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Grands projets inutiles

À Roybon, « l’abandon du Center Parcs n’est qu’une étape dans la lutte »

Treize années de lutte dans les bois de Roybon se sont achevées par le retrait du projet de Center Parc. Mais les terres appartiennent encore au géant du tourisme Pierre et Vacances. L’avenir de la forêt des Chambaran reste incertain et mobilise toujours ses défenseurs.

La surprise, puis la joie. L’annonce de l’abandon du projet de Center Parcs à Roybon (Isère), faite par Gérard Brémond, le président du groupe Pierre et Vacances, a provoqué une vague d’émotion parmi ses opposants et les résidents de la forêt des Chambaran. « Je n’y croyais pas. Quand vous êtes en lutte pendant treize ans, et qu’on vous appelle pour dire que vous avez gagné, ça fait drôle, dit en souriant Stéphane Péron, le président de l’association Pour les Chambaran sans Center Parcs (PCSCP). C’est une victoire pour l’environnement, contre tous ces grands projets inutiles. Roybon est un symbole, comme Sivens et Notre-Dame-des-Landes, qui va alimenter l’esprit de résistance et montrer que la synergie des luttes fonctionne ! »

Rembobinons. En 2007, Pierre et Vacances a abordé la municipalité de Roybon avec une proposition pour donner un nouvel essor à la commune moribonde : le projet d’un village touristique capable d’accueillir 1.000 cottages au cœur des Chambaran, et d’un espace aquatique géant à l’abri d’une bulle chauffée toute l’année à 29 °C. Un complexe qui pourrait générer plus de 700 emplois et redynamiser la région, selon le groupe. Le projet a attiré l’attention, puis les soupçons d’habitants des environs qui doutaient des retombées économiques et des conditions écologiques du Center Parcs. Des suspicions confirmées en 2014 par une commission d’enquête publique, qui a calculé que les 204 hectares du projet empiètent sur 74 hectares de zone humide. L’opposition s’est cristallisée alors contre ce projet dédié au tourisme de masse, qui artificialise les sols et dénature les bois. Quant aux emplois promis, « ils sont précaires, mal payés, et pas forcément destinés aux locaux », n’a-t-elle eu de cesse de répéter.

Les chèvres de la Marquise.

La lutte s’est depuis partagée entre les prétoires, occupés par les associations de défense de l’environnement dès 2010, et le terrain des Chambaran conquis par les zadistes en 2014. Aux premiers de souligner les faiblesses du dossier de Pierre et Vacances sur le respect des zones humides. Aux seconds d’empêcher le géant du tourisme de croquer la forêt. « S’il n’y avait pas eu l’occupation des terrains, toute la zone concernée aurait été déboisée. Si ça avait été le cas, les zones humides auraient disparu », estime Henri Mora, un membre fondateur de l’opposition au Center Parcs. Devant les tribunaux, les affrontements entre Pierre et Vacances et leurs opposants voient chaque bord accumuler victoires et revers. Une guerre d’usure qui a duré… jusqu’à la capitulation de Gérard Brémond le 8 juillet 2020. En cause, l’autorisation de défrichement, indispensable au projet, devenait caduque à date du 12 juillet. L’homme d’affaires n’aurait pas eu le cœur à poursuivre ce combat embourbé dans une guérilla administrative.

Après la lutte, toujours la lutte ?

L’annonce de l’abandon du projet passée, le goût de victoire s’estompe rapidement. Les terrains des Chambaran sont toujours la propriété de Pierre et Vacances, et les élus locaux ont demandé une nouvelle fois l’expulsion des zadistes. « Actuellement, aucune décision sur le devenir de ce terrain n’a été prise. Ce sujet sera évoqué avec les collectivités locales », indique sobrement le groupe à Reporterre. Quand ? « Compte tenu de l’annonce récente, vous comprendrez qu’il est encore trop tôt pour vous répondre », réplique le groupe. Plusieurs pistes sont actuellement explorées par Pierre et Vacances. « Ce qui est sûr, c’est que nous n’en ferons pas une destination touristique avec hébergements », précise Gérard Brémond, son président, dans une interview au quotidien Les Échos, publiée le 8 juillet 2020. Des déclarations qui incitent à la vigilance pour Henri Mora : « Maintenant que le projet est annulé, il y aura certainement des requins qui vont se pencher sur le sujet avec des idées. Avant le Center Parcs, il y avait un projet de décharge à Roybon. Et avant, l’idée d’en faire un pôle d’attractivité pour les chasseurs. Notre lutte était aussi celle contre ce type de projets qui veulent rentabiliser les territoires à n’importe quel prix. »

La cuisine de la Marquise, ancienne maison de l’ONF.

