Inondations dans la vallée de la Roya : les habitants tentent de surmonter le traumatisme

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Il y a un peu plus d’un mois, des pluies diluviennes dévastaient les vallées de la Roya, de la Vésubie et de la Tinée, dans les Alpes-Maritimes. Aujourd’hui, le ballet des hélicoptères a cessé et l’État semble avoir déserté les lieux. Dans la vallée de la Roya, comme en témoigne l’autrice de cette tribune, les habitants s’unissent pour reconstruire et ne pas se laisser abattre par le traumatisme de la catastrophe.
Bénédicte Saussol est institutrice dans la haute-vallée de la Roya. Son texte est le fruit d’un échange avec Lorène Lavocat, journaliste à Reporterre.
Plus d’un mois après le passage dévastateur de la tempête Alex, la vallée de la Roya panse toujours ses plaies. Les 2 et 3 octobre, plus de 500 litres d’eau se déversaient sur chaque mètre carré de cette zone montagneuse, nichée à la frontière italienne. « Les dégâts sont encore énormes, les gens sont toujours sous le choc, beaucoup se sentent abandonnés par les pouvoirs publics et certains pensent à partir car ils ne voient pas quel avenir construire ici », nous raconte Bénédicte Saussol, enseignante dans le haut de la vallée.
« Si le bas de la vallée est désormais à peu près désenclavé par la route, le haut de la vallée est toujours complètement coupé, raconte l’institutrice. Et ce n’est pas prêt de s’améliorer. » La route est coupée, et les trains ne circulent qu’au ralenti, à raison de deux allers-retours quotidiens, assurant la seule voie de connexion et de ravitaillement pour la zone. « Les locomotives ne vont pas à plus de 10 km/h par endroit, car certains ponts sont très abîmés », poursuit-elle.

Lors d’assemblées collectives, les habitants décrivent également le désastre : « Les champs au sud de Tende sont dévastés, et la rivière à complètement changé de lit, peut-on lire sur un compte-rendu du 29 octobre dernier. Beaucoup de logements en bord de rivière sont sinistrés et les habitants évacués. Après un mois, l’eau potable n’est toujours pas installée à Tende et Saorge. À Tende, l’eau courante non potable est accessible de 7h à 22 h. »
Face à l’ampleur des dommages, certains se sentent délaissés par l’État. « À Tende, on manque de communication et d’information pour savoir où ça en est, dit Bénédicte Saussol. On ressent un sentiment d’abandon, quand on voit que la métropole de Nice débloque un milliard d’euros pour la Vésubie et la Tinée, tandis que nous ne voyons rien arriver. » « Au début, on voyait un défilé d’hélicoptères (plus de mille trajets en une semaine), donnant un bourdonnement permanent, témoignent des habitants lors d’une réunion. L’État a déployé militaires et génie civil, s’activant sur la route. Puis, ils sont repartis, laissant nos villages seuls face à des travaux colossaux. » Fin octobre, l’État a envoyé des inspecteurs chargés d’évaluer les dégâts et d’estimer le montant des subventions qui seront allouées à la vallée pour la reconstruction des équipements publics et des infrastructures (routes, ponts, berges, etc.).
« Faire en sorte que la vallée ne se vide pas »
Moins palpables, les dommages sont aussi psychologiques et émotionnels. « C’est un vrai choc traumatique, qui n’a pas suffisamment été pris en compte, dit Mme Saussol. Les enfants sont angoissés, parlent d’images de guerre, les adultes aussi. Il faut imaginer : en une nuit, des paysages qu’on connaissait intimement depuis des années ont été irrémédiablement transformés, certains paysages sont devenus des champs de cailloux, des dunes de caillasses. » Désormais, l’institutrice organise ses déplacements « pour éviter de voir les endroits détruits, car c’est trop violent ».

Beaucoup de personnes s’interrogent, à l’instar de Bénédicte : « Est-ce qu’on va pouvoir continuer à vivre ici ? Énormément de gens du haut de la vallée sont déjà partis, inquiets de l’avenir. Au niveau des écoles, on a peur que des classes soient fermées. Ça veut dire des postes d’enseignants en moins. » En parallèle cependant, les gens s’organisent « pour faire en sorte que la vallée ne se vide pas ».
« Après un mois intense, nous sommes usés, parfois déprimés face à l’ampleur des dégâts, mais portés par cette énergie collective, cette volonté de continuer de vivre ici, de construire notre avenir », écrit Thibaud Duffey, accompagnateur en montagne, dans le compte-rendu de la réunion du 29 octobre. Les groupes de discussion en ligne foisonnent, des associations renaissent, des collectifs se créent, les réunions et assemblées diverses s’enchaînent. « On organise des chantiers collectifs, pour refaire des pistes afin de désenclaver succinctement, refaire une portion de l’adduction d’eau dans le village, déblayer des sentiers, couper du bois pour se chauffer », liste Mme Saussol. Ces chantiers se créent souvent sous l’impulsion des habitants, parfois en coordination avec les mairies.

« Il est important de s’organiser avec, et sans les municipalités, car celles-ci sont évidemment débordées par la situation exceptionnelle que nous traversons et communiquent parfois très mal, entre elles, et avec nous », observent des habitants lors d’une réunion. La solidarité s’organise à tous les niveaux, pour dégager des véhicules embourbés, nettoyer des terrains couverts de graviers, arbres et roches, déblayer des constructions écroulées, continuer leurs projets, nourrir les animaux, obtenir des outils pour effectuer des travaux de restauration, sortir de ce merdier… Des bénévoles arrivent également dans la vallée, plus ou moins bien aiguillés par des municipalités débordées.
Le temps est encore à l’urgence de la reconstruction, mais les habitants de la Roya pensent aussi à l’avenir :
Il nous apparaît également urgent d’unir nos forces pour surveiller les projets de reconstruction de la Roya. Nous souhaitons influer ou du moins faire force de proposition auprès des puissances publiques afin de projeter ensemble une nouvelle Roya respectueuse de son fleuve et vertueuse en matière environnementale afin d’éviter une nouvelle catastrophe.