Réseau d’appels et mobilisation surprise : une première victoire contre l’autoroute GCO de Strasbourg

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Grands projets inutiles GCOGrâce à une mobilisation téléphonique et à une Zad, les opposants au « grand contournement ouest » de Strasbourg viennent de réussir à suspendre les travaux préparatoires de cette autoroute. Une manifestation se déroule à Strasbourg ce samedi.
- Strasbourg, correspondance
Mercredi 20 septembre 7 h 04, des dizaines de téléphones vibrent à Strasbourg et dans des villages de ses environs : « Alerte Kolbsheim ! Merci de vous rendre rapidement à Kolbsheim. Ils ont besoin de vous... La cavalerie est là. Ne répondez pas à ce message. » Dans ce petit village à 15 kilomètres de Strasbourg, la pasteur fait sonner les cloches depuis 6 h 50.
Ce système d’alerte, dont le nombre de contacts est tenu secret, fonctionne à plein pour la première fois. Des riverains, opposants et journalistes sont dans la boucle et l’info se propage. Si bien que, vers huit heures, une cinquantaine de personnes des villages environnants et de Strasbourg afflue en lisière de la forêt. Certains s’interposent entre le bois et des machines venues procéder à un déboisement. Il s’agit de la deuxième phase des travaux préparatoires du « grand contournement ouest » (GCO) de Strasbourg, une rocade payante de 24 kilomètres autour de Strasbourg, dont les prémices remontent aux années 1970.

Une dame s’attache à une tractopelle sous le regard des gendarmes qui lui demandent d’arrêter, mais n’interviennent pas. Le sous-traitant du constructeur, Vinci via sa société dédiée Arcos dont les dirigeants ont fait le déplacement, stoppe ses machines. Toute la matinée, un long jeu de dupe dans l’attente de consignes se déroule.
C’est la première fois qu’une confrontation directe se produit. Après une phase dans les champs sans anicroche pendant l’hiver, les déboisements sont les premiers effets irréversibles de l’autoroute. Ces sondages géotechniques et archéologiques dans des zones avec espèces protégées ont bien été autorisés par dérogation, en attendant les compensations naturelles lors des vrais travaux, qui nécessitent pour leur part encore des autorisations.

Vinci était dans son bon droit, mais à la mi-journée, fin de crise. Le maire de Kolbsheim, Dany Karcher, opposant notoire, annonce au mégaphone que les machines vont repartir. La suite du dossier se jouera vraisemblablement à Paris, dans les ministères. La mobilisation, ce mercredi 20, a remporté un succès.
Une Zad, des manifestations, des députés : la lutte se renforce
Dans cette prospère campagne alsacienne, peu habituée aux soulèvements et à la contestation, la lutte s’organise de manière protéiforme. Dans la clairière, une zone à défendre (Zad) s’est formée à l’été avec l’accord du propriétaire d’un moulin classé, que va frôler un remblai d’une quinzaine de mètres. Seule une dizaine de personnes y réside, mais elle joue un rôle de sentinelle.
Un de ses habitants, Yoam Galima, avait repéré les machines. « Nous faisons des rondes à tour de rôle la nuit. Je prenais ma garde à 6 h et je me suis retrouvé face aux engins. Je suis retourné à la Zad quelques mètres plus bas pour donner l’alerte. »
L’opposition s’est sentie confortée par un avis négatif du Conseil national de protection de la nature (CNPN) rendu en juillet, sévère avec les compensations et certains points du projet, et qui a fuité dans la presse locale fin août. Si bien qu’il a été demandé à Vinci de revoir sa copie et de proposer un deuxième dossier. Hasard du calendrier, celui-ci a été déposé le jour de la suspension des travaux. Les scientifiques ne devraient pas se prononcer avant fin octobre.
Mais si les lignes ont bougé, c’est aussi du fait de la nouvelle députée de la circonscription bas-rhinoise, Martine Wonner. Néophyte en politique, elle a balayé la députée sortante, favorable au projet, dans un secteur où la droite avait remporté toutes les élections législatives de la Ve République. La nouvelle députée a promis lors de sa campagne de jouer un rôle de médiatrice, en s’inspirant de la méthode de Nicolas Hulot pour le cas de l’aéroport de Notre-Dame-des-Landes. « Je ne suis ni avec les anti ni avec le pro », dit-t-elle. Mais elle veut que toutes les possibilités soient étudiées honnêtement. Le 6 septembre, elle a accompagné au ministère des Transports une délégation du collectif GCO Non merci qui a pu exposer ses réserves et ses alternatives. Selon le collectif, l’autoroute A35, qui transperce Strasbourg du nord au sud, est certes saturée, mais un contournement ne règle pas les problèmes d’accessibilité le matin et le soir provoqué par les travailleurs qui cherchent à accéder à la métropole.

