connaît pas encore la position de la nouvelle commission européenne sur les questions de santé et environnement. Mais cela permet d’intervenir dans le débat public européen à un moment clé. »