Les tromperies d’Air France sur ses vols « écolos »

Un Airbus A319-111 d'Air France. - Wikimedia Commons/CC BY 2.0/Magic Aviation
Un Airbus A319-111 d'Air France. - Wikimedia Commons/CC BY 2.0/Magic Aviation
Durée de lecture : 7 minutes
TransportsMoyennant finances, Air France propose désormais à ses passagers une option « Environnement », comme de planter des arbres. Un greenwashing mensonger, dénoncent les signataires de cette tribune, à l’origine d’une pétition.
Frédéric Berthelot, ingénieur déserteur en évolution professionnelle, membre de l’association les Ateliers Icare ; Charlène Fleury, militante climat ; Yoann Lafficher, ingénieur aéronautique, membre de l’association les Ateliers Icare ; Christophe Laratte, pilote de ligne, militant Europe Écologie-Les Verts (EELV), représentant syndical ; Romain Morizot, ingénieur aéronautique, membre de l’association les Ateliers Icare (suite du collectif Icare, membre du PAD).
Aujourd’hui, les avancées techniques et technologiques, en matière notamment de carburants alternatifs ou d’écopilotage, sont malheureusement loin d’être suffisantes pour permettre une réduction durable des émissions de gaz à effet de serre (GES) de l’aviation. D’où notre surprise quand nous avons découvert qu’Air France proposait à ses passagers de supprimer les émissions de GES des vols… via une simple option « Environnement ».
En effet, une fois le billet choisi, Air France invite son client, moyennant finances, à annuler ou à diminuer fortement les conséquences négatives de son vol :
- en plantant « assez d’arbres » pour absorber autant de CO2 que son vol en émet (4 % supplémentaires du prix du billet) ;
- en associant reforestation et une part faible de développement de « carburants d’aviation durable » — SAF en anglais, nous préférons l’expression de « carburants alternatifs » — (entre 5 et 7 % supplémentaires du prix du billet) ;
- ou en contribuant au développement de « carburants d’aviation durable » (à hauteur de 80 % supplémentaires du prix du billet). Une option accessible aux grands consommateurs d’avions, mais très chère pour le commun des mortels, car la production de SAF est très coûteuse, entre 3 et 7 fois plus que le kérosène classique selon qu’il s’agit de carburants biosourcés ou de synthèse.
À chaque proposition correspond une infographie avec, d’une part, les émissions de CO2 induites par le vol selon Air France et, de l’autre, « le CO2 absorbé avec la reforestation » et « le CO2 en moins avec les SAF ». C’est très séduisant, car cela nous fait croire que l’on peut prendre l’avion sans émettre de CO2 en payant une simple option, or, c’est totalement faux.

L’option qui cache la forêt (de gaz à effet de serre)
L’option « Environnement » d’Air France induit en erreur les voyageurs pour plusieurs raisons.
- 1. Dans le cas de l’option reforestation, la compensation est présentée comme une absorption nette des émissions de CO2 du vol. C’est inexact car cette dernière dépend de nombreux facteurs, comme le choix des projets de reforestation, le suivi de ces projets et leur durabilité, qui ne sont pas indiqués dans l’application.
De plus, le coût bas de l’opération (moins de 4 % du prix du voyage) laisse penser que la compensation est quelque chose de peu onéreux, de simple et d’efficace alors que c’est tout le contraire, les scientifiques recommandent même de ne l’utiliser qu’en dernier recours, pour des émissions que l’on n’aurait pas réussi à réduire, tels deux experts du Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (Giec), en juillet 2020, à Air France.
Cette pratique relève de ce que la communauté all4trees appelle le « #treewashing », qui fait de « l’arbre une caution verte à prix cassé, pour des entreprises qui refusent de s’engager face à l’urgence climatique ». Son grand dommage est aussi de faire oublier que certains vols de confort peuvent et doivent être évités.
- 2. Air France propose de contribuer au développement des carburants d’aviation alternatifs, SAF comme elle l’écrit. C’est une intention a priori louable, mais très discutable puisque ces carburants sont aujourd’hui très critiqués du fait de leur contribution à la déforestation. En outre, même si ces carburants alternatifs étaient disponibles, ils ne pourraient être utilisés qu’à 50 % de la capacité des réservoirs des avions, car les moteurs ne sont pas encore certifiés pour un taux supérieur.
Par ailleurs, la compagnie vous présente l’option SAF comme une réduction nette (de l’ordre de 100 %) des émissions du vol — tant de kilos de CO2 en moins grâce aux SAF —, ce qui là aussi est faux : contribuer au développement futur des énergies biosourcées ou de synthèse ne peut permettre de réduire les émissions de gaz à effet de serre dues à un vol réalisé aujourd’hui.
Actuellement, le mix énergétique étant de 1 % de SAF et 99 % de kérosène classique, il permet de réduire de 0,4 % au maximum l’impact de votre vol sur le climat. Nous sommes donc bien loin des 100 %…
« L’avion pollue, et le seul levier efficace pour réduire son impact est d’en limiter l’usage »
- 3. Enfin, l’option « Environnement » fait croire aux passagers non avertis qu’un vol émet uniquement du CO2. C’est faux, il émet aussi des oxydes d’azotes et des traînées de condensation, qui ont également un effet réchauffant, et Air France en est bien consciente. De surcroît, au stade des recherches actuelles, les effets non-CO2 sont loin d’être négligeables : ils sont même au moins équivalents aux effets CO2 sur le réchauffement de la planète. C’est pourquoi, s’agissant de l’aviation, il est nécessaire de parler de « forçage radiatif global » (réchauffement induit par l’activité) plutôt que de simples émissions de CO2. En effet, si l’aviation est responsable de 2,5 à 3 % des émissions de CO2 mondiales, elle l’est à hauteur de 5 à 6 % du réchauffement de la planète.
Footballeur ou supporter, tous dans le même avion
En conséquence, nous demandons à la direction d’Air France de bien vouloir revoir son discours et d’être honnête avec ses passagers, car oui, l’avion pollue, et le seul levier efficace aujourd’hui pour réduire son impact est d’en limiter l’usage. Nous avons d’ailleurs été heureux d’entendre, le 19 septembre, que le PDG d’Aéroports de Paris, Augustin de Romanet, était d’accord avec nous sur ce point : il faut moins prendre l’avion tant que l’aviation n’est pas davantage décarbonée. Selon lui, « une “période de transition” d’une durée de vingt à trente ans [va même] être nécessaire avant d’avoir des avions propulsés à “l’électricité verte” ».
Que l’on soit footballeur ou supporter, PDG ou employé, retraité ou étudiant, on n’a pas le même maillot, mais on a la même planète ! Alors, avec nous, signez la pétition initiée par des salariés du secteur pour obtenir d’Air France un discours honnête sur l’impact climatique de l’aviation ! C’est ici.
Notre porte reste bien entendu ouverte à la direction de la compagnie si elle souhaite travailler avec nous sur ces options « Environnement » et les modalités de leur diffusion avant que nous saisissions la justice, comme d’autres ont déjà saisi avec succès les jurys de déontologie publicitaire, pour dénoncer le greenwashing des compagnies Easyjet, Austrian Airlines.