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Nucléaire

Greenpeace et sept associations déposent un recours contre l’EPR

Huit associations ont déposé un recours gracieux contre le décret de création de l’EPR. Le couvercle de la cuve de ce réacteur nucléaire en construction à Flamanville, dans la Manche, est défectueux, tout comme le fond de la cuve, elle aussi fabriquée par Areva. Cela pourrait mettre en cause l’achèvement du réacteur.

Huit associations, dont Greenpeace et l’Observatoire du nucléaire, ont annoncé mercredi 19 avril 2017 avoir déposé auprès du Premier ministre Bernard Cazeneuve un « recours gracieux » afin de contester le décret de création du réacteur nucléaire de l’EPR de Flamanville (Manche).

Ce recours, déposé mardi 18, est la première étape avant un recours devant le Conseil d’Etat pour obtenir l’annulation du décret du 10 avril 2007, préviennent ces associations qui pointent des anomalies notamment sur la cuve de l’EPR.

« Les révélations de ces derniers mois montrent que les graves dysfonctionnements de l’usine Areva du Creusot, où ont été forgées de nombreuses pièces de l’EPR et en particulier sa cuve, étaient connus dès 2005 par EDF, Areva et l’Autorité de sûreté nucléaire (ASN) », écrit l’Observatoire du nucléaire dans un communiqué.

Dans un communiqué distinct, Greenpeace estime pour sa part qu’il est « désormais établi qu’EDF et AREVA ont dissimulé des informations au public pendant des années sur leur incapacité technique et financière à mener ce chantier ».


  • Relire notre enquête publiée le 2 mars 2016 :

LA CUVE DE L’EPR ESTFECTUEUSE

À Flamanville (Manche), les travaux de l’EPR se poursuivent. Le couvercle de la cuve du réacteur, une pièce métallique de cinq mètres de diamètre, y a été acheminé depuis le Creusot (Saône-et-Loire) jusqu’à la centrale, qu’il a atteint le 12 février au soir. Pourtant, ce couvercle, ainsi que le fond de la cuve, tout deux fabriqués par Areva, sont défectueux. Le 3 avril 2015, l’Institut de radioprotection et de sûreté nucléaire (IRSN) a en effet annoncé que ces pièces présentaient une « anomalie de composition de l’acier ». Des tests complémentaires ont commencé en décembre pour déterminer si ces deux éléments seront capables de résister en cas d’incident dans la centrale.

Mais cela ne semble pas freiner EDF, le maître d’œuvre du projet. Il faut dire que le chantier du premier réacteur nucléaire français de troisième génération a déjà accumulé beaucoup de retard. Dans le meilleur des cas, le démarrage du réacteur ne devrait pas intervenir avant fin 2018, soit avec près de sept ans de retard sur le calendrier.

Deux militants de Greenpeace ont réussi à monter sur le couvercle de la cuve du réacteur lors de son acheminement, le 12 février, près de Caen.

Greenpeace, qui a bloqué quelques heures le convoi du couvercle de la cuve du réacteur, le 12 février, près de Caen, dénonce une « politique du fait accompli », accusant EDF de vouloir créer « une situation irréversible ». En tout cas, la poursuite des travaux pose question. Car la cuve est la pièce essentielle pour la sûreté d’un réacteur nucléaire. C’est en son sein que se produit la fission des atomes. Elle est aussi une des barrières de sécurité du réacteur. Alors, comment est-il possible qu’une pièce si importante présente des anomalies ? Comment est-on arrivé à cette situation ? Pourquoi permettre à EDF de faire d’autres tests ? Que se passera-t-il si ceux-ci ne sont pas concluants ?

Comment est-il possible qu’une pièce si importante présente des anomalies ?

C’est la première fois qu’un réacteur nucléaire de cette taille est construit en France. Sa cuve est plus grande que celle des réacteurs de deuxième génération, d’une puissance de 1.300 mégawatts. Les pièces qui la composent sont aussi plus lourdes et plus épaisses. Les ingénieurs de l’usine Areva du Creusot ont donc découpé le couvercle, ainsi que le fond de cuve, à partir d’un bloc d’acier de 159 tonnes. Quand l’acier est coulé pour créer un bloc aussi lourd, le carbone, un de ses composants, se répartit mal. En certains points du couvercle et de la cuve, la concentration en carbone est donc trop élevée. Résultat, la résilience, c’est-à-dire la capacité de l’acier à résister aux chocs, n’est pas assez importante. Les tests de résilience ont montré que les plus basses valeurs mesurées sur la cuve de l’EPR sont de seulement 36 joules. Or, le seuil minimal imposé par la réglementation est de 60 joules. « Le procédé de fabrication utilisé conduit nécessairement à une concentration en carbone élevée dans certaines zones et donc à des anomalies, indique à Reporterre Sylvie Cadet-Mercier, directrice des systèmes nouveaux réacteurs et démarches de sûreté à l’IRSN. Areva a donc mal évalué l’impact de ce procédé. »

Le modèle de la cuve de l’EPR de Flamanville.

