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Incendies

Au Québec, les feux ravagent les terres des Premières Nations

Des feux actifs sur les terres de la communauté crie dans le Nord-du-Québec (Canada), le 28 juin 2023.

La plus grande population autochtone du Canada est fortement touchée par les incendies. Souvent isolée, proche de grandes forêts, elle voit son territoire rogné par les flammes et son mode de vie remis en question.

Montréal (Canada), correspondance

Dix-sept jours que Robbie Mark-Stewart n’a pas revu sa maison, dans la communauté crie d’Eastmain, dans l’ouest du Québec. Depuis le début des incendies début juin, le feu ne laisse pas tranquille la Première Nation Crie, la plus grande population autochtone du Canada [1]. « La route vient de rouvrir, c’est un grand jour ! » s’enthousiasme-t-il au téléphone.

Voilà dix-sept jours qu’il a dû partir, en raison des feux qui approchaient. « On est allés de motel en motel. Les gens nous ont bien accueillis dans les villes, mais plus de deux semaines sans les plats traditionnels de chez moi, c’était dur », raconte-t-il, se réjouissant de remanger bientôt de l’orignal. Les conditions météo, qui s’améliorent, ont enfin permis de rouvrir partiellement la route Billy-Diamond, voie d’accès aux communautés du Nord-du-Québec.

© Louise Allain / Reporterre

Dix jours plus tôt, les feux et l’intense fumée ont forcé des communautés de la région à fuir. Une ligne de foudre a allumé de multiples brasiers, les conditions de sécheresse intense ont fait le reste. 800 résidents d’Eastmain ont donc dû être évacués, comme Robbie, loin de la maison. Lui a patienté à Val-d’Or et à Rouyn-Noranda, avec ses enfants, à plus de neuf heures de route.

Ces évacuations n’étaient pas les premières pour les Cris cette année. Depuis janvier 2023, plus de 11,7 millions d’hectares ont brûlé au Canada. Toutes les évacuations ne se font pas sans heurts. Le lien avec le territoire est intime pour bien des membres des Premières Nations. Quitter sa terre, même sous la pression des éléments, reste un arrachement. En juin dernier, François Legault, le Premier ministre du Québec, a demandé à la communauté de Mistissini de quitter les lieux alors que les flammes approchaient. Le chef Michael Petawabano avait rétorqué, dans un Facebook live : « Legault ne dirige pas notre communauté », et demandait à ses membres de ne pas céder à la panique.

La réserve crie d’Eastmain est située à l’embouchure de la rivière éponyme. Wikimedia Commons/CC BY 3.0/Rudy_P

« Réfugié d’une urgence climatique »

Dans la communauté de Robbie, aucune maison n’a été endommagée par les incendies, dit-il. « Je sais que la mienne n’a rien. Je suis heureux de cela, mais ma terre a eu très mal. Au milieu du bois, des cabanes, qu’on utilise pour notre chasse traditionnelle, ont brûlé. » Et les bêtes ? « Il y en a qui ont vu des orignaux s’en aller en courant. C’est sûr que les ours, les lynx et même les castors sont partis plus loin, déplore-t-il, en faisant le décompte des déserteurs. La forêt, c’est une partie de nous et elle se régénérera, mais le paysage va être triste. »

Des Cris de Waswanipi, au Canada, pêchent le long de la rivière Broadback, en août 2015. © AFP / Clément Sabourin

Jointe au téléphone, la grande cheffe du conseil des Cris du Québec, Mandy Gull-Masty, considère en ce moment son peuple comme « réfugié d’une urgence climatique » : « Les feux attaquent notre mode de vie, tout simplement. Pendant toute cette période, on ne peut ni pêcher, ni cueillir des bleuets, ni aller chasser. Tout le quotidien est bousculé, ça fait mal. Et cet automne, les feux auront un impact sur la chasse : il y aura moins d’orignaux, moins d’ours. »

Se former pour mieux lutter

Comme les flammes reviendront, il faut apprendre à mieux les combattre. La semaine dernière, un premier groupe de Cris de Waswanipi et Oujé-Bougoumou ont fini leur entraînement pour devenir certifiés comme pompiers auxiliaires auprès de la Sopfeu, l’organisme de lutte contre les incendies de forêt au Québec. Avec ce bagage, ils seront en mesure d’aider les combattants du feu au sol, en éteignant les petits incendies.

La cheffe Mandy Gull-Masty a vu l’enthousiasme des siens pour aller apprendre des pompiers. Elle retient aussi des leçons de cette catastrophe qui n’en finit plus : « On a déjà beaucoup de savoir-faire face aux feux, mais on continue d’apprendre à s’adapter. Par exemple, il faut s’assurer d’enlever le plus possible de bois sec autour des arbres, pour éviter que ce soit un combustible pour l’incendie. »

Les pluies des derniers jours ont affaibli les feux du Nord-du-Québec. Et la météo d’Eastmain laisse entrevoir des gouttes, et du répit. Mais dans quinze jours, le soleil et le feu auront-ils repris du poil de la bête ? Robbie Mark-Stewart ne sait pas encore s’il pourra retourner à la maison pour de bon ou s’il faudra faire machine arrière. Les jours qui viennent, l’état de la route qui mène chez lui sera réévalué par les autorités, pour savoir si l’accès est maintenu ou non. « On va rester vigilants, mais on est heureux d’arriver enfin chez nous. »

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