Un barrage au Panama - contre les Indiens et pour le profit

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A Kiad, au Panama, les Indiens Ngäbe se battent contre un projet de barrage destructeur. Il vise à s’intégrer dans un complexe international de production d’énergie au profit d’intérêts privés.
- Kiad (Panama), reportage
Suite de notre reportage. Premier volet : Les Indiens du Panama luttent contre un projet de barrage « écologique ».
Manolo et les siens veulent préserver leur petite église où la religion Mama Tata est pratiquée depuis qu’une Indienne a reçu une révélation divine en 1962, rénovant la pratique d’un culte autochtone.
Pour la communauté de Kiad, l’école est tout pareillement sacrée : bien qu’il n’ait jamais été scolarisé, le vieux Manolo y enseigne l’écriture de la langue Ngäbe qu’il a inventée après la prophétie, en utilisant des signes semblables à des hiéroglyphes apparus cette année-là mystérieusement dans la terre.
Ces caractères ressemblent à certains des dessins gravés dans des pierres par les ancêtres. Plusieurs pétroglyphes importants pour transmettre la culture Ngäbe vont ainsi être immergés si le barrage est terminé.
Depuis l’école de Kiad, une longue file indienne s’est constituée en direction du Tabasara. La foule se tient face à un pétroglyphe sacré gravé sur un rocher au milieu du courant. La cérémonie rituelle qu’initie la cacique se déroule dans la fumée : les Ngäbes boivent à tour de rôle une tasse de cacao puisée dans une marmite cuisant au feu de bois sur la berge.

Puis ils éclaboussent de leurs mains la roche sacrée, et marchent dans la rivière pour laver leur corps et leur esprit et contempler l’art symbolique ancestral. Malgré l’intensité de leurs prières, ce pourrait bien être le dernier de ces pèlerinages.
Puisque la firme Genisa a gagné l’appel d’offre, bloquer maintenant le projet mettrait en doute la crédibilité du Panama vis-à-vis des investisseurs, selon Jorge Ricardo Fábrega, le premier ministre panaméen. Pour son gouvernement, le barrage Barro Blanco se situe en-dehors de la réserve et respecte les lois du pays.
Paradis fiscal présidé par le richissime homme d’affaires Ricardo Martinelli, le Panama, il est vrai, a mené une politique particulièrement hospitalière à l’égard des capitaux privés étrangers, souvent aux dépens de sa population. Les manifestations pour défendre le fleuve Tabasara ont systématiquement été réprimées par les forces anti-émeute qui ont tiré des gaz lacrymogènes et des balles en caoutchouc sur de maigres foules d’Indiens armés de banderoles. « Deux manifestants ont été tués », dénonce la cacique.
Certes, au sein de la communauté Ngäbe, les jeux de pouvoir politique entre les différentes autorités indigènes sont complexes et les voix n’ont pas toujours été unanimes : un débat existe entre ceux qui prônent un développement économique qui profite aussi aux Indiens et ceux qui privilégient la défense de la nature, l’autonomie et la culture. Clementina Perez est de ces derniers : « Le développement, c’est notre dieu Mama Tata qui le construit et nous invite à le protéger, non pas de le détruire ».
« On nous vend l’idée de générer de l’énergie propre avec des "mini-barrages", mais les projets sont si nombreux qu’on nage en plein délire ! » renchérit l’avocate Yaritza Espinosa. Elle compte parmi les membres d’un réseau national de citoyens panaméens contre ces barrages.
Les mécontents ne sont pas tous Indiens, mais aussi divers que nombreux : riverains expropriés, paysans privés de ressources en eau, élus écoeurés par le peu de retombées pour les municipalités, écologistes inquiets de la somme des impacts environnementaux et de la progression à contre-sens de la finance carbone internationale.

Au cœur du débat, cette question : quels sont les réels besoins énergétiques du Panama ? Si le gouvernement jure que la croissance nécessite plus d’énergie, les écologistes mettent en cause la gestion néo-libérale du secteur énergétique qui a été privatisée peu à peu depuis les années 1990. Résultat : pas de plan de développement national, ni de coordination de l’exploitation des différents bassins hydriques, mais une multitude d’initiatives privées, répondant aux lois du marché, sans se soucier des besoins et des revendications des populations.
« Un journaliste du quotidien La Prensa a montré sur les intérêts directs de proches du président dans certaines entreprises hydroélectriques », insiste Yaritza Espinosa.
Elle pointe un projet économique bien plus vaste dans le cadre du SIEPAC, le Système d’interconnexion électrique des pays d’Amérique centrale : ce réseau électrique privatisé qui va connecter les consommateurs du Panama au Mexique, suscite bien des controverses, notamment en matière d’impacts sociaux et écologiques.
A qui ce modèle de production d’énergie, qui pourrait être exportée vers les Etats-Unis, bénéficiera-t-il vraiment ? Les habitants de Kiad savent que quelques panneaux solaires suffiraient à satisfaire leurs besoins. En ce début février, ils ont décidé de planter un campement à la frontière de leur territoire pour surveiller l’avancée des bulldozers de Genisa.
« Combien de fois encore nous faudra-t-il manifester et compter nos morts pour voir nos droits respectés ? », soupire la cacique. Elle se dit prête à lutter jusqu’au bout.