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« Personne n’est venu nous sauver » : en Grèce, les feux attisent la colère contre l’État

Les incendies qui se multiplient en Grèce ont forcé l’évacuation de milliers d’habitants et de touristes. La dévastation totale de nombreux endroits nourrit une grande colère contre le manque de préparation des autorités.

Mandra, Loutraki et Rhodes (Grèce), reportage

« C’est une catastrophe, nous avons tout perdu. La maison de mon père et la mienne », dit, ému, John, un habitant de Mandra, une ville à moins de trente kilomètres d’Athènes, qui a été la proie des flammes dans les derniers jours.

Alors qu’il revient sur place pour tenter de retrouver des objets personnels dans les cendres, il ne peut retenir sa colère : « Personne n’est venu ici nous sauver, ni des pompiers ni des avions, est-ce normal ? »

« Nous étions seuls, livrés à nous-mêmes, pendant qu’ils allaient secourir des gens dans des zones plus riches », déplore l’homme en mimant comment il a tenté de repousser les flammes avec des voisins. Sans assurance habitation, non obligatoire en Grèce, il a tout perdu.

À Mandra, de nombreux habitants ont perdu leur maison. © Romain Chauvet / Reporterre

Dans ce quartier plutôt modeste, tout le monde a une histoire à raconter sur ces heures de cauchemar. Certains ont tenté de repousser les flammes avec les moyens du bord, comme des tuyaux d’arrosage ou des bassines en plastique remplies d’eau, alors que d’autres se sont résignés à dormir sur le toit de leur maison ravagée par les flammes.

« Ces gens ont été abandonnés »

« Ces gens ont été abandonnés, ils étaient seuls, ce n’est pas normal. Ils [le gouvernement] se foutent du bien-être des gens », déplore Sotiria, qui ne cesse depuis l’incendie de faire des allers-retours pour apporter quelques bouteilles d’eau et des denrées aux sinistrés.

Les flammes ont dévasté ces quartiers résidentiels modestes. © Romain Chauvet / Reporterre

Elle imagine parfaitement ce qu’ils vivent, alors qu’elle a subi les terribles inondations meurtrières dans la ville il y a quelques années. Deux catastrophes dont Sotiria fait la même lecture : « Il n’y a pas assez de prévention pour toute la Grèce. Ils préfèrent investir dans des avions militaires que dans les vraies choses. La prévention, ça ne leur rapporte rien, alors ça ne les intéresse pas ».

La Grèce est le pays de l’UE qui consacre le plus grand pourcentage de PIB à la défense, 3,7 % en 2022, contre 1,9 % pour la France, selon l’Institut international de recherche sur la paix de Stockholm (Sipri). L’Otan — dont fait partie la Grèce — recommande de consacrer l’équivalent de 2 % du PIB national annuel aux dépenses militaires.

La faune et la flore, parfois endémique de ces îles et menacée avant même ces feux, a aussi été victime des incendies. © Romain Chauvet / Reporterre

À plus de 60 kilomètres de là, dans la station balnéaire de Loutraki, près du canal de Corinthe, un important feu a aussi fait rage. Stathis n’en revient toujours pas d’avoir survécu aux flammes. « Je leur demande depuis des années de mettre en place une route d’évacuation pour que l’on puisse partir en cas d’urgence, mais rien, ils nous ignorent complètement », dit l’homme qui habite isolé au fond d’un cul-de-sac.

Pare-feu

La semaine dernière, alors qu’il était en train de dormir, le feu est arrivé aux portes de sa maison. Alerté par un voisin, il a eu juste le temps d’évacuer avec sa femme. Mais ce qui l’a sauvé, c’est sans doute un pare-feu autour de sa maison. « Il y a quelques semaines j’ai nettoyé les terrains tout autour de ma maison et sur des terrains avoisinants. Personne ne s’en occupe. Je pense que c’est ce qui nous a sauvé. »

À Loutraki, Stathis dit avoir demandé en vain aux autorités de mettre en place une route d’évacuation. © Romain Chauvet / Reporterre

Les critiques contre les autorités fusent de partout, particulièrement depuis que des vidéos montrant des milliers de touristes évacuant dans le chaos dans le sud-est de Rhodes ont fait le tour du monde. Tout le monde s’était réfugié sur les plages avant d’être évacué, parfois par la mer.

« Il y avait une désorganisation totale, je pense que les avis d’évacuation sont arrivés trop tard, on voyait déjà les flammes à côté de nous », relate une touriste française, qui, après avoir passé deux jours à dormir par terre à l’aéroport de Rhodes, a enfin pu rentrer chez elle. « Nous avons été abandonnés. C’était ma première fois en Grèce et sûrement ma dernière. »

Dans la fuite, de nombreux bagages ont été abandonnés sur les plages. © Romain Chauvet / Reporterre

Le pays qui vit principalement du tourisme redoute maintenant les contrecoups de ces événements, alors que la saison estivale bat son plein. Le feu, qui est toujours hors de contrôle à Rhodes et qui continue de progresser, a déjà entraîné de nombreuses annulations de touristes inquiets.

Des évacuations par milliers

Même scénario du côté de Corfou, une autre île extrêmement prisée des touristes, où un important incendie a déjà forcé l’évacuation de 2 500 personnes. Le Premier ministre grec, Kyriakos Mitsotakis, a déclaré lundi que les prochains jours seraient difficiles, en raison d’une nouvelle vague de chaleur, ajoutant que la Grèce est « en guerre » contre les incendies.

Les incendies, toujours en cours, sont encore loin d’être tous maîtrisés. © Romain Chauvet / Reporterre

Pendant ce temps dans le sud-est de Rhodes, certains locaux reviennent constater l’ampleur des dégâts dans un décor d’apocalypse. « J’ai vu tellement de panique et de gens pleurer, c’était terrible. De revenir ici et de voir tout vide ça me déchire le cœur », explique encore ému Filomonas sur une plage où des centaines de bagages ont été abandonnés dans la précipitation.

Avec une chaleur toujours étouffante, la fumée continue d’émaner de ce qui a brûlé alors qu’on peut apercevoir non loin de là un immense panache de fumée dans le ciel, signe que le feu brûle toujours. Ici, comme ailleurs dans le pays, on espère que les autorités tireront des leçons de ces événements, même si beaucoup sont sceptiques.




Notre reportage en images :


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