À Dunkerque, la Cour des comptes décortique les aberrations du projet Arena - heureusement abandonné

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Grands projets inutilesCe projet surdimensionné d’une salle de 10.000 places avait soulevé une vive opposition citoyenne avant d’être abandonné en 2014. Il fait l’objet d’un rapport critique de la chambre régionale des comptes Nord - Pas-de-Calais, Picardie. Très instructif...
- Dunkerque, correspondance
Le 19 mai 2014, le nouveau président de la communauté urbaine de Dunkerque (CUD) Patrice Vergriete, annula le projet de construction d’une grande salle de sport de 10.000 places, dite Arena, qui devait accueillir des manifestations sportives importantes (matches de basket-ball et de hand-ball) ainsi que des spectacles de grande envergure. Le contrat de partenariat public-privé (PPP), fut signé en octobre 2012 par la CUD, présidée alors par Michel Delebarre, socialiste et ancien ministre d’État.
Rappelons le montage financier d’un contrat PPP : la collectivité territoriale ne s’occupe de rien, autrement dit, elle ne prend en charge ni la construction, ni l’exploitation de l’édifice public, ni la maintenance, ni le financement. L’ensemble de ces opérations est assuré par une société ad hoc, en l’occurrence pour le projet de cette grande salle, la société Dunkerque Arena SAS, dont le capital était partagé entre plusieurs acteurs parmi lesquels les plus influents furent Vinci et Beci, ce dernier étant omniprésent dans les opérations de promotion immobilière et commerciale dans le dunkerquois. En retour, la collectivité territoriale (ici, la CUD) se doit de verser à la société choisie, un loyer durant un certain nombre d’années au terme desquelles elle devient définitivement propriétaire.
Ni publicité ni mise en concurrence
Ainsi, la CUD disposait de vingt-sept années pour rembourser la part apportée par le privé. En termes clairs, les contribuables de l’ensemble des communes inscrites sur le territoire de la CUD se devaient d’assurer le remboursement de la construction d’une salle de sport surdimensionnée « offerte » au BCM (le club de basket) et à l’USDK (le club de hand-ball). On peut noter à ce sujet que la « dure loi du sport » prive aujourd’hui ces deux clubs, aussi prestigieux soient-ils, de leurs succès et par voie de conséquence de leurs recettes dont une partie devait être versée à la CUD pour utilisation de la salle Arena dans le cadre de leurs matches. De toute évidence, cela eut été un apport de trésorerie aléatoire pour la CUD. Ce fut l’un des motifs de mécontentement des opposants à ce grand projet.
Précisément, la résistance s’organisa, après la signature du contrat PPP, grâce au dynamisme des associations locales comme Les Amis de la Terre, Arena non merci et l’Adelfa (Assemblée pour la défense de l’environnement du littoral Flandre-Artois) et de quelques élus dunkerquois. L’action militante menée en pleine campagne électorale des municipales de 2014 permit d’obtenir la résiliation du projet Arena. « C’est bien une économie de 200 à 250 millions d’euros que nous avons réalisée », avait déclaré Patrice Vergriete à La Voix du Nord le 31 décembre 2014.

La chambre régionale des comptes vient de publier un rapport (pages 23 à 30) sur la gestion de la CUD entre 2007 et 2013. Elle se penche sur le projet Arena et tout particulièrement sur les conditions de passation du PPP. Sa lecture révèle que l’étude de préfaisabilité de construction de la grande salle n’avait fait l’objet d’aucune publicité ni de mise en concurrence. Cela, note la chambre, « contrevient aux principes de la commande publique édictés à l’article 1 du code des Marchés publics » Jean Sename, président de l’Adelfa commente : « C’est une infraction grave ! L’ancienne direction de la CUD a voulu précipiter les choses car les élections municipales se profilaient à l’horizon 2014. »
Protestation des militants écologistes
Le permis de construire, déposé par la société Dunkerque Arena SAS, a été délivré le 24 octobre 2013 et plusieurs aléas sont intervenus postérieurement en raison de la protestation des militants écologistes (recours gracieux puis recours en annulation du permis de construire devant le tribunal administratif de Lille le 21 mars 2014) et de l’action de la Direction régionale de l’environnement, de l’aménagement et du logement (DREAL). Cette dernière a imposé de transplanter une variété d’orchidée et d’enlever la terre de surface, dans laquelle se trouvaient les racines et les graines de la zone, afin de faire respecter les règlementations en matière d’environnement. Ces aléas ont généré des retards dont le coût s’est élevé à 9,44 millions d’euros. « Ces coûts, observe la chambre, ont été facturés à la CUD alors que la société Dunkerque Arena SAS avait la charge de l’instruction et de la réalisation du permis de construire. Elle ne pouvait ignorer, tout comme la CUD, la possibilité d’une contestation. »
Autre information troublante : à la signature du contrat PPP, la CUD ne disposait d’aucune garantie quant à l’acquisition du terrain du site de Noort-Gracht sur lequel la salle Arena devait être implantée. L’analyse de la chambre régionale est sans équivoque : « Le contrat de partenariat public-privé a été signé en octobre 2012 sans que la CUD ne soit propriétaire du terrain de 28.000 m² affecté au projet ni détentrice du moindre engagement juridique de vente de la part du propriétaire de la parcelle. En effet, seul un projet de promesse synallagmatique de vente a été ébauché sans jamais être signé. »
Enfin, l’article 18 du contrat PPP relatif à la fiscalité imposait à la CUD de supporter, à l’exception de l’impôt sur les sociétés, la pression fiscale liée à la conception et à l’exploitation de la salle Arena. « Une disposition, relève encore la chambre régionale, qui peut paraître inadaptée dans un contexte de baisse des ressources fiscales. » En somme, une nouvelle contrainte financière à la charge des contribuables dunkerquois dans un contexte de crise économique, accompagnée de politiques d’austérité.
« Droit bafoué, contribuables financièrement floués : comment ne pas se féliciter que cette mariée, trop belle pour être pleinement honnête, ait été congédiée sans autre forme de procès », résume Jean Sename.