Tribune —
La fin de la campagne

Ainsi s’achève une longue joute. Les deux candidats auront sans défaillir battu la campagne. Mais ce pays qu’ils ont parcouru en tous sens, visitant usines, écoles, hôpitaux, mairies, cantines, raffineries, il semble que jamais ils ne l’aient vu en sa campagne, sinon durant la métaphore du Salon de l’agriculture, ou lors d’exceptionnelles visites chez des paysans surpris. La campagne aura été pour eux un décor à travers la fenêtre du TGV, ou une maquette de paysage, aperçue d’en haut, à l’approche de l’atterrissage.
Rien n’est certes plus opposé au rythme des bourgs et des villages que la cadence trépidante d’un candidat à la fonction suprême. Mais l’absence de perception physique du milieu qui constitue le tissu du pays et une bonne part de ses habitants se traduit logiquement par l’oubli intellectuel de ce qu’il est. On ne parle pas ici de « nature », d’« environnement » ou de « biodiversité ». La campagne, ce mot si français, si européen, si chinois, exprime la forme du milieu qu’a élaboré le travail millénaire de peuples paysans qui ont su s’accorder avec ce que l’Occident appelle la nature. Ainsi, oublier la campagne, ce n’est pas négliger la nature : c’est méconnaître cette fusion entre le travail humain et le substrat naturel.
Les politiques reflètent la société et leur oubli reproduit ce qu’oublie le pays lui-même, bousculé en moins d’un siècle par un exode rural massif. Cet exode se poursuit, d’ailleurs, à une vitesse encore plus grande, à la surface d’un monde encore largement paysan, signifiant la transformation massive de la culture humaine en un imaginaire citadin coupé de ses racines. La campagne n’est plus que l’interstice des villes, la réserve jugée inépuisable des besoins des urbains, l’espace d’expansion d’un univers métropolitain peuplé de centres commerciaux et de lotissements enfermant les individus dans l’isolement face à la télévision.
Mais quel est l’imaginaire réactivé par le nouveau président ? Les vieilles lunes, la croissance et l’industrialisation, enracinées dans l’idée que les ressources et l’espace sont sans limites. Trente ans de montée massive du chômage et des inégalités, d’aggravation sans précédent de la crise écologique, de gaspillage insensé des terres agricoles n’ont donc pas changé d’un iota les rêves du peuple urbain. Etrange renversement : ce qui était le progrès au XXe siècle est devenu le conservatisme au XXIe. Il est temps de changer de culture.