Comment est-on arrivé à cette situation ?

Le fond de la cuve et le couvercle ont été forgés en 2006. Ce n’est que huit ans plus tard, fin 2014, que les défauts de ces pièces ont été découverts. Une fois que le fond de la cuve était déjà fixé dans le réacteur. Pourquoi ? En fait, la réglementation relative aux équipements sous pression nucléaire a changé. Un nouveau texte, entré en vigueur en 2011, a permis à l’Autorité de sûreté du nucléaire (ASN) d’exiger qu’Areva mène de nouveaux essais, plus poussés. Ensuite, il a encore fallu attendre quasiment quatre ans avant que l’industriel envoie les résultats de ses tests.

Areva avait-il connaissance du défaut de résistance de l’acier ? « Areva nous a explicitement écrit qu’il n’en avait pas connaissance, explique à Reporterre Julien Collet, le directeur général adjoint de l’ASN. Ils nous ont dit avoir été surpris par les résultats obtenus. » Etrange : car l’industriel a indiqué au journal Le Monde qu’il avait transmis à l’ASN en 2008, puis en 2009, ses résultats sur l’excessive teneur en carbone de son acier, parmi d’autres données.

La question du calendrier reste donc très floue. C’est l’un des points que tente d’éclaircir le Haut Comité pour la transparence et l’information sur la sûreté nucléaire, saisi par Ségolène Royal le 5 octobre 2015 sur la question de l’EPR.

Pourquoi permettre à EDF de faire d’autres tests ?

Les tests qui ont révélé les anomalies ont été réalisés fin 2014. Areva a ensuite proposé un nouveau programme d’essais mécaniques. L’industriel espère montrer que l’acier est suffisamment solide, même s’il présente une anomalie. Pour Sylvie Cadet-Mercier, c’est tout à fait normal. « Les essais réalisés en 2014 sont un indicateur d’un comportement non attendu du matériau. Ce qui nous intéresse, ce sont les tests mécaniques. Il s’agira de savoir comment la pièce peut résister en situation accidentelle. » Suite à une analyse de l’IRSN, le programme d’Areva a donc été validé en décembre 2015, pour des résultats attendus cet été. La nouvelle série d’essais a donc commencé dans le centre technique d’Areva à Karlstein, en Allemagne, et au centre d’étude de l’énergie nucléaire, l’équivalent belge du CEA, situé à Mol. Mais pour Yannick Rousselet, chargé de campagne nucléaire à Greenpeace, ces tests complémentaires n’ont pas lieu d’être. « Une des règles de base de la sûreté nucléaire, c’est que les installations à haut risque, comme la cuve, doivent être au top niveau. Il n’y a pas de mesure compensatoire à envisager. Là, on est déjà dans la discussion et ce n’est pas acceptable. »

Arrivée de la cuve de l’EPR à Flamanville en 2013

Que se passera-t-il si les nouveaux tests ne sont pas concluants ?

Si les tests confirment l’imperfection des éléments étudiés, Areva n’obtiendra pas l’autorisation de l’ASN, indispensable pour pouvoir faire fonctionner le réacteur. Dans ce cas, l’industriel devra remplacer les pièces non conformes. Le couvercle peut l’être. « Mais c’est plus compliqué pour le fond de cuve, qui est soudé au reste du réacteur, explique Julien Collet, de l’ASN. On ne sait pas s’il est possible de l’extraire sans mettre en cause la sûreté de la future centrale. »

Si la déficience des pièces était avérée, cela pourrait aussi affecter voire annuler les contrats qu’Areva a passé avec la Chine. À Taishan, les deux réacteurs EPR en cours de construction sont équipés du même modèle de cuve que Flamanville. La National nuclear safety administration (NNSA, Agence nationale de sûreté nucléaire), l’équivalent de l’Autorité de sûreté nucléaire en Chine, pourrait décider de stopper le chantier. « Pour l’instant, la NNSA est dans l’attente de nos conclusions », confie Julien Collet. Mais, d’après le South China Morning Post, qui cite des sources proches de l’industrie nucléaire, si l’ASN estime que l’acier n’est pas conforme, cela pourrait remettre en cause la totalité du chantier.

Comment le gouvernement compte-t-il s’en sortir ?

Le ministère de l’Environnement a publié un arrêté le 30 décembre 2015 visant à assouplir les règles applicables aux « équipements sous pression nucléaire ». Le texte introduit deux régimes dérogatoires. Il permet notamment « une possibilité pérenne de dérogation permettant de traiter, au cas par cas, des difficultés de respect des exigences de la règlementation ».

L’association Notre affaire à tous a déposé, jeudi 3 mars, un recours devant le Conseil d’Etat pour annuler cet arrêté. Ce texte viserait en particulier l’EPR de Flamanville. « Cela ressemble vraiment à un cadeau », a affirmé Julien Bayou, fondateur de l’association et porte-parole d’EELV.

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