Reportage — Traités de libre-échange
A Lille, une marche ludique contre les privilèges du traité Tafta

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Traités de libre-échangeDe nombreuses manifestations ont eu lieu samedi 18 avril contre le projet de libre-échange entre les Etats-Unis et l’Union européenne, avec un écho limité. Mais à Lille, sous le soleil, des voix protestaient joyeusement.
- Dunkerque et Lille, reportage
Le samedi 18 avril le collectif national Stop TAFTA organisait en France des manifestations contre le traité de libre-échange en cours de négociation entre les Etats-Unis et l’Union européenne. Le collectif dunkerquois, composé de plusieurs mouvements politiques, syndicaux et associatifs, tenait un stand d’information et de discussion conviviale au centre de la ville, dès 10 heures, en présence de joueurs de cornemuse, attirant quelques curieux.
Damien Dekeiter, adhérent de Nouvelle Donne, se montre inquiet à l’égard des propos tenus par les élus politiques : « Les belles phrases sont en vérité prononcées pour nous amener le pire ! » Il voit une contradiction flagrante dans l’attitude des chefs d’Etat, qui accélèrent les cycles de discussion : « Ils donnent toute liberté aux négociateurs, qui concèdent un pouvoir presque sans limite aux firmes multinationales qui ainsi les affaibliront dangereusement. On se laisse manipuler. Selon moi, la solution ne peut venir que du local. »

Gérard, membre du Parti commnuniste, constate avec amertume que très peu de gens sont au courant du projet d’accord commercial entre l’Union européenne et les Etats Unis : « Ce qui fait peur, c’est l’ignorance ! Les grands médias ne cessent de nous parler de la montée du Front National mais détournent les Français des enjeux de ce traité. C’est d’une gravité extrême ! » Patrice, ancien militant de la CGT (Confédération général du travail) aujourd’hui à la retraite, livre son analyse : « Il nous faut apprendre à penser par nous-mêmes. L’apprentissage de la réflexion philosophique devrait être quotidien, mais c’est très difficile car tout est fait pour empêcher cela. » Militant communiste, attaché à une certaine orthodoxie, il ajoute : « Sans doute faudrait-il inciter les citoyens à lire ou relire Le Manifeste du Parti communiste ! »
A Lille, l’après midi, une marche ludique, parodique et militante s’est déroulée dans les rues de la capitale des Flandres. Le cortège s’arrêta à plusieurs reprises devant les enseignes d’entreprises mondialisées, permettant de la sorte au comité Sauvons les riches ainsi qu’aux militants de dénoncer les stratégies de la BNP (Banque nationale de Paris), de McDonald’s, de la Société Générale, du groupe AXA.
Parmi les manifestants, quelques étudiants et lycéens. Matthias, Emil, Jules, inscrits à l’Institut d’études politiques de Lille insistent sur le manque de transparence des négociations. « De surcroit, dit Jules, avec le TAFTA, nous avons une zone de libre échange non contrôlée qui accordera plus de droits aux entreprises multinationales. Dès lors, la politique s’inclinera devant les injonctions des acteurs économiques. » Ils se sentent un peu isolés dans leur école, sentiment non partagé par Bouchra et Ludivine, élèves de terminale ES qui, alertées par leur professeur de philosophie, sont venues participer joyeusement à la manifestation lilloise en compagnie d’autres copines. « Nous avons peur pour l’avenir, pour notre avenir, dit Bouchra, et cela dans de nombreux domaines. Ces négociations sont arbitraires ! Même les lanceurs d’alerte ne sont pas écoutés, nous ne sommes plus en démocratie. »

Jacqueline, Sylvie et Blanche, militantes de Nord nature environnement sont agacées. « Il va falloir se battre à nouveau contre les OGM, lance Blanche, puisque ceux-ci sont autorisés aux Etats-Unis et les semences paysannes, auxquelles notre association est très attachée seront probablement remises en question. » L’instance d’arbitrage international privée, qui permettra aux multinationales d’attaquer les Etats et les collectivités locales, constitue à leurs yeux un déni de démocratie. « La déréglementation, l’opacité prédominante des discussions, ajoute Jacqueline, c’est moins de liberté, moins de moyens pour se défendre, moins de citoyenneté. C’est honteux ! »
Isabelle et Maryse, membres d’Attac, fustigent les élus politiques qui ne voient, affirment-elles, que le court terme en raison des échéances électorales. « Le courant libéral, s’inquiète Isabelle, emporte tout. Le pouvoir, soi-disant de gauche, suit aveuglément ce courant. Beaucoup ont l’impression que libéral signifie plus de liberté alors que c’est tout le contraire. Tout se fait au détriment de l’humain. »
Annick, 78 ans militante de la Ligue des droits de l’homme, accompagne les manifestants qui scandent leur slogan favori, « Le TAFTA, on n’en veut pas ! », en tapant énergiquement sur une casserole à l’aide d’un couvercle. « Les traités qui sont négociés, dit-elle fermement, sont des atteintes aux droits et plus généralement aux droits de l’homme. La démocratie est en danger. »

En queue de cortège, Evelyne, du syndicat SUD Education s’inquiète de l’accroissement du fossé entre les riches et les pauvres et de la perte de la qualité de vie que le TAFTA, selon elle, ne manquera pas de provoquer. Désabusée face à l’apathie de ses collègues enseignants, elle regrette le manque de médiatisation des négociations secrètes, dit-elle, entreprises par la Commission Européenne : « Il faudrait prendre la main sur les grands médias, dit-elle. Nous devrions également faire preuve de davantage de pédagogie et expliquer clairement, simplement aux gens quelles seront les conséquences d’un tel traité sur leur vie quotidienne. »
Une Marianne enchaînée, pour la circonstance, à des banquiers d’affaire avides et cupides, coiffés de chapeaux haut de forme et fumant d’énormes cigares, incarnés par les membres du comité Sauvons les riches, dans lequel on pouvait reconnaître Karima Delli, député européenne E.E.L.V, retrouva en fin de manifestation et sous un soleil particulièrement lumineux, sa liberté… place de la République !