Le gouvernement recule encore sur la loi de transition énergétique

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Labellisée « promesse du candidat Hollande », la loi sur la transition énergétique n’a toujours pas sa feuille de route indispensable, et la réduction de la part du nucléaire est l’objet d’atermoiements sans fin.
Avec le nucléaire, « le gouvernement est comme un animal tétanisé par les phares d’une voiture qui fonce sur lui ». Incapable de bouger face à un danger imminent. La directrice énergie de France nature environnement (FNE), Maryse Arditi, ne mâche pas ses mots. Devant le nouvel atermoiement de l’exécutif quant à la réduction de la part du nucléaire, elle tire la sonnette d’alarme.

Interrogée par le journal Le Monde, la ministre de l’Environnement, Ségolène Royal, a assuré, mercredi 13 avril, qu’« aucun arbitrage ne sera rendu sur la fermeture de réacteurs nucléaires avant 2019 ». Officiellement, afin d’attendre l’avis de l’Autorité de sûreté nucléaire (ASN), qui doit visiter les vieilles centrales à partir de cette année-là. « Il faudra prendre des décisions en fonction du développement des énergies renouvelables et de l’évolution de la demande en électricité », a ajouté la ministre. Volte-face jeudi 14 avril : le cabinet de Ségolène Royal laisse finalement entendre qu’il y aura bien des décisions sur le nucléaire avant le 1er juillet. Quoiqu’il en soit, ces tergiversations provoquent des cris d’indignation.
« En France, c’est EDF qui fait la politique énergétique »
Car cette annonce vient couronner une série de reculades gouvernementales quant à la transition énergétique, pourtant labellisée « promesse du candidat Hollande ». Depuis l’adoption, l’été dernier, de la loi sur la transition énergétique consacrant la réduction de la part du nucléaire de 75 à 50 %, rien de nouveau. Pire, la programmation pluriannuelle de l’énergie (PPE), cette feuille de route indispensable à l’application du texte, a été sans cesse reportée. Elle doit donner des directives concrètes en termes d’énergies renouvelables, d’efficacité énergétique… ou de fermetures de centrales. Attendue à l’origine fin décembre 2015, elle est désormais annoncée « pour l’été ».
« Cette PPE est tout sauf anecdotique, insiste Thierry Salomon, de Négawatt. Elle fixe une trajectoire. Car on peut dire qu’on va en haut de la montagne, si on n’a ni chemin ni rythme pour y parvenir, on a tout faux ! » Un avis partagé par Anne Bringault, du réseau Action climat : « Sans PPE, il n’y a pas de loi de transition énergétique ! » Pour tenter de calmer la colère de la société civile, Ségolène Royal a lancé la semaine dernière un projet bien moins ambitieux, ressorti des tiroirs du Grenelle de l’environnement nommé « arrêté PPI » (pour programmation pluriannuelle des investissements). Un écran du fumée, estiment les observateurs. « Ce n’est pas du tout satisfaisant, on est loin des objectifs annoncés, se désole Patrick Decostre, de France énergie éolienne. Pour développer les énergies renouvelables, nous avons besoin de cap clair, notamment en termes d’appel à projet. » Le Conseil supérieur de l’énergie doit se prononcer dans les prochains jours sur ce projet d’arrêté.

En attendant, c’est un scénario catastrophe qui se profile : une transition énergétique au rabais, et une baisse du nucléaire remise aux calendes grecques, voire remise en question… suivant les résultats des élections de 2017. Ségolène Royal s’est tout de même engagée sur Fessenheim, avec une décision quant à sa fermeture là encore « avant l’été ». « Elle est coincée, glisse un connaisseur du dossier qui préfère rester anonyme. Elle aimerait bien aller plus loin, mais ça bloque à l’Élysée et à Matignon. » « Le problème, ajoute Maryse Arditi, c’est qu’en France, c’est EDF qui fait la politique énergétique. »
« Les énergies renouvelables sont bien plus rentables que le nucléaire »
Et EDF n’a a priori aucun intérêt à réduire la part du nucléaire. C’est comme demander à un cigarettier de mener une politique contre les ravages du tabac. « Il y a, chez EDF, une forte résistance au changement, note Joël Vormus, de la Coalition France pour l’efficacité énergétique. Remettre en cause le nucléaire, c’est remettre en cause tout son modèle économique. » Or EDF se trouve aujourd’hui dans une situation économique et sociale très délicate. Outre le « mur » réglementaire, technique et financier que représente l’arrivée à échéance des quarante ans de la plupart des réacteurs, le géant doit faire face à des surcoûts importants sur l’EPR de Flamanville. Sans oublier l’énorme investissement que pourrait représenter la construction de nouveaux réacteurs EPR à Hincley Point, en Angleterre. EDF traverse une crise profonde, et semble se crisper sur ses acquis (le nucléaire français) pour éviter l’effondrement. Pourtant, « prolonger encore ces centrales va nous coûter très cher, sans doute bien plus que de les fermer ! » s’emporte Maryse Arditi. « Les énergies renouvelables sont bien plus rentables que le nucléaire », insiste Patrick Decostre.

Afin de sortir le gouvernement de son immobilisme, associations et entreprises regroupées au sein des Acteurs de la transition énergétique (ATE) pourraient même se pourvoir en justice. « En repoussant la PPE, le gouvernement se met hors la loi », insiste Anne Bringault. Un recours devant le Conseil d’État est actuellement à l’étude.
POURQUOI LA P.P.E. EST-ELLE IMPORTANTE ?
Maryse Arditi, directrice Energie à France nature environnement, nous explique l’importance de la programmation pluriannuelle de l’énergie (PPE) pour mettre en oeuvre la loi de transition énergétique.
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