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A Lyon, la ZAD contre le Grand stade résiste toujours

A Lyon, municipalités et grandes entreprises veulent construire un grand stade inutile, dévorant encore des terres agricoles. Les opposants résistent tenacement, et une Zad s’est installée au pied des travaux. Malgré le froid et la dispersion des soutiens, les zadistes tiennent bon et relancent la mobilisation. Reporterre est allé les voir.


-  Reportage, Decines-Charpieux (Rhône)

C’est un lopin de terre dont ont pris possession les herbes, hautes et vagabondes. Au milieu subsiste un arbre abandonné, à l’allure incertaine. La nature livre ici l’ultime combat contre le bitume envahisseur : le bout de verdure est cerné par les constructions. Au nord comme au sud, les routes qu’arpentent assidument les voitures constituent une première clôture. A l’est, quelques pavillons froids contemplent les HLM au loin. A l’ouest, une station essence et des supermarchés occupent l’espace. Bienvenue dans la zone d’activité commerciale de Décines.

C’est là qu’ont emménagé, depuis deux semaines, quelques opposants au projet de Grand Stade, dans la banlieue est de Lyon. Eux, les zadistes, qui luttent en occupant les terrains voués au béton. A travers la « ZAD » (Zone à défendre), ils cherchent à protéger l’environnement et dénoncent un grand projet inutile, dispendieux et basé sur des collusions entre les dirigeants du privé et les responsables élus.

Ils expérimentent à ciel ouvert un autre mode de vie collective, au beau milieu du royaume de la consommation, à la sortie d’un parking. Entre fric, pétrole et béton. Aux prises avec la justice et la police depuis plusieurs semaines, les zadistes n’ont pas eu le choix de ce nouvel emplacement.

Jusqu’alors, les zadistes lyonnais vivaient sur une petite butte à l’autre bout de la ville, de l’autre côté du site de cinquante hectares voué aux travaux du stade. Les « Fils de Butte », comme ils se surnomment, s’y sont installés en avril 2012. Dawan fait partie des fondateurs de l’aventure : « Nous étions quelques-uns à nous être engagés dans la contestation de Loppsi 2 en montant des camps, en pleine ville de Lyon, en avril 2011. Un an plus tard, nous avons participé à la Marche des Possibles, lorsqu’elle a traversé Lyon. Cela a ravivé nos rêves d’occupation et ce projet de stade incarnait le modèle général que nous dénonçons ». Les quelques motivés concrétisent l’idée aux abords de la ferme de Philippe Layat, « le dernier paysan qui n’a pas accepté les sous de l’Etat ». Et pour cause : exproprié à 1 € par mètre carré, l’agriculteur est engagé dans différents recours contre la puissance publique. En attendant les verdicts, il a mis à disposition quelques parcelles de terre de ses neuf hectares pour les zadistes. « Le matin, on se réveillait à côté des moutons », se rappelle l’un d’eux. Progressivement, ils se sont installés sur la butte qui surplombe le village et offre un joli coucher de soleil sur la métropole lyonnaise.

On y a construit de jolies cabanes en bois, on a développé quelques potagers où cultiver patates et oignons. On y trouvait aussi des livres rangés au sein d’une bibliothèque éphémère. La ZAD a pris vie. « Du 10 au 30 avril 2013, nous avons fêté la première année d’existence de la ZAD par une festival qu’on a appelé ’les 20 jours du Possible en référence à la marche fondatrice. Sur un an, nous estimons qu’un millier de personne différente est passée. Au quotidien, par contre, nous ne sommes qu’une quinzaine de réguliers », décrit Dawan.

Depuis quelques mois, les voilà pourtant rattrapés par la justice et affaiblis par différentes épreuves. Plusieurs d’entre eux sont en procès pour des actions autour des chantiers de construction. Si les faits restent mineurs, deux d’entre eux ont écopé d’interdiction de séjour sur le territoire.

Le 3 septembre, une impressionnante opération policière a bien failli mettre fin à l’occupation. Les forces de l’ordre, CRS (Compagnies républicaines de sûreté) et GIPN (Groupe d’intervention de la politique nationale), ont délogé les zadistes qui se savaient expulsables depuis une décision de justice du 30 avril. A l’origine de cette expulsion soudaine ? L’accueil de trois familles de Roms sur le camp.

Merlin – « L’enchanteur ? – non, mais enchanté ! » - est présent sur la ZAD depuis le début, il raconte cet épidose : « Trois familles de Roms nous ont rejoint lorsqu’ils se sont fait expulser de Vaulx-en-Velin, fin août. On se connaissait déjà un peu avant, certains d’entre nous faisaient la manche avec eux. Pendant cinq jours, nous avons cohabité, nous faisions les assemblées avec eux, on réfléchissait ensemble à l’organisation du camp. Cela a modifié la vie sur la ZAD, mais cela avait du sens. Il y avait des enfants, on enseignait le français à une gamine en âge d’être au collège… ».

