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Entretien

Denis Baupin : « Le nucléaire est aujourd’hui ce qu’était le minitel à l’heure d’Internet »

Acteur essentiel de la préparation de la loi sur la transition énergétique, Denis Baupin, député écologiste, fustige le retard que prend la France avec le nucléaire. Evoquant la possibilité d’un accident grave dans le pays, il expose l’état des forces et des arguments à l’orée d’une joute politique décisive.


Député EELV de Paris, Denis Baupin est particulièrement engagé sur les questions énergétiques et nucléaires. Il est rapporteur d’une Commission d’enquête parlementaire sur le coût de la filière nucléaire : un travail important, qui prépare la loi sur la transition énergétique que le Parlement doit adopter en 2014. A la veille de l’anniversaire de la catastrophe de Fukushima, Reporterre s’est entretenu avec lui.

Un accident nucléaire aussi grave que Fukushima est possible en France

(séquence de 10’30 ‘’)

Denis Baupin 1 Reporterre

Nous parlons d’abord de la catastrophe nucléaire de Fukushima. Pour Denis Baupin qui s’est rendu sur place, "une catastrophe nucléaire ne se finit jamais", parce que les effets s’en font sentir sur des générations et des générations.

Une conséquence de la catatrophe est qu’en France, les autorités comme l’ASN (Autorité de sûreté nucléaire) ou l’IRSN (Institut de radioprotection et de sûreté nucléaire) ont un tout autre discours sur la possibilité d’un accident nucléaire.

Alors, "- Un accident aussi grave que Fukushima est-il possible en France ?
- Oui,
répond Baupin, puisque le président de l’ASN le dit. Et que l’IRSN a fait une étude sur les coûts possibles d’un accident, qui se chiffrerait en centaines de milliards d’euros".

Que signifierait un accident en France ? "- Une partie du territoire qui devient invivable. Un territoire qu’on doit évacuer parce que la radioactivité y est trop forte"

Y a-t-il en France des centrales plus dangereuses que d’autres ? "- Celles qui sont sur une faille sismique, comme Fessenheim ou Tricastin. La centrale du Blayais a subi un accident très dangereux en 1999. On a des informations au quotidien de la part de l’ASN sur les disjoncteurs, sur des gaines de combustible, sur des incidents génériques sur le parc français. Oui, il y a de la vulnérabilité importante sur le parc nucléaire français."

"Quand l’autorité de sûreté dit, ’C’est possible’, je pense qu’il faut que tous les élus l’entendent : ’C’est possible’ ».

Pourquoi une nouvelle enquête sur les coûts de l’énergie nucléaire ?

(séquence de 12’09’’)

Denis Baupin 2 Reporterre

L’objectif de la commission d’enquête, selon Denis Baupin : faire connaître des informations peu connues, et en faire sortir de nouvelles. Par exemple, la commission a fait émerger l’évaluation par EDF des coûts de maintenance de son parc. "La mise à nouveau des réacteurs français, qui était annoncé à 55 milliards d’euros, dit Denis Baupin, est en fait évalué à 75 voire 100 milliards d’euros (1). Et il ne s’agit des coûts qui seraient nécessaires pour prolonger la durée de fonctionnement des réacteurs. Ce coût-là, selon un rapport de Greenpeace, pourrait être de quatre milliards d’euros par réacteur, soit plus de 200 milliards au total.

Supposons qu’un EPR coûte 6,5 milliards, comme on nous le dit. Si on remplaçait les réacteurs actuels par des EPR, cela coûterait environ 250 milliards. Tous ces chiffres pour montrer qu’il n’y a pas d’un côté, comme on l’entend parfois, la transition énergétique, avec la rénovation énergétique des bâtiments et les renouvelables, qui coûterait très cher, et puis le nucléaire, qui ne serait pas cher. Il y aura des coûts, et il faudra la vérité des prix."

D’autres inconnues à expertiser : le prix des déchets nucléaires, le vrai coût de Cigéo, le coût du démantèlement des centrales, celui de l’assurance en cas d’accident.

