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Énergie

Les fuites d’hydrogène réchauffent le climat

Inauguration de l'usine de production d'hydrogène « vert » au Shell Energy and Chemicals Park Rheinland en Allemagne, le 2 juillet 2021. L'usine Refhyne doit produire du carburant durable pour les avions

L’hydrogène perturbe les gaz à effet de serre. Une étude révèle qu’émettre 1 tonne d’hydrogène dans l’atmosphère revient à y rejeter 13 tonnes d’équivalent CO₂.

Non, l’hydrogène n’est pas neutre pour le climat. Le potentiel de réchauffement global de l’hydrogène atteint la valeur 12,8 (± 5,2) sur 100 ans, d’après une nouvelle étude parue dans la revue scientifique Communications Earth & Environment le 26 novembre. Dit autrement, 1 tonne d’hydrogène rejetée dans l’atmosphère équivaut à relâcher près de 13 tonnes de dioxyde de carbone. Soit des conséquences climatiques deux fois plus élevées que les premières estimations, qui remontent au début des années 2000.

Une mauvaise nouvelle pour les industriels et les gouvernements que la petite molécule d’hydrogène fait rêver. Aujourd’hui, plusieurs secteurs de l’industrie lourde et des transports — routier, ferroviaire, maritime et même de l’aviation — parient sur la disponibilité de ce carburant, qui ne rejette pas de CO2 lorsqu’il est consommé, pour atteindre leurs objectifs de réduction des émissions de carbone.

D’autant plus que, pour l’heure, la quasi-totalité de l’hydrogène consommé dans le monde est fabriquée à partir de ressources fossiles, et en particulier via le procédé très polluant de « vaporeformage de méthane », qui requiert du gaz naturel. Pour que l’hydrogène présente un intérêt en matière de transition énergétique, le premier défi, titanesque, consiste donc à déployer en un temps record une nouvelle filière industrielle hydrogène dont la production serait bas carbone. Le président Emmanuel Macron promet même de « faire de la France le leader mondial de l’hydrogène “vert” », l’hydrogène produit par le biais d’électricité renouvelable.

Pour déployer une économie fondée sur l’hydrogène « vert », il est notamment prévu d’implanter d’immenses fermes solaires et éoliennes dédiées à la production d’hydrogène « vert ». Ici, un parc photovoltaïque dans les Alpes du Sud. © Vincent Verzat/Reporterre

Dans les faits, ce déploiement industriel express nécessite la mise en place de nombreuses infrastructures pour produire, transporter, stocker et utiliser ce vecteur d’énergie. Or, comme pour tout gaz industriel, une petite partie de l’hydrogène produit s’échappera des différents équipements qui composent la chaîne de valeur. « D’autant plus que l’hydrogène est une petite molécule, qui se diffuse facilement, dit Christophe Coutanceau, professeur à l’université de Poitiers et membre de la Fédération hydrogène du Centre national de la recherche scientifique (CNRS). D’où l’intérêt de cette étude, sérieuse, qui nous rappelle qu’il faut limiter le plus possible les fuites de l’hydrogène, de la production à l’utilisation de ce vecteur d’énergie. »

Perturbation des gaz à effet de serre

Les autrices et auteurs de l’étude sont passés par un modèle de chimie atmosphérique récent. « C’est ce qui explique la différence d’un facteur deux avec les premiers calculs, qui se fondent sur un modèle plus ancien », précise le climatologue Didier Hauglustaine. Car l’hydrogène, dont la durée de vie est d’à peine deux ans et demi dans l’atmosphère, n’est pas un gaz à effet de serre comme les autres : « Il s’agit d’un gaz à effet de serre indirect : il perturbe la concentration et la durée de vie des autres gaz à effet de serre, il faut donc l’estimer via un modèle de chimie atmosphérique », résume le climatologue.

En particulier, l’hydrogène, même produit grâce à des énergies renouvelables, contribue au réchauffement climatique en modifiant la concentration de méthane (CH4) qui, lui, provoque directement un puissant effet de serre. La molécule de dihydrogène s’oxyde en effet dans l’atmosphère en réagissant avec le radical hydroxyle (OH). Par conséquent, il reste un peu moins de OH pour détruire les molécules de méthane. « C’est le principal mécanisme qui explique le pouvoir réchauffant de l’hydrogène », explique Didier Hauglustaine. L’oxydation de l’hydrogène réagit aussi avec l’acide atmosphérique, ce qui contribue à produire de l’ozone troposphérique, un autre gaz à effet de serre. Enfin, le méthane, dont la durée de vie dans l’atmosphère augmente avec la présence d’hydrogène, génère lui-même de l’ozone et de la vapeur d’eau dans la stratosphère, des gaz aux propriétés radiatives.

L’hydrogène « vert » sera disponible en quantité limitée, et doit donc être réservé aux secteurs difficiles à décarboner, comme les industries lourdes (ici une ferronnerie au Luxembourg). Wikimedia Commons/CC BY-SA 3.0/VT98Fan

À partir de ces valeurs fraîchement calculées, les scientifiques ont évalué le bénéfice climatique associé au déploiement de la filière hydrogène en se fondant sur des scénarios officiels, développés par le Conseil de l’hydrogène — le lobby mondial du secteur —, l’Agence internationale de l’énergie et l’Union européenne. Résultat : lorsque les fuites sont comprises entre 1 et 3 % de l’hydrogène produit, transporté et utilisé, le recours à l’hydrogène « vert », c’est-à-dire produit par le biais d’électricité renouvelable, permet d’éviter 90 à 99 % des émissions de CO2 dans une filière donnée par rapport à l’utilisation d’énergies fossiles.

En revanche, l’intérêt climatique de l’hydrogène « bleu », produit par le procédé très polluant de vaporeformage de méthane (la production d’hydrogène à partir de gaz naturel qui se pratique actuellement) associé à une usine de captage et de séquestration de carbone, est discutable. Dans le scénario où 60 % de l’hydrogène utilisé est « bleu » et le gros tiers restant est produit à partir d’électricité renouvelable, la quantité d’émissions de CO2 évitée par la filière considérée atteint seulement 3 à 61 % par rapport à l’utilisation de ressources fossiles, toujours pour un taux de fuite d’hydrogène compris entre 1 et 3 %. En cause : les fuites… de méthane, inhérentes à la production d’hydrogène par vaporeformage de méthane.

« Plus la part d’hydrogène bleu dans le mix énergétique grimpe, moins le bénéfice climatique est important. Nous avons intérêt à tendre le plus possible vers une économie d’hydrogène produit à partir d’énergies renouvelables », conclut Didier Hauglustaine.

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