Dans les bois, la question de l’avenir fait débat parmi les zadistes. Pour Sylvie, une ancienne occupante de la zad et membre de la Coordination Center Parcs - Ni ici ni ailleurs, « l’abandon du Center Parcs n’est qu’une étape dans la lutte, pas la fin. Il y a des avis différents, et une discussion sur le fait de rester ou non. On ne sait pas ce que va devenir le terrain, donc la légitimité de l’occupation tient toujours. Mais, pour dépasser la question de seulement rester sur place, il y a besoin de se lier au devenir de cette forêt. » Où tracer la ligne de la victoire, alors ? Sylvie offre une piste : « Une vraie victoire, ça serait ça : un blocage des projets de Pierre et Vacances qui apporte une réflexion aux endroits où les oppositions se manifestent, une remise en cause du modèle de développement économique et d’aménagement territorial qui pousse à l’artificialisation et la marchandisation de la forêt. »

La cabane Palace Paillette.

Du côté des prétoires aussi la lutte se poursuit. Deux recours encombrent encore les bureaux de la justice : « Nous attendons de savoir si Pierre et Vacances va se désister de l’appel qu’ils ont fait sur le dossier sur l’eau, précise Stéphane Péron. Le deuxième recours concerne le schéma d’aménagement de gestion des eaux (Sage). Ce Sage n’a pas pris en compte les études qui indiquaient que le terrain était sur une aire d’alimentation de la molasse, et des nappes plus superficielles, et qu’il fallait empêcher toute eutrophisation. Des études faites il y a dix ans, qui étaient à la connaissance du Sage, mais qui n’apparaissent plus dans les documents finaux. »

« Nous ne renonçons pas à une implantation dans la région lyonnaise »

L’abandon du dossier à Roybon n’a pas tari l’ambition de Pierre et Vacances. Malgré l’échec de ce dossier médiatique, le mastodonte du tourisme a développé le maillage territorial qu’il s’était programmé. Le groupe a implanté 25 Center Parcs en Europe, où il poursuit tranquillement son développement : quatre parcs sont en gestation en Allemagne et trois dans la péninsule scandinave. En France, Gérard Brémond s’enorgueillit d’une croissance prospère. « Nous avons poursuivi notre développement avec la réalisation du Center Parcs de la Vienne, l’extension de celui de la Moselle, et lancé celui du Lot-et-Garonne, qui ouvrira au printemps 2022 », affirme-t-il dans l’entretien accordé aux Échos.

Mais cette croissance n’est pas aussi simple que l’homme d’affaires ne le laisse penser. Trois de ses projets se heurtent à des résistances locales : l’extension du domaine existant de Bois-Francs (Eure) est contestée. Le projet de Center Parcs de Poligny (Jura) fait l’objet de recours judiciaire contre le plan local d’urbanisme, et celui du Rousset (Saône-et-Loire) fait l’objet d’études supplémentaires pour répondre aux inquiétudes des habitants. « On a l’espoir qu’ils finissent pas crouler en suivant l’exemple de Roybon, grâce à la permanence et la détermination de l’opposition, espère Sylvie. Les deux derniers étés, il y a eu des sécheresses très fortes dans le Jura, qui remettent en question le bien-fondé du projet pour les élus locaux, car les Center Parcs sont très voraces en eau potable. » Pas de quoi décourager Gérard Brémond, qui souhaite coûte que coûte affermir son emprise en Auvergne-Rhône-Alpes : « Nous ne renonçons pas, en dépit de l’abandon du projet de Roybon, à une implantation dans la région lyonnaise. » Malgré les apparences, Pierre ne prend pas de vacances.

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