Média indépendant, en accès libre pour tous, sans publicité, financé par les dons de ses lecteurs

Édito

EDITO - Le mirage de la violence

Les provocations de samedi ont mis en danger les manifestants et affaiblissent la lutte.


La manifestation qui s’est déroulée le samedi 22 février à Nantes est une étape notable dans l’histoire de la lutte contre le projet d’aéroport de Notre Dame des Landes.

Les médias institués auront retenu l’aspect spectaculaire de la confrontation de plusieurs centaines de provocateurs, venus pour en découdre, avec les forces de police. Cette violence a permis au ministre de l’Intérieur, Manuel Valls, de réagir presque en direct, en fin d’après-midi, pour la stigmatiser et donner le ton de la réaction officielle.

Mais cette expression violente ne saurait faire oublier l’autre volet crucial de cette folle journée de Nantes : une mobilisation jamais atteinte dans la ville même, avec plus de trente mille manifestants et plus de cinq cents tracteurs. Ce succès atteste que la détermination populaire contre ce projet d’aéroport reste extrêmement forte.

En revanche, l’image de violence projetée par la manifestation l’a détournée de son but. Il ne fait pas de doute que les images des désordres à Nantes vont marquer l’opinion publique et être utilisés par les promoteurs du projet, sur le mode d’un syllogisme simplificateur : « Les opposants sont violents, donc il est légitime de faire l’aéroport ».

Au demeurant, les lieux détruits ont été précisément choisis : un bureau de la société Vinci, et deux agences de voyage, l’une de la SNCF (contre le projet Lyon-Turin), et l’autre de Nouvelles frontières (qui promeut des voyages en avion). Il n’y a pas eu de destruction généralisée, de volonté de saccage, de pillage. Les destructions avaient un sens politique, comme l’ont été le tagage d’un commissariat ou de l’hôtel de ville ou la destruction de deux engins de chantier. En même temps, il y a eu volonté de provoquer des gendarmes et CRS, massivement présents dans la ville, avec jets de projectiles, fusées, et bientôt pavés de la ligne de tramway, tandis qu’un bureau de cette ligne était incendié.

Mais au final, la ville de Nantes n’a pas été mise à feu et à sang, et dès samedi soir, rue de Strasbourg, les voitures des fêtards réoccupaient les trottoirs sans inquiétude

« Pour défendre notre terre, nous sommes prêts à la violence »

Il n’en reste pas moins que la manifestation a largement échappé à ses organisateurs, et que l’image des affrontements a fait le délice des télévisions et sans doute jeté l’effroi dans nombre de foyers.

Comment ont réagi les forces en présence ?

Le préfet de Loire-Atlantique, Christian de Lavernée, a donné dimanche matin sa version, lors d’une conférence de presse à laquelle assistait Reporterre : « Il y a un rapport entre ce qui s’est passé à Nantes et ce qui se passe sur la Zad. (…) Le combat de Nantes est une répétition de ce qui se passerait si les travaux commençaient sur la Zad ».

Dénonçant cette « guérilla urbaine », qui prend selon lui origine sur la Zad, il en a tiré argument pour tenter de rompre l’unité de l’opposition : « Je demande à chaque composante de l’opposition institutionnelle d’exprimer sa position sur les squats. (…) Il faut que l’opposition légale clarifie sa position ».

Du côté de « l’opposition institutionnelle », le ton n’est pas à la repentance : « Dans toute manifestation, il y a des gens dont la violence est le seul moyen d’expression, à gauche comme à droite, dit au téléphone Dominique Fresneau, porte-parole de l’Acipa. C’est un problème de société, ce n’est pas à nous de le résoudre. »

Récusant la responsabilité de l’Acipa – « Nous n’avons rien vu. En fait, les policiers savent mieux que nous ce qui a pu se préparer, ils ont suffisamment de personnes infiltrées pour cela » -, M. Fresneau met les choses au clair : « Pour défendre notre terre, on est prêt à la violence ».

Quant à la position des occupants de la Zad, elle est d’autant plus difficile à déterminer qu’il n’y a pas, par définition, « une » position de la Zad. En tout cas, ils se sont associés au communiqué commun publié dès samedi soir avec l’Acipa et le Copain (Collectif des paysans) : "Il existe différentes manières de s’exprimer dans ce mouvement. Le gouvernement est sourd à la contestation anti-aéroport, il n’est pas étonnant qu’une certaine colère s’exprime. Que pourrait-il se passer en cas de nouvelle intervention sur la zad ?".

L’avertissement qu’ont voulu lancer les initiateurs de la violence, et le message qu’adressent les asssociations en commun, est clair : si le pouvoir décide de réoccuper la Zad, la défense sera extrêmement vigoureuse.

La manifestation prise en otage

On ne saurait dire si ce type de proclamation est très utile. Mais dans un contexte où le pouvoir a cédé plusieurs fois face aux manifestations – qu’il s’agisse de l’écotaxe ou de la loi sur la famille -, il serait paradoxal qu’il vienne tenter d’affirmer une autorité vacillante en réoccupant la Zad de Notre Dame des Landes.

Il n’en reste pas moins que cette afffirmation violente a fait reculer la lutte auprès de l’opinion publique. Celle-ci est globalement neutre sur ce projet d’aéroport, et plutôt en empathie avec les opposants. Mais les images de pavés lancés par des jeunes gens camouflés et de bataille de rue n’ont certainement pas fait pencher la balance du bon côté.

Et d’autant moins que cette violence a un sens politique douteux : autant elle peut avoir un sens quand il s’agit de se défendre face à une invasion policière, autant elle perd de sa force quand elle se projette en provocation.

Elle a de surcroît pris en otage la manifestation. Quand il y a des débordements, c’est généralement dans les fins de rassemblements qu’elles se produisent. Le fait d’avoir lancé les hostilités à l’égard de la police dès 15 h, au milieu de la foule, alors que des familles, des enfants, avançaient calmement et joyeusement, n’a pas seulement gâché la fête et volé le message que le gros des manifestants voulait porter, elle les a mis en danger. C’est inacceptable.

Pour autant qu’une vision du monde anarchiste – refusant la hiérarchie, prônant la démocratie directe, célébrant l’autonomie – inspire beaucoup de ceux qui ont préparé et opéré la provocation dangereuse et fautive de samedi, il faut rappeler que la libre volonté de chacun doit s’harmoniser avec l’utilité collective et avec le bien commun. Sinon, elle n’est qu’une forme de narcissime qui ne vaut pas mieux que l’égoïsme capitaliste.

Le mouvement de lutte contre Notre Dame des Landes doit réfléchir et assumer pleinement ses responsabilité : anarchistes, citoyennistes, paysans, écologistes, zadistes, et opposants de tout poil ne gagneront la bataille que s’ils restent unis et évitent une violence stérile. Le but premier n’est pas de déclencher « l’insurrection populaire », mais d’empêcher la réalisation d’un projet absurde et de mettre en œuvre des modes de vie différents, anticapitalistes, écologistes et émancipateurs.

📨 S’abonner gratuitement aux lettres d’info

Abonnez-vous en moins d'une minute pour recevoir gratuitement par e-mail, au choix tous les jours ou toutes les semaines, une sélection des articles publiés par Reporterre.

S’abonner
Fermer Précedent Suivant

legende