Hulot autorise le GCO de Strasbourg au mépris du Conseil de la nature

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Grands projets inutiles Transports GCOLe contournement autoroutier de Strasbourg, mené par Vinci, va encore artificialiser des sols. Mais Nicolas Hulot et Élisabeth Borne ont annoncé qu’ils autoriseraient les travaux malgré l’avis défavorable du Conseil national de protection de la nature, que révèle Reporterre.
- Strasbourg (Bas-Rhin), correspondance
Nouveau rebondissement dans le dossier du Grand contournement ouest (GCO) de Strasbourg. Le gouvernement a décalé la date butoir pour le lancement des travaux de cette rocade payante de 24 kilomètres. Signée en 2008 pour une durée de dix ans, la déclaration d’utilité publique (DUP) se voit prorogée de huit années, soit jusqu’à 2026.
Cette prolongation de la DUP était de droit dans le contrat signé en janvier 2016 entre le concessionnaire Vinci (via sa société Arcos) et l’État. Il suffisait que le concessionnaire en fasse la demande. En ajoutant huit années, l’État pare donc à tous les imprévus possibles et imaginables. Mais ce qui est plus surprenant, c’est que le gouvernement a doublé cette publication attendue au Journal officiel d’un communiqué.
Le communiqué commun des ministres Hulot et Borne.
Le ministre de la Transition écologique et solidaire, Nicolas Hulot, et son homologue aux Transports, Élisabeth Borne, y annoncent qu’ils levaient la suspension des travaux préparatoires (sondages archéologiques et géotechniques) restant à faire sur deux parcelles de forêts, au centre et au nord du tracé. En outre, les deux ministres ajoutent que l’État délivrerait l’autorisation environnementale unique — qui signera le top départ des travaux. Cette annonce est la plus surprenante, car l’autorisation est normalement consécutive à la remise des conclusions de l’enquête publique spécifique à la conduite des travaux. Or, cette enquête n’a pas encore eu lieu : elle est prévue au printemps de cette année.
Le gouvernement fait fi des recommandations du Conseil national de protection de la nature
Du côté d’Arcos, on prend acte de la décision et on indique qu’il est prévu que les engins de chantier entreront en action au mois d’août 2018, pour une mise en service de l’autoroute le 30 septembre 2020. La compagnie ajoute que les fouilles archéologiques dans les champs se poursuivront jusqu’en mars.
Le gouvernement fait donc fi des recommandations du Conseil national de protection de la nature (CNPN), dont le deuxième avis, est une nouvelle fois négatif. Reporterre en révèle ici le contenu :
Avis du CNPN sur le GCO - décembre 2017
La conclusion est claire : « Le CNPN prononce un avis défavorable ».
En visite à Strasbourg à l’automne, la ministre Élisabeth Borne se montrait pourtant confiante auprès des Dernières Nouvelles d’Alsace : « Ils l’auront [l’avis positif]. Ils savent très bien faire un bon dossier et ils vont nous faire un bon dossier. » Etrange formule. En tout cas, Mme Borne et M. Hulot ont choisi de passer outre l’avis du CNPN.
- Image de synthèse du GCO.
Lors de leur premier passage, à l’été, les scientifiques du CNPN avaient rendu un avis sévère. La fuite de leurs conclusions avait contribué à mobiliser des riverains et militants contre les travaux préparatoires en forêt, déjà autorisés. Face aux oppositions sur le terrain, le gouvernement avait demandé au concessionnaire de remiser ses machines, et d’attendre un avis favorable pour pouvoir couper les arbres. Cette suspension était politique, mais le gouvernement avait annoncé que le concessionnaire devait arrêter « tant que ce nouvel avis du CNPN n’aura été rendu. […] L’État entend à la fois permettre la réalisation de ce projet attendu localement, et s’assurer qu’il apporte les meilleures garanties en matière environnementale ».
Or, les garanties ne sont toujours pas là, comme on s’en rend compte à la lecture du document que publie Reporterre. Après une audition le 15 décembre de Vinci et du département du Bas-Rhin en charge de l’aménagement foncier agricole, le CNPN relève certes des progrès. « L’effet barrière » est limité, mais pour autant, l’objectif « d’absence de perte nette de biodiversité » n’est pas atteint. Les scientifiques indépendants relèvent plusieurs erreurs (confusion entre « restauration » et « création » de zones humides) ou légèretés dans le dossier. Exemple, « le crapaud vert, espèce identifiée à ’fort enjeu’ dans l’état initial apparaît à enjeu ’modéré’ dans l’évaluation des impacts résiduels ».
Le CNPN justifie son avis défavorable par « l’absence de calendrier des travaux » pour les mesures de réduction. Il regrette que seuls les impacts de l’aménagement foncier sur le hamster sont étudiés, alors que « tous les autres groupes d’espèces protégées sont susceptibles d’être fortement impactés par ces travaux ». Dans les champs, « aucune compensation n’est proposée pour les 15 espèces d’oiseaux nicheurs ».
Autre souci, « la difficulté de s’engager sur le long terme avec des particuliers comme les agriculteurs ». Au-delà de dix ans, le CNPN n’est pas sûr que les compensations aujourd’hui négociées soient pérennes.
« Un reniement de la parole donnée par Nicolas Hulot »
Tout ceci n’est pas de nature à décourager les écologistes. La « tentative de déboisement » mi-septembre a fait l’objet d’un recours de l’association Alsace nature. Grâce aux personnes postées sur la Zad, l’association écologiste a notamment prouvé que les repérages d’usage, comme enlever du lierre ou refermer les cavités pour protéger les chauves-souris, n’ont pas été effectués au préalable, comme le prévoyait pourtant l’accord préfectoral.
Chez les pro-GCO, on se félicite de la validation ministérielle du projet, arrivée bien plus tôt que prévu. Pour le président de l’Eurométropole, Robert Hermmann (PS) : « Il s’agit d’une étape essentielle dans la construction partagée d’une ambition plus large pour les transports de notre agglomération ; une ambition capable d’améliorer l’attractivité et les mobilités quotidiennes de nombre d’habitants qui l’attendaient. Le projet que nous poursuivons rend compatibles le développement économique et les exigences environnementales. »
Ce n’est pas l’avis de son vice-président à l’urbanisme, Alain Jund (EELV) : « C’est un reniement de la parole donnée par Nicolas Hulot en octobre dernier où il s’engageait à ’inverser la charge de la preuve’, imposant à Vinci de prouver que le projet était respectueux de l’environnement et des espaces naturels. C’est enfin la preuve que le lobbying permanent de grands groupes du BTP, de la chambre de commerce et de certaines collectivités [dont l’Eurométropole où il siège] porte ses fruits. »
- Manifestation spontanée des opposants au GCO, mardi 23 janvier, à Strasbourg.
Comme Alain Jund, les opposants n’ont pas manqué de relever que l’annonce arrive moins d’une semaine après la décision d’abandonner l’aéroport de Notre-Dame-des-Landes, qui devait également être géré par Vinci. Quelques citoyens se sont réunis à la hâte mardi 23 janvier devant la préfecture pour dénoncer « un passage en force » du gouvernement. Ils avaient dans un premier temps été plutôt séduits par l’écoute du gouvernement, et la médiation débutée par la députée Martine Wonner (LREM) .
La lutte contre le GCO, sur le terrain comme aux tribunaux, n’a pas dit son dernier mot. Une nouvelle marche d’opposition est prévue sur le tracé ce dimanche 28 janvier à 9h45, à Ernolsheim-sur-Bruche.