Tribune —
Business & destruction
Le Muséum d’histoire naturelle est un lieu cher à tout écologiste : c’est de cette mémoire vivante de la biosphère qu’ont été lancés, en France, maints cris d’alarme sur l’environnement, à commencer par le livre pionnier de Jean Dorst (Avant que nature meure, Delachaux et Niestlé, 1965). Près de quarante ans plus tard, alors que l’érosion de la biodiversité se poursuit à un rythme effrayant, le Muséum accueille, le 19 octobre, un symposium international « Business & biodiversity » (1). Total, EDF, Lafarge, BASF, Areva, Veolia et autres compagnies sponsorisent l’événement dont le message subliminal est : « Laissez les entreprises s’en occuper ».
Au même moment s’est ouverte à Nagoya, au Japon, la conférence des Nations unies sur la biodiversité, dont le principal point de friction est le partage des bénéfices tirés des richesses naturelles. Alors que le désastre s’étend, les hommes continuent à se disputer. On songe au tableau de Goya - évoqué par Michel Serres dans Le Contrat naturel - où deux hommes se battent à coups de gourdin dans des sables mouvants qui les aspirent vers le néant.
C’est du système financier que viendrait maintenant « LA solution » : il faudrait donner un prix à la nature pour qu’on la respecte. L’idée a été lancée voici vingt ans par l’économiste David Pearce (Blueprint for a Green Economy, 1989 (2)). Elle a cheminé et a trouvé une consécration officielle dans le rapport de Pavan Sukhdev (3), un banquier indien travaillant pour la Deutsche Bank et qui a fait une partie de sa carrière sur le marché boursier de Bombay. Il exprime le nouveau dogme : « Les ressources naturelles forment un capital qui offre tout le potentiel d’un bon investissement. » (4)
Cette approche, en vedette à Nagoya, est censée inciter les gouvernements et les agents économiques à comparer le coût d’un investissement à celui des « services » qu’il fait perdre. Elle prépare la généralisation de systèmes de compensation où une destruction, ici, serait balancée par une restauration ailleurs. Mais il n’y a là que l’aveu de l’impuissance du pouvoir politique - normalement porteur de l’intérêt général - face au pouvoir financier. Seul le calcul économique serait légitime pour décider des choix collectifs. Et l’on fournit, en réalité, un alibi au maintien du système : la compensation est un permis de détruire.
En fait, la résistance citoyenne est le meilleur moyen d’empêcher la destruction de l’environnement. En Aquitaine, l’autoroute Pau-Langon se construit faute d’opposition assez forte. En Inde, le projet minier Vedanta est rejeté grâce à la lutte des paysans et des indigènes (5). La destruction de la nature n’est pas un problème économique, mais politique.
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Notes :
(1) http://www.epe-asso.org/index.php?p.... Le programme - très instructif - du symposium n’est malheureusement pas en ligne.
(2) http://books.google.fr/books?id=jMT...
(3) http://ec.europa.eu/environment/nat.... Voir aussi le site : http://www.teebweb.org/
(4) Cité par : http://www.novethic.fr/novethic/pla...
(5) http://www.survivalfrance.org/actu/6404