Décryptage du climato-scepticisme : anxiété et manipulations
"En cherchant un peu qui sont ces personnes promouvant le « climato-scepticisme », on trouve de tout, mais quasiment aucun scientifique ayant les compétences ou spécialisations nécessaires pour apporter des arguments convaincants."
Bien qu’actuellement plus répandu dans les pays anglo-saxons, le « scepticisme » quant à la réalité ou à l’intensité du réchauffement global gagne peu à peu la France. Ce phénomène qui a commencé en 1989 et est allé crescendo ces dernières années représente un danger potentiel non seulement pour nous qui vivons aujourd’hui, mais aussi pour les générations futures et le reste de notre biosphère.
En sciences, le scepticisme est la base de tout progrès. Il suppose de connaître et de comprendre l’état des connaissances dans un domaine précis, de l’analyser et de se demander ce qui pourrait être amélioré, approfondi, ou bien remis en cause, critiqué, développé. Le scepticisme a pour origine la curiosité, l’honnêteté intellectuelle, la soif de connaissances, et se traduit par l’adoption d’une démarche scientifique rigoureuse et rationnelle visant à garantir la qualité et la pertinence de son résultat. Mon travail et celui des milliers de scientifiques sur cette planète peut être caricaturé à un état permanent de scepticisme vis-à-vis des résultats de ses collègues aussi bien que des siens.
Ce que l’on observe actuellement dans les rangs des « sceptiques » n’a que très peu de choses à voir avec le scepticisme décrit ici. La critique, la remise en cause des connaissances actuelles, oui, ils sont spécialistes. La soif de connaissances, peu probable. La démarche scientifique, rarement. La justification des critiques par des observations, des expériences ou des calculs dans les règles de l’art, non. La reconnaissance de la validité des arguments et de leur justification par leur publication dans des revues scientifiques suivant le procédé de peer-reviewing, non plus. Les « sceptiques » passent beaucoup de temps à critiquer mais bien peu à être constructifs, ce qui peut s’expliquer en étudiant ce qu’ils sont réellement.
Les « sceptiques » n’en sont pas. En cherchant un peu qui sont ces personnes promouvant le « climato-scepticisme », on trouve de tout, mais quasiment aucun scientifique ayant les compétences ou spécialisations nécessaires pour apporter des arguments convaincants. On y trouve des hommes politiques, des think tanks variés (ex : The American Enterprise Institute, The Competitive Enterprise Institute, etc), des scientifiques et autres acteurs bien trop souvent financés par des multinationales ayant beaucoup à perdre à l’adoption d’énergies décarbonées, des bloggeurs reprenant les arguments biaisés ou absurdes des précédents (pléthore), et en bout de chaîne, une partie de l’opinion publique qui se laisse prendre au jeu.
Les « sceptiques » sont des entités (individus ou entreprises) qui ont peur ou se sentent menacées. Dresser un parallèle de ce mouvement avec une campagne de désinformation est tout à fait pertinent : c’est exactement ce qu’est le climato-scepticisme. Plusieurs études détaillées à ce sujet ont été ou sont sur le point d’être publiées [1-4]. Les médias et une partie de l’opinion publique se laissent cependant avoir.
Aux origines, des industriels ou dogmatiques qui refusent de voir leurs activités ou convictions politiques compromises par la refonte de notre économie décidée par des gouvernements engagés dans la lutte contre les changements climatiques. La stratégie est simple et a déjà été employée à maintes reprises : tabac, ozone, pluies acides. En créant le doute dans l’opinion publique « la science n’est pas mâture, il n’y a pas de consensus parmi les scientifiques » et en utilisant les difficultés de l’opinion publique à réellement comprendre la complexité de la science et de ses méthodes, on retarde toute prise de mesures néfastes à l’industrie concernée. Fait marquant, les arguments pseudo-scientifiques avancés sont systématiquement détruits par une analyse rigoureuse, et ce sans devoir faire appel à autre chose que la littérature scientifique existante (cf. [5] en ce qui concerne les changements climatiques, par exemple).
Comme toute campagne de propagande, l’objectif est de gagner les foules et les rallier à sa cause. Les cibles clefs de ces dogmatiques, assurant un impact maximum de la campagne de désinformation, ont été définies dès 1991 [6]. Un grand nombre des « sceptiques » sont finalement des personnes sans expertise scientifique, membres de l’opinion publique. Ce sont aussi des personnes qui comprennent inconsciemment les conséquences catastrophiques et sans précédent qu’a le réchauffement global sur notre civilisation et notre biosphère, mais dont la psyché refuse l’acceptation et se réfugient dans le refus ou le déni [7]. Les « sceptiques » sont, volontairement ou non, effrayés.