Mais quelques mètres plus bas, au sortir de la butte, l’accueil n’était pas aussi favorable. Tous les soirs, les riverains manifestaient contre l’arrivée de ces trois familles de Roms sur le camp, dans un climat délétère (voir le reportage et le petit film réalisé par Politis à ce sujet->http://www.politis.fr/A-Decines-les-opposants-au-stade,23496.html]). Certaines associations pourtant opposées au grand stade se sont désolidarisé des zadistes. Les Roms cristallisaient l’impossible convergence des luttes locales.

Les zadistes n’ont pas pour autant abondonné le lieu. Dans un jeu du chat et de la souris avec la justice, ils ont fait échouer l’expulsion. Une histoire de cadastre : « Certaines parcelles étaient assignées à expulsion, mais pas toutes. Dès le lendemain, nous construisions de nouvelles cabanes, quelques mètres à côté, sur des terrains non-expulsables. L’huissière n’a pu que constater notre bon droit », sourit Dawan.

L’accalmie a toutefois été brève. Le 28 octobre, le tribunal de Lyon a déclaré les zadistes expulsables au 30 décembre sur ces derniers terrains de la Butte. Alors que la situation est devenue critique, les zadistes ont trouvé une nouvelle parade lors d’un week-end de mobilisation. Ils ont investi un des derniers lieux du tracé sur lequel les travaux n’ont pas encore commencé : le propriétaire ne veut pas vendre son terrain situé directement sur le plan de prolongement de la ligne T3 du tramway. Mieux, il a obtenu l’annulation de la déclaration d’utilité publique ; le Grand Lyon vient certes de lancer une nouvelle enquête publique, mais il faudra du temps pour obtenir le blanc-seing : un temps précieux s’offre ainsi aux zadistes.

Si certains restent pour l’heure sur la ZAD historique, une bonne partie du groupe a donc délocalisé son habitat vers ce deuxième point d’occupation le 17 novembre dernier. La date avait été choisie avec soin, en hommage à la date anniversaire de la manifestation de réoccupation à Notre Dame des Landes, il y a un an. Beaucoup y étaient. Dans le difficile contexte actuel, la référence à la lutte contre l’aéroport est omniprésente : « Il y a l’idée commune d’agir, en occupant une terre pour la protéger. Mais à Notre Dame des Landes, le terrain à occuper est bien plus grand et pas encore détruit. Nous, nous sommes encastrés dans la ville et nous manquons d’espace », explique Dawan. Gwénolé, lui, invoque l’historique de la lutte : « C’est un combat qui date de quarante ans. A Notre-Dame-des-Landes, on organise des soirées sur l’histoire de la lutte pour les nouveaux militants. Ici, l’occupation est trop récente et nous n’avons pas l’appui de la population. C’est difficile d’installer une culture populaire de lutte dans ce contexte ».

L’opposition au projet, bien que réelle et vigoureuse, reste éparse et faible au regard des enjeux. Marc Chinal est un des rares journalistes locaux à suivre attentivement ce dossier. Selon lui, la raison est simple : « Les Lyonnais n’en entendent parler que par bribes, de temps en temps. Il n’y a pas de débat de fond donc ils ne savent pas ce qu’il y a derrière. C’est le silence des médias qu’il faut expliquer. Le journalisme lyonnais est fragile car il est précaire économiquement. Il est soutenu par quelques grands revenus publicitaires de l’automobile ou de l’immobilier, ainsi que par les subventions ’ culture’ du Grand Lyon. Or le projet de grand stade concerne les acteurs de ces trois secteurs. ». Son documentaire sur le sujet, Corrompus, sorti il y a quelques mois, est disponible gratuitement sur internet : « Le dossier est complexe, il y a une multitude de problématiques, qui sont toutes plus ou moins en interaction. Cette affaire est un sac de nœud, et il faut un outil pédagogique pour bien l’appréhender ».

C’est peut-être l’intérêt de cette nouvelle ZAD : « En nous installant ici, nous nous rendons plus visibles. Notre message passera peut-être plus facilement. Nous souffrons aussi de ne pas bien communiquer sur nos actions », explique Gekos, qui travaille à la coordination entre tous les opposants au projet. De cette nouvelle ZAD« une ZAD de survie » – on peut voir les travaux, au plus près. Face aux grues qui les surplombent de loin, les zadistes ont monté un tipi, ce mercredi 27 novembre. Une douzaine de bras ont dressé les bambous de huit mètres qui portent la bâche. Le tableau a valeur de symbole : derrière l’installation précaire, les tractopelles se succèdent sur le chantier.

La nuit tombe et le froid s’intensifie, alors on lance un feu, à l’intérieur. Autour d’une guitare, on chante quelques morceaux connus de tous. Tant que le premier coup de sifflet n’a pas retenti, l’espoir est permis.

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