Tribune — Grands projets inutiles
Révolte dans les Hautes-Alpes contre un projet de ligne à haute tension

Ce vendredi 13 mai, alors que le ministre de l’Aménagement du territoire visite Briançon (Hautes-Alpes), les collectifs de défense de l’environnement se mobilisent contre le projet de ligne à très haute tension qui menace les paysages et la biodiversité de plusieurs sites classés.
Claire Fougerol est randonneuse et proche des associations Avenir Haute Durance et no-tht05.
La vallée de la Haute-Durance (Hautes-Alpes) va-t-elle devenir le pays des 300 pylônes ? Depuis 2009, le Réseau de transport d’électricité (RTE) y réalise des travaux de rénovation autour de deux lignes aériennes très haute tension (THT) à 225 000 volts.
Le tracé débute de Gap et du barrage du lac de Serre-Ponçon et s’étend sur 80 km jusqu’à L’Argentière, en bordure du Parc national des Écrins. Il est découpé en plusieurs tronçons numérotés P1 à P6, en majeure partie aériens et connectés entre eux par des postes de transformation. Les travaux ont déjà commencé : réalisation de pistes d’accès et de zones d’atterrissage, déboisement et coupes à blanc de tranchées de 50 m de large sous l’emplacement de la futur ligne et fondations. Les 345 pylônes de 42 m de haut seront ensuite héliportés, assemblés et levés avant que les câbles ne soient déroulés. Ce programme doit s’étendre jusqu’en 2020. Le résultat de l’enquête publique de juillet 2013 était pourtant très clair : 98,2 % d’avis défavorables, tous argumentés. Les oppositions au projet ne manquent pas.
Sur le plan de sa nécessité d’abord : certes, le réseau de la Haute-Durance est à rénover. Mais la demande annuelle en électricité transportée des 35 000 habitant(e)s est en diminution, et la vallée est porteuse de projets écologiques novateurs. Notre département est d’ailleurs en passe d’être un territoire à énergie positive, c’est-à-dire autonome sur le plan énergétique.
De surcroît, l’impact sur la biodiversité est alarmant. Le département des Hautes-Alpes est l’un des plus sauvages de France et abrite de nombreuses zones certifiées Natura 2000. Ces dernières accueillent des espèces végétales et animales - aigle royal, hibou grand-duc, papillon Alexanor... - rarissimes voire endémiques. Ce projet, en impactant la beauté des paysages et des sites naturels, nuirait au tourisme qui représente 80 % de notre économie !
Enfin, les lignes seraient implantées à moins de 300 m des habitations et des alpages, ce qui pose un problème de santé publique avec des risques de maladies telles qu’états dépressifs, insomnies, nausées, vertiges, leucémies chez l’enfant et maladies neurodégénératives.
Le projet avance en contournant la démocratie
Le projet de RTE avance en contournant la démocratie locale. Plus de 60 élu(e)s demandent l’arrêt des travaux. Une pétition lancée récemment a reçu 3 000 signatures de résident(e)s hauts-alpins. Ce nouveau Grand Projet Inutile et Imposé, où l’État engage plus de 230 millions d’euros et dont l’utilité publique a été signée le 6 octobre 2015 par la ministre de l’Environnement Ségolène Royal, va à l’encontre des décisions étatiques de la COP21 quant à la transition énergétique – réduction de la part du nucléaire et augmentation de celle des énergies renouvelables.
Alors que le chantier a commencé, les habitant(e)s s’interrogent sur la légitimité des travaux. La tranchée P6 a été commencée sans approbation du projet d’ouvrage. Un recours contre le tronçon P3 a été déposé le 14 janvier 2015 au tribunal administratif de Marseille et renvoyé au Conseil d’État. Les parlementaires européens ont jugé la plainte recevable en septembre 2015.

Un collectif d’habitant(e)s de Saint-Crépin a aussi saisi le tribunal administratif au sujet du permis de construire pour le hangar destiné aux hélicoptères Super Puma et pour des bureaux de RTE, qui ne semble pas légal. Cinquante familles de la commune de Puy-Saint Eusèbe sont par ailleurs en procédure pour préserver leurs captages de sources.
Nous subissons répression policière et menaces

En plus des recours, des habitant(e)s s’organisent pour faire face aux bulldozers. Des collectifs locaux se sont formés le long du tracé de la ligne et se réunissent régulièrement en assemblée de vallée pour échanger et réfléchir à des solutions pour stopper ce projet. L’association Avenir Haute Durance, créée le 11 août 2011, regroupe environ 2 400 adhérent(e)s ; le collectif no-tht05, plus de 350 membres. Un collectif d’étudiant(e)s est né en janvier dernier et rassemble plus de 80 lycéen(ne)s. La Société alpine de protection de la nature et le syndicat national des Accompagnateur(trice)s en montagne, qui représente plus de 300 professionnel(le)s du département, se positionnent également contre la THT.

Plus d’un millier de personnes se sont rassemblées le 1er mai pour défendre la vallée. Petit frère de Super-Châtaigne, le justicier Super Z’écrin et son drapeau orange « non aux lignes THT » ont donné un aspect ludique à nos mobilisations.
La lutte est aussi passée à une opposition concrète et active ; la question de la légalité des actions d’occupation et blocages est alors posée. Quand les moyens légaux et démocratiques ont prouvé leurs limites, quels types d’actions proposer, comment s’organiser pour faire entendre ses idées et résister concrètement ? L’action directe a amené une réaction de l’État qui défend ses intérêts et œuvre pour maintenir l’ordre. Nous subissons actuellement répression policière et menaces. Nous sommes toutes et tous uni(e)s derrière cette déclaration : « Arrêt immédiat des travaux en vue d’un réexamen du projet avec décisions démocratiques faisant suite à un dialogue entre habitant(e)s, élu(e)s et expert(e)s afin de faire émerger des solutions pour l’intérêt commun. » Le 13 mai, alors que Jean-Michel Baylet, ministre de l’aménagement du territoire, de la ruralité et des collectivités territoriales, vient à Briançon et que les acteurs politiques locaux se défilent par l’argument de l’intérêt national, nous saisisons cette occasion pour faire remonter nos doléances.
