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Déchets nucléaires

La situation du nucléaire français inquiète l’Autorité de sûreté

Le gendarme du nucléaire français sonne l’alarme. Le vieillissement des centrales, les difficultés d’EDF et d’Areva, le manque de moyens, les anomalie de l’EPR, le coût élevé de Cigeo : autant de motifs d’inquiétude.

« Le contexte en matière de sûreté et de radioprotection est particulièrement préoccupant. » Pierre-Franck Chevet, le président de l’Autorité de sûreté nucléaire (ASN), n’a pas mâché ses mots à l’occasion de ses vœux à la presse, mercredi 20 janvier. Il a dressé un constat alarmiste de l’état du nucléaire en France, dans un discours d’une trentaine de minutes autour de trois motifs d’inquiétudes principaux.

Pierre-Franck Chevet, le président de l’ASN, est très inquiet de la situation du nucléaire

Le premier concerne ce qu’il qualifie d’« enjeux sans précédents », dont l’épineux dossier de la prolongation de durée de fonctionnement des réacteurs au-delà de 40 ans. Une prolongation dont le gendarme du nucléaire français a rappelé qu’elle n’était « pas acquise »« on est loin d’avoir décidé des conditions » – mais dont l’échéance se rapproche, avec une première visite décennale fixée à Tricastin I en 2019. Alors qu’un avis de l’ASN sur cette éventuelle prolongation est attendu pour 2018, une première « décision » – sorte de document de prescription fixant les grandes orientations – est annoncée pour les prochaines semaines. Sur ce sujet, Pierre-Franck Chevet a d’ailleurs manifesté le souhait d’« organiser la participation du public », « pas prévue par la loi mais nécessaire au vu des enjeux ».

Les mystères du coût de Cigeo

Deuxième source du tracas, la situation de l’industrie nucléaire. Visant sans les nommer EDF et Areva, il a déploré leurs « grandes difficultés économiques et techniques », soulignant que si « le gouvernement a pris une bonne décision en réorganisant la filière à l’été dernier », « il y a encore beaucoup de temps qui va s’écouler et nous sommes dans cette zone de transition où les organigrammes ne sont pas complètement arrêtés et où les capacités financières ne sont pas là, ou certainement pas à la hauteur des enjeux à traiter, et c’est pour moi un sujet de préoccupation majeure ». L’ASN sera « extrêmement vigilante et rigoureuse » pour s’assurer que les compétences humaines essentielles ainsi que les investissements nécessaires pour la sûreté soient maintenues.

Troisième motif d’inquiétude, le manque de moyens accordés à l’ASN pour faire face à tous ces enjeux. Alors qu’elle demandait 200 postes supplémentaires – soit une augmentation de 20 % de ses effectifs – seule une trentaine d’embauches aurait été obtenue. « J’en appelle à une réforme de nos systèmes de financement de manière à ce que l’on puisse avoir durablement les moyens dont nous avons besoin », a déclaré Pierre-Franck Chevet à l’intention du gouvernement. Conséquence du manque de moyens, le patron de l’ASN se dit obligé de prendre « des décisions de priorisation » : c’est ainsi que le contrôle sur les installations en fonctionnement prime sur les infrastructures nouvelles.

À l’arrière-plan des tranchées, des foreuses posent des bornes pour les études géotechniques à Bure, dans la Meuse, sur le site du projet CIgéo, en novembre 2015.

Or c’est sur deux installations en projet que la séance de questions-réponses avec les journalistes s’est finalement attardée. Sur Cigéo, d’une part. Le projet de centre d’enfouissement des déchets radioactifs à Bure (Meuse) est revenu dans l’actualité avec le débat sur son coût prévisible. La ministre de l’Ecologie l’a fixé par arrêté à 25 milliards d’euro. Le chiffre semble loin des projections de l’ASN qui avait pour sa part jugé « optimiste » le montant calculé par l’Agence nationale pour la gestion des déchets radioactifs (Andra), l’opérateur chargé de la construction du site, et qui évaluait le coût à… 32,8 milliards d’euros.

M. Chevet s’est pourtant refusé à commenter le chiffre, exprimant simplement sa confiance « dans les calculs très savants des services du ministère », calculs dont il a par ailleurs indiqué ne pas avoir le détail – tout comme ceux des exploitants, qui avancent le chiffre de 20 milliards, mais sans publier le détail de leur estimation. Le patron de l’ASN s’est contenté de rappeler que ce chiffrage ne pouvait être considéré comme définitif, au vu de la durée – 140 ans – sur laquelle porte cette évaluation…

EPR : « La question de savoir s’il n’y a pas eu d’autres anomalies »

Sur l’EPR de Flamanville, d’autre part, le responsable des gendarmes du nucléaire s’est montré plus loquace. Après avoir confirmé le caractère sérieux des anomalies identifiées sur la cuve du réacteur en avril dernier, ainsi que celles identifiées sur les soupapes qu’avait révélées Le Journal de l’énergie, Pierre-Franck Chevet s’en est inquiété : « Cela arrive qu’il y ait des anomalies. Mais dans les deux cas, ces anomalies ont été largement identifiées sous l’impulsion de l’ASN et de son appui technique. Elles n’ont pas été découvertes naturellement par les systèmes de contrôle de l’exploitant. En ça, cela me paraît relativement préoccupant et cela pose immédiatement la question de savoir s’il n’y a pas eu d’autres anomalies qui n’auraient pas été détectées. »

Conséquence, il en appelle à « un réexamen systématique de la qualité des fabrications passées », un réexamen en cours actuellement sur l’usine d’Areva au Creusot, qui a fabriqué les cuves de l’EPR. L’ASN a aussi confirmé qu’elle allait mener de nouvelles recherches sur de possibles autres anomalies à Flamanville. Une décision sur ce problème est attendue d’ici la fin de l’année 2016, à l’issue de l’instruction qui se poursuit et des essais qui doivent y être menés.

Pour le directeur de l’ASN, le niveau de gravité employé dans cet exercice de communication se voulait probablement le gage de conscience de la responsabilité qui incombe aujourd’hui l’ensemble de la filière, lui qui rappelait ainsi au détour d’une phrase que « si un accident type Fukushima survenait, et on ne peut l’exclure, ce serait plusieurs pays européens qui seraient concernés ».

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