Tout argument sera bon à prendre pour gagner l’opinion. On se proclamera expert en climatologie sans avoir une once de compétence. On publiera des articles non revus par des pairs en les déguisant pour faire croire à leur véracité. On se concentrera volontiers sur des détails de la science en évitant de les mettre en perspective, ne prenant jamais de recul pour contempler la complexité et la multidisciplinarité du problème [6, 8]. On pointera quelques erreurs dans les milliers de pages du 4e rapport du GIEC pour crier à l’incompétence du groupe, bien qu’elles ne remettent en aucun cas en cause les bases physiques. Au passage on publiera maints articles et rapports truffés d’erreurs et de manipulations douteuses sans jamais s’en excuser pour autant, quitte à les ressortir plusieurs années plus tard (suivre par exemple les sites [8-10]). On prétendra qu’il n’y a pas de réchauffement mais refroidissement, puis que si malgré tout c’est un réchauffement il s’est arrêté ; ou s’il est bien réel que l’humanité n’en est pas responsable. On se plaindra que les données utilisées par les scientifiques ne sont pas disponibles alors qu’elles le sont, et ainsi de suite. Et si au passage l’opinion publique croit au complot monté par les scientifiques voulant contrôler le monde, tant mieux. On critiquera les modèles des climatologues mais on n’en proposera aucun en échange et oubliera au passage le point essentiel : il est impossible de retracer l’augmentation de température enregistrée au cours du XXe siècle sans tenir compte du forçage radiatif des gaz à effet de serre injectés par l’Homme dans l’atmosphère depuis le début de la révolution industrielle. On montrera des graphiques tronqués, montrant ce que l’on veut y trouver, mais qui n’auront aucune validité mathématique. On distordra en toute connaissance de cause les dires de climatologues renommés. Et ainsi de suite.
Les critiques ne peuvent être arrêtées car celles-ci n’ont aucun fondement tangible et ne seront que rarement scientifiquement justifiées. Si elles l’étaient, elles seraient publiées dans des revues peer-reviewed et discutées entre scientifiques, pas dans la sphère publique. Mais peu importe, on en réfèrera (encore) à la théorie du complot, les tenants du réchauffement anthropique interdisant toute publication contredisant leur théorie dans la totalité des revues, et ce depuis qu’Arrhenius a prédit l’augmentation de la température atmosphérique causée par le doublement de sa teneur en dioxyde de carbone il y a plus d’un siècle (sic).
N’en déplaise à certains, les résultats scientifiques ne connaissent pas la démocratie. Les conclusions tirées de l’expérience et de mesures, confirmées par des modèles physiques et mathématiques, n’en ont que faire de savoir si oui ou non le public est prêt à les accepter. La physique semble déranger, et ce n’est pas en se voilant la face et en refusant de l’accepter qu’on changera ses règles. Le climato-scepticisme, ou plutôt la peur climatique, ne tient pas la route face aux multiples faisceaux coïncidents qui confirment de jour en jour l’Homme comme responsable du bouleversement climatique qui a d’ores et déjà commencé. Malgré les erreurs reconnues et corrigées des rapports du GIEC, ceux-ci restent la référence à laquelle nous devons faire confiance [11]. Nos sociétés connaîtront des changements profonds au cours de ce siècle, non seulement du fait des changements climatiques, mais aussi de la raréfaction des ressources naturelles et de la destruction systématique des écosystèmes que nous sommes en train de causer. Le vrai débat, celui qui devrait mobiliser les foules, n’est plus de savoir si le réchauffement est réel ou si l’humanité en est responsable. La question est de savoir si nous acceptons d’éviter le pire en changeant notre course aujourd’hui, ou si nous préférons continuer comme si de rien n’était pour subir impuissants les conséquences dramatiques de notre inaction dans un futur proche. Face à la menace, l’ignorer n’est pas une option, le fatalisme non plus. Il ne tient qu’à nous de faire face.
Notes et références :
[1] The Heat is on, Ross Gelbspan, 1998
[2] Boiling Point, Ross Gelbspan, 2005
[3] Climate Cover-Up, James Hoggan & Richard Littlemore, 2009
[4] Merchants of doubt, Erik Conway & Naomi Oreskes, 2010
[5] http://www.skepticalscience.com
[6] The American Denial of Global Warming, presentation par Naomi Oreskes (disponible sur http://www.youtube.com/watch?v=2T4U...). Voir aussi [4].
[7] http://climatedenial.org est un site qui se concentre sur la question de l’aspect psychologique des changements climatiques. Divers rapports d’instances officielles soulignent l’importance de la dimension psychologique dans la lutte contre les changements climatiques (ex : http://www.apa.org/science/about/pu...)
[8] http://www.realclimate.org
[9] http://www.deepclimate.org
[10] http://tamino.wordpress.com
[11] Chaque rapport du GIEC est un état de l’art de la science qui déjà lors de sa publication est âgé de quelques années. Ceci est dû à leur processus de rédaction qui suppose plusieurs allers-retours entre contributeurs afin de garantir leur qualité. Un rapport plus récent a été publié peu avant COP15 fin 2009 : http://www.copenhagendiagnosis.org