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Luttes

Danone et Nestlé accaparent l’eau, des collectifs citoyens répliquent

Dans le Haut-Languedoc, les défenseurs de l'eau s'organisent pour contrer les multinationales comme Danone ou Volvic.

À Vittel ou à Volvic, plusieurs collectifs citoyens se battent contre les multinationales de l’eau, accusées d’épuiser les nappes. Ils entendent mutualiser leurs combats pour que l’or bleu reste un bien commun.

Murat-sur-Vèbre (Tarn), reportage

« De l’eau, pas des euros ! » Cet appel s’élève depuis les plus lointaines communes de montagnes du pays. Du Haut-Languedoc aux Vosges en passant par l’Auvergne, des citoyens se sont retrouvés le 18 mars à Murat-sur-Vèbre, dans le Tarn, pour échanger sur les moyens de résister à la soif inépuisable des multinationales de l’eau.

Premier pas essentiel : connaître les intentions des embouteilleurs. À Murat-sur-Vèbre, des agriculteurs ont découvert il y a un an l’existence d’un forage sur une exploitation voisine. Pour quelle raison ? La nouvelle n’a filtré qu’auprès de quelques personnes avant que Danone, qui exploite dans la commune voisine l’eau de la Salvetat, ne concède à prévenir quelques agriculteurs. « Ce qui nous a choqué, c’est qu’un forage énorme se présentait et que personne ne donnait d’information », raconte Jessica Théron, éleveuse locale qui a rapidement diffusé l’information et participé à la création d’une association locale.

Cette mauvaise publicité semble avoir permis de suspendre momentanément les velléités de Danone à Murat-sur-Vèbre. Le 8 mars dernier, le groupe a annoncé dans un communiqué que « les besoins actuels de la marque étant couverts, nous ne prévoyons pas à ce jour de déposer une demande d’homologation de l’eau issue de cette nappe ». Une première victoire loin de satisfaire pleinement les habitants, qui ignorent la raison réelle ayant fait reculer l’entreprise.

Garder la tête froide face aux embouteilleurs et leurs soutiens

Mais ailleurs, où Danone exploite déjà des forages, y compris sur des zones naturelles, la bataille s’avère beaucoup plus dure. À Volvic, Édouard de Féligonde se bat depuis que les pompages de l’usine en amont de chez lui ont mis à sec sa pisciculture, la plus ancienne de France, qui menace désormais de s’écrouler. Seulement voilà, face à une telle entreprise, il faut prouver l’évidence et établir formellement la causalité entre le forage en amont et la baisse de débit en aval. « Au total, entre les expertises et les frais de justice, tout cela m’a coûté près de 100 000 euros », raconte le notable.

Des membres de L’Eau qui mord à Nancy, en 2019. Facebook/L’Eau qui mord

En parallèle, les militants doivent apprendre à comprendre les enjeux et le fonctionnement de l’hydrologie et de sa gouvernance. Les associations environnementales peuvent ainsi siéger en commission locale de l’eau pour contrebalancer le discours des entreprises et des gestionnaires publics d’eau potable, parfois très proche.

« Le maire de Volvic, président du syndicat local de l’eau, touche 3,5 millions d’euros de taxe d’entreprise de Danone pour sa commune. Son adjointe en charge de l’eau est salariée de Danone », égrène Édouard de Féligonde, qui raconte avoir vu devant un tribunal une experte de Danone être « incapable de se rendre compte » que le niveau d’un bassin « avait baissé de 66 % ».

Il appelle également à sortir de la fiction du « monde merveilleux » des multinationales et de leur prétendue « eau pure naturelle », et dire clairement que « ce qu’ils vendent, c’est du plastique : 100 tonnes sortent de l’usine chaque jour, dont les deux tiers finiront en mer. Elle est vendue 300 fois le prix de l’eau du robinet ».

« L’eau pour la vie, pas pour le profit »

Cette réalité connue, les opposants à la privatisation d’un bien commun font face à une nouvelle difficulté. « On avait jusqu’ici un problème de répartition de la richesse en eau, maintenant on fait face au manque d’eau », constate Renée-Lise Rothiot, native de Vittel et animatrice du site L’Eau qui mord. Là-bas, après des décennies à croire que la ressource était infinie, le territoire fait face à des problèmes d’approvisionnement en eau potable, d’autant plus avec la multiplication des sécheresses.

« Les gens qui vivent ici recherchent un cadre de vie, des paysages, une agriculture. S’il n’y a plus d’eau, tout ça s’effondre », alerte Jessica Théron, qui a vu l’été dernier des sources réputées inépuisables quasiment se tarir. « Il n’y a pas de spécificités locales, que ce soit à Volvic, Vittel, aux États-Unis ou au Mexique », affirme Bernard Schmitt, du collectif Eau 88. Et la solution face à la pénurie ne consiste certainement pas à « installer un pipeline au frais de la population pour acheminer l’eau à 15 km, parce que l’usine pompe toute la nappe ».

À Murat, l’appel lancé invite au contraire à élargir la bataille en lançant un message de soutien à des citoyens du Mexique qui se battent eux aussi contre les mêmes entreprises : « L’eau pour la vie, pas pour le profit. »

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