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EntretienDéchets nucléaires

Une étude géologique remet en cause le projet Cigéo de stockage de déchets nucléaires

Le sous-sol destiné à accueillir le centre d’enfouissement des déchets radioactifs Cigéo a-t-il les qualités requises, comme le prétend l’Andra, l’agence chargée de la réalisation du projet ? Une étude de l’ONG France Nature Environnement affirme le contraire.

Arnaud Schwartz est le président de France Nature Environnement. L’ONG a publié une coupe géologique du site destiné à accueillir le projet d’enfouissement des déchets radioactifs Cigéo, près de Bure, dans la Meuse. Selon ce travail, la couche d’argile destinée à contenir la radioactivité ne serait ni assez homogène ni assez épaisse.

Arnaud Schwartz.

Reporterre — Pour quelle raison géologique l’Andra, l’agence chargée de la réalisation du centre d’enfouissement de déchets nucléaires Cigéo, a-t-elle choisi le site de Bure ?

Arnaud Schwartz — La raison géologique et officielle, que l’Andra promeut dans sa communication, est la composition du sous-sol. Sur ses représentations graphiques, l’agence met en avant une large couche argileuse, environ 500 m sous la surface, dont l’épaisseur et la composition seraient idéales pour contenir la radioactivité.



Pour vérifier les dires de l’Andra, la FNE a réalisé une coupe géologique. En quoi cela consiste-t-il ?

Pour faire simple, vous prenez un gâteau, vous le coupez en deux, et vous regardez les différentes couches qui le composent. Certaines sont plus épaisses, plus denses, et d’autres plus fines ou friables. Pour le sol, c’est la même chose. Le but est ensuite de dessiner ce que vous observez, et de restituer graphiquement à une certaine échelle les différentes couches qui composent le sous-sol.



Que révèle ce schéma ?

Ce schéma révèle une plus grande diversité dans la composition du sol que n’a voulu l’avouer l’Andra. L’Agence et les différents promoteurs du projet n’ont pas, dans leur communication, montré que cette fameuse couche géologique censée contenir la radioactivité est en réalité beaucoup plus complexe qu’ils ne le prétendaient. Elle est notamment composée de plusieurs couches de roches différentes avec, par conséquent, des propriétés différentes. Aussi, la couche en question n’est en réalité pas parfaitement horizontale : il y a une pente légère, de l’ordre de 2%. Et cette pente, rapportée à l’échelle du projet, engendre une différence de niveau entre les deux extrémités des galeries [près de 100 mètres].

Extrait de la coupe géologique réalisée par FNE selon les données de l’Andra.


En quoi ces « découvertes » géologiques remettent-elles en cause le projet, selon vous ?

L’Andra a défini, par sécurité, qu’une épaisseur minimale de 50 mètres de roche imperméable devait être maintenue tout autour des galeries où seront stockés les déchets. Or, avec la pente, ces galeries ne se situeraient plus, à leurs extrémités, au milieu de la couche géologique choisie. L’épaisseur de la couche ne serait donc plus suffisante, et l’Andra ne répondrait plus à ses propres critères de sécurité et d’étanchéité. Il existe également un risque d’interaction entre les composants de la couche géologique et les conséquences d’un stockage de déchets radioactifs. Ces interactions pourraient mener à des accidents, non sans gravité pour la sécurité du site.



Comment se fait-il que l’Andra ne soit pas arrivée aux mêmes conclusions que vous ?

Pour faire ce schéma, nous avons utilisé les informations rendues publiques par l’Andra et les organismes chargés de sa surveillance, comme l’IRSN (Institut de radioprotection et de sûreté nucléaire). Si l’Andra avait été honnête, nos conclusions auraient été les mêmes. Pourtant, quand nous avons dit que la couche n’était pas aussi pure que le prétendait initialement l’agence, elle a avoué qu’elle le savait déjà, et que ce n’était pas un problème. Mais elle n’explique pas pourquoi : a-t-elle décidé de faire des galeries moins longues ? Va-t-elle placer ses galeries à un autre endroit ? Nous n’en savons rien. Il y a un réel manque de transparence de l’Andra vis-à-vis de son installation.



Quel intérêt aurait-elle à dissimuler ces informations ?

Le projet Cigéo est une des principales raisons d’être de l’agence. Si elle a bien constaté, comme nous l’avons fait, la non-faisabilité du projet initial, l’agence prétend avoir les solutions, mais ne les partage pas. Nous sommes obligés de les croire sur parole. Cette situation révèle un réel manque de compétences à prouver la viabilité du site.



L’Andra s’apprête à déposer une demande de déclaration d’utilité publique (DUP), étape indispensable dans la réalisation de Cigéo. Quelles sont vos attentes ?

Ce que l’on souhaite, c’est l’annulation pure et simple de cette démarche. Il n’y a pas lieu à avoir une demande d’utilité publique pour ce projet : il est inutile !



La lutte antinucléaire à Bure a subi de nombreuses répressions (judiciaires, policières). Comment comptez-vous la soutenir dans les prochains mois ?

Notre travail va se poursuivre dans les domaines technique, juridique et médiatique. À très court terme, si le projet devait être réalisé, il serait le plus monstrueux, le plus antidémocratique des grands projets inutiles imposés d’Europe. Il faut avoir conscience que les déchets radioactifs n’arriveront pas par magie sur le site. Ils traverseront la France entière, et même l’Europe, sur rails comme sur routes pour atteindre ce lieu de stockage. Ce projet va nécessiter des dizaines de milliards d’euros de dépense, il engage l’Humanité pour des millénaires. Nous voulons donc poursuivre le travail d’éducation de la population et utiliser tous les outils à notre disposition pour faire entendre notre voix et mettre un terme à Cigéo. Il faut continuer à creuser le sujet, pour empêcher l’Andra de creuser ses galeries.

  • Propos recueillis par Quentin Zinzius

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