Jusqu’ici, les opposants sont globalement satisfaits de la gestion du dossier par l’élue. « On reste vigilant, elle a tout de même rappelé que Vinci était dans son droit et on a vu quelques véhicules autour du site. Tout peut arriver », indique Yoam, qui reste sur la Zad, où un potager et un poulailler ont été créés.
Il est désormais convenu que les travaux préparatoires ne reprendront pas tant que Nicolas Hulot, ministre de la Transition énergétique et tutelle de celle des Transports, Élisabeth Borne, ne se sera pas positionné sur le sujet. La reprise, la suspension ou l’abandon sont possibles. Tous les avis et éléments sont désormais sur le bureau du ministre.
Problème, les travaux préparatoires, estimés à plusieurs jours voire semaines ne peuvent être réalisés que jusqu’au 15 octobre. Après, il sera trop tard à cause de l’hibernation des chauves-souris. « On est d’accord avec Vinci, qui n’est qu’un exécutant, qu’il y a urgence à avoir une décision de l’État », ajoute Martine Wonner. Confiant, le concessionnaire a néanmoins débuté l’aménagement une base provisoire d’où piloter les futurs travaux.
Une surprenante disposition financière en faveur de Vinci
Ce suspense n’est guère du goût des dirigeants locaux. Le soir de la suspension, le maire de Strasbourg, les présidents de la métropole, du département et de la région, accompagnés par les présidents de la chambre de commerce et d’industrie et de la chambre des métiers ont signé un courrier unitaire pour court-circuiter Nicolas Hulot en s’adressant au Premier ministre, Édouard Philippe. Ils assurent que le GCO est « destiné à désengorger l’A35, qui est non seulement un axe routier européen majeur, mais aussi un périphérique pour l’agglomération strasbourgeoise ». Ecrivant que ce projet est « attendu du monde économique », ils se disent « surpris et choqués » par l’arrêt des travaux. Tous ces élus ont plus de 55 ans et sont de vieux routiers des milieux politico-économiques locaux.

Le gouvernement a jusqu’ici plaidé pour la suspension de plusieurs grandes infrastructures, TGV ou autoroutières, pour privilégier les transports du quotidien. « On soutient Nicolas Hulot pour qu’il appuie la position de la ministre des Transports, même si les arbitrages sont compliqués comme sur le glyphosate », résume Michel Dupont, ancien attaché parlementaire de José Bové et membre du collectif.
Et même si le directeur de l’association Alsace nature, Stéphane Giraud, « ne rentre pas dans ces éléments de langage », son association a néanmoins répliqué dans un communiqué en parlant de « querelle des Anciens contre les Modernes ». Et « os[e] croire que le Premier ministre se range du côté des Modernes ». L’association taxe les élus de « mensonge », car dans l’enquête publique de 2006, les commissaires ont expliqué que le désengorgement de Strasbourg n’est « ni l’enjeu ni l’objectif » du GCO, mais plutôt de créer un axe autoroutier nord-sud européen continu.
Le contrat étant signé, tout arbitrage sera aussi financier. « Il y aura un coût, car l’État s’est engagé à indemniser Vinci s’il ne parvient pas à interdire les camions en transit dans Strasbourg pour les forcer à emprunter le GCO. Les infrastructures non rentables se soldent toujours par de l’argent public injecté. Le GCO était peut-être une solution à une époque, mais plus aujourd’hui », justifie Stéphane Giraud.
Car le dossier de concession prévoit que si l’autoroute ne se fait pas, l’Etat devra indemniser Vinci pour... près de 5 millions d’euros.

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Dans le front des pro, les positions se complexifient aussi. Le Medef Alsace s’inquiète par exemple d’une transformation trop ambitieuse de l’actuelle A35 en boulevard. À tel point que de circuler du nord au sud de l’agglomération prendrait… plus de temps qu’avec l’autoroute actuelle, certes embouteillée aux heures de pointe, mais bien pratique le reste du temps. La relance du projet en 2013 a pourtant été conditionnée à cette transformation, par ailleurs coûteuse (200 millions d’euros selon le Medef), et parfois vue comme la seule manière de décourager assez d’automobilistes de traverser Strasbourg et de préférer, au moins en partie, son contournement payant.
Ce samedi 30 septembre, les opposants défileront à Strasbourg pour une manifestation plus classique. Les habitants de la Zad, ces opposants « nouvelle génération », participeront et organiseront un « festi’zad » tout le week-end pour accompagner l’événement. Un an plus tôt, environ 3.000 personnes battaient le pavé strasbourgeois. Désormais, la non-réalisation de l’autoroute est davantage probable, ce qui devrait pousser à la mobilisation, dans le but de se faire entendre jusqu’aux ministères parisiens.