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Mines et métaux

Gaz de schiste : la fracturation au fluoropropane ne sera pas opérationnelle avant des années

Arnaud Montebourg se fait le chantre d’une « fracturation hydraulique propre » à base de fluoropropane. Un détail : cette technique n’a jamais été expérimentée, et il faudrait des années de recherche avant de la valider. Reporterre a discuté avec son promoteur aux Etats-Unis.

Actualisation - Le 7 avril 2015, Le Figaro publie un rapport ministériel, commandé naguère par Arnaud Montebourg, recommandant l’expérimentation de la technique d’exploitation à base de fluoropropane. Une technique absolument pas opérationnelle, comme le montre notre enquête.


Evoquée par le ministre du Redressement productif Arnaud Montebourg et la navigatrice Maud Fontenoy, la fracturation au propane non inflammable est présentée comme une alternative "propre" à la fracturation hydraulique (interdite par la loi de 2011) pour extraire les gaz et huiles de schiste.

Economiquement et environnementalement prometteuse, cette méthode n’a cependant fait l’objet d’aucune expérimentation à grande échelle. La société l’ayant développée espère pouvoir faire de la France sa première zone test.

Six mois après avoir appelé de ses vœux un « gaz de schiste écologique », Arnaud Montebourg semblerait avoir été exaucé par une technique nouvelle. Suivi par Maud Fontenoy et Laurent Fabius, le ministre du Redressement productif vante depuis la fin janvier la « fracturation au propane » pour extraire « proprement » les hydrocarbures enfermés dans les couches de schiste entre 2000 et 4000 mètres.

La « surprise » n’est cependant que feinte car les discussions autour de ce procédé datent en fait de l’interdiction de la fracturation hydraulique, dès l’été 2011.

Un homme est au centre de ce nouveau rebond du débat sur les gaz de schiste : John Francis Thrash, patron de la société eCorpStim, et initiateur de la fameuse fracturation au propane non inflammable. « J’étais venu à Paris pour suivre le débat sur l’interdiction de la fracturation hydraulique, confie le chef d’entreprise texan à Reporterre. Après le vote, j’ai proposé de rencontrer des responsables, élus et techniciens du ministère, pour évoquer mon alternative. »

Après plusieurs rendez-vous, John Thrash retourne aux Etats-Unis. D’où il revient le 18 avril 2013 pour une audition de l’Office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques et technologiques (Opecst) dans le cadre du rapport sur les techniques alternatives à la fracturation hydraulique. Soit sept mois avant la « découverte » d’Arnaud Montebourg.

Une bonne vieille technique (expérimentale)

Comme la fracturation hydraulique, la fracturation au propane est une technique ancienne mise au goût du jour par des développements récents. A la fin des années 1970, la méthode servait principalement à « stimuler » un puits, autrement dit à augmenter son rendement ou à « racler » un réservoir pour récupérer les hydrocarbures restant, en injectant du propane sous forme gélifiée.

La société eCorp opérait déjà dans ce secteur, notamment dans le sud du Texas, avant de se tourner vers le stockage de gaz naturel et de dioxyde de carbone à la faveur de la dérégulation du secteur du transport par gazoduc dans les années 1980.

Elle n’y est revenue que tardivement, s’inspirant de la société canadienne GasFrac. Ce groupe de service pétrolier avait en effet mis au point une technique de fracturation au propane à destination des exploitants de gaz et huiles de schiste.

Le principe en est le même que pour la fracturation hydraulique : injecter à haute pression du propane gélifié (au lieu d’eau) et des produits chimiques pour élargir les failles au sein de la roche et les bloquer avec du sable (ou un autre produit) afin de permettre à l’hydrocarbure de remonter à la surface.

Parmi les avantages relevés par les producteurs d’énergie : pas d’interaction avec les composés solubles de la couche (contrairement à l’eau), une meilleure pénétration des fissures et la fluidification du pétrole permettant un taux de récupération supérieur.