Le rapporteur d’une commission parlementaire d’enquête dispose de pouvoirs spéciaux. « S’il y a besoin d’aller chez EDF pour comprendre quelque chose, j’irai. »

- Le coût de l’électricité va-t-il augmenter ? - "On nous dit qu’en France le prix de l’électricité est faible. Mais si on ne paye pas l’énergie à son vrai coût de production, on n’est pas incité à l’économiser. Par exemple, le prix de l’électricité est plus élevé en Allemagne, mais le consommateur allemand ne dépense pas plus qu’en France, parce qu’il est incité par le prix à faire des économies d’énergie."

« Le nucléaire, c’est le minitel »

(séquence de 13’52’’)

Pourquoi a-t-on besoin de faire la transition énergétique ? Pour Baupin, à cause du nucléaire, mais aussi du changement climatique. Et puis "parce que la France dépense près de 70 milliards d’euros par an pour importer de l’énergie, et l’Europe près de 500 milliards. Cela a des conséquences géopolitiques, comme on le voit avec l’affaire de l’Ukraine. Il serait plus pertinent d’investir cet argent sur notre territoire, ce qui permettrait de créer de l’emploi."

Les objectifs de la loi sur la transition énergétique ? "Réduire les émissions de gaz à effet de serre par quatre, diviser la consommation d’énergie par deux, et réduire la part du nucléaire d’ici 2025. Le premier pilier, c’est l’économie d’énergie, et le deuxième, les énergies renouvelables, qui sont des énergies de flux, inépuisables, par rapport aux vieilles énergies de stock, le nucléaire et les fossiles : c’est la grande révolution du XXIe siècle."

Et de ce point de vue, la France est en retard, selon le député : "C’est un peu comme à l’époque où tout le monde passait à Internet et nous, on restait au minitel. On nous parle sans arrêt de la compétitivité française : la compétitivité, c’est pas de rester isolé sur son vieux truc pendant que les autres sont en train de se moderniser.

Le nucléaire, c’est le minitel ».

Mais il y a contradiction : le gouvernement auquel appartient EELV ne cesse de promouvoir le nucléaire à l’étranger. Baupin : " Comme ils n’arrivent pas à les vendre, ce n’est pas très grave. C’est un peu comme le Rafale, le minitel, ou le Concorde : le réacteur EPR est un ratage."

- Quels sont les points centraux de la loi à venir sur la transition énergétique ?

"Confirmer l’importance des renouvelables et leur donner les moyens de se développer, par une simplification administrative et des outils de support économique.
Deuxième point : l’efficacité énergétique, tout ce qui est solation des bâtiments et véhicules plus sobres.
Troisième point : la décentralisation des compétences, pour que les collectivités puissent se saisir des outils de la transition énergétique.
Quatrième point : le sujet crucial pour nous, la décroissance du nucléaire, et écrire dans la loi qu’on passera à 50 % du nucléaire en 2025 et qu’on se donne les outils pour le faire. Il faut donner compétence à l’Etat pour pouvoir fermer une centrale."

- Comment se présente le jeu des forces sur ces quatre points ?
"On va avancer sur l’efficacité énergétique, parce que tout le monde est d’accord. Pour la décentralisation, on va aussi progresser. On va avancer sur les renouvelables, parce que c’est incontournable. Pour le nucléaire, l’engagement de 50 % en 2025 sera pris dans la loi, mais pour les outils, on ne sait pas encore quel sera le contenu final. On pèse là-dessus au maximum avec notre force de conviction et d’argumentation – par cette commission d’enquête -, mais aussi avec notre force de formation politique. Parce qu’on n’envisage pas une seconde de faire partie d’une majorité qui ne mettrait pas en œuvre les engagements qu’elle a pris sur la transition énergétique."

- Quand en déciderez-vous ?
"D’ici la fin de l’année. Il faut mener ce combat au Parlement. Mon expérience est qu’il vaut mieux être à l’intérieur du gouvernement pour peser – c’est ce que j’ai fait à Paris sur les transports collectifs ou le Vélib. Si on pesait plus à l’extérieur, pendant les dix années où on avait Chirac et Sarkozy, on aurait dû gagner, puisqu’on était à l’extérieur. Mais on n’a pas gagné, on a perdu. Donc je pense qu’il faut être à l’intérieur pour peser."

-  Propos recueillis par Hélène Harder (video) et Hervé Kempf.


Note :

(1) Voici le document d’EDF sur "le grand carénage" du parc nucléaire, document qu’a pu faire émerger la Commission d’enquête :

Plus lisible en téléchargement :

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