« En un mot : si vous avez la profondeur, la température, la pression, le ratio pétrole-gaz adéquats et le réseau de pipeline, vous pouvez espérer une augmentation de production de 50 % », résume pour Reporterre Greg Leia, patron de Jadela Oil, producteur de pétrole canadien utilisant la méthode de GasFrac depuis 2011 au Texas.

C’est avec cette technique que John Francis Thrash fit le tour des autorités françaises en 2011 : « Il était important de trouver une alternative sans eau pour les pays où la question posait problème », résume-t-il. Mais la présence d’additif chimique continuait de poser problème à ses interlocuteurs ainsi que le risque d’enflammement.

Sa société a alors cherché a développer une formule « au propane pur » non inflammable (ou NFP). La solution trouvée par ses ingénieurs est une forme de propane fluoré, l’heptafluoropropane. Présentant l’avantage d’être liquide à une faible pression, ce composé a aussi l’avantage d’être déjà utilisé dans l’industrie pharmaceutique comme propulseur pour les inhalateurs et comme agent de lutte contre les incendies dans certains extincteurs.

John Thrash voit plusieurs avantages à sa méthode : « D’une part, nous pouvons réutiliser le NFP à 100 % et il en faut beaucoup moins que d’eau : cinq à dix fois moins. Ce qui fait beaucoup moins de camions que pour la fracturation hydraulique, surtout si on compte qu’il n’y a aucun additif chimique, et donc des plateformes moins étendues pour le stockage. Enfin, en cas de fuite, le NFP est plus lourd que l’air et ne risque donc pas de s’échapper. »

Sur le papier, le PDG d’eCorpStim conclut que sa technique coûterait aussi cher que la fracturation hydraulique. Sur le papier seulement car, à ce jour, John Thrash n’a fait aucun test grandeur nature de cette technique, « et nous aimerions faire de la France un pays pilote pour la fracturation au propane ».

Des industriels méfiants

A ce jour, et selon eCorpStim, un seul puits a été fracturé au propane pur (dans le gisement d’Eagle Ford, dans le Sud du Texas) en décembre 2012 mais sans sable. Autrement dit, à blanc. Et ce manque de recul sur la technique, s’il ne semble pas décourager les personnalités publiques françaises, provoque de bien plus grandes réticences chez les industriels.

« Nous savons que la question du proppant [produit injecté pour bloquer les fissures, généralement du sable] est à creuser, et nous voulons encourager la recherche ! », insiste John Trash, citant quelques pistes dans le domaine des peintures et enduits, ainsi que les molécules de carbone technique de type fullerènes.

Consommé dans les quantités nécessaires pour ces opérations, le NFP lui-même aurait besoin d’une nouvelle filière et pourrait voir son prix exploser (comme c’est le cas pour de nombreux additifs utilisés dans la fracturation hydraulique, tel que la gomme de guar).

Directeur général de Total Shale Gas Europe, Bruno Courme affichait un enthousiasme limité lors de l’audition où il était convié avec M. Trash : « La stimulation au propane est intéressante pour certains types de réservoirs. Total se montre toutefois réticent face à ce procédé, probablement par manque d’expérience, puisque nous n’avons jamais pratiqué ce type d’opération et que la gestion en surface nous semble complexe. Par conséquent, Total n’est pas prêt à promouvoir cette technique en Europe. »

De même, l’industriel canadien Vermillion (premier producteur de pétrole sur le territoire français) continuait de défendre la fracturation hydraulique pour optimiser l’exploitation d’hydrocarbures.

Mais du propane a coulé sous les pompes. Dans les conclusions de son rapport présentées fin novembre, l’Opecst avançait la stimulation au propane comme une réelle alternative à la fracturation hydraulique. Et le 13 janvier dernier, quelques jours avant que le Canard enchaîné n’évoque les découvertes d’Arnaud Montebourg, le site officiel de eCorpStim annonçait un partenariat avec la filiale britannique de Total dans le cadre de l’exploration pour les gaz de schiste en Grande-Bretagne.

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