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ReportageGrands projets inutiles

Le peuple de Lannion unanime contre un projet ravageur d’extraction de sable

Des milliers de personnes sont attendues ce samedi matin à Lannion, dans les Côtes d‘Armor, pour s’opposer à un projet d’extraction de sable dans la baie. Ils dénoncent les dangers de ce projet sur l’emploi et l’environnement, mais aussi le déni de démocratie.

-  Trébeurden (Côtes d’Armor), reportage

Impossible d’ignorer la manifestation organisée ce samedi 24 janvier, les banderoles foisonnent le long des routes et sur les ronds-points, les vitrines des commerces sont recouvertes d’affiches : une large part de la population se réunit pour se faire entendre, défendre la baie de Lannion, sa biodiversité et son équilibre économique.

A l’heure où la sauvegarde de l’emploi semble être une priorité, Philippe Priser, marin-pêcheur à Trébeurden, dans la baie de Lannion, craint de devoir mettre la clef sous la porte : « Le secteur de la pêche va mal, on a de nombreuses contraintes à respecter, comme la récente réglementation de l’Europe sur les bars, on fait des efforts ; et de l’autre côté, on va accorder une concession à une société privée qui va détruire la baie de Lannion et nos emplois. » Incompréhensible pour ce marin qui connait la baie comme sa poche, car il s’agit de son lieu de travail.

Chaque jour, il va en mer, comme une centaine d’autres pêcheurs, en quête de bars et autres poissons prédateurs. Petit pêcheur côtier, il rentre au port avec cinquante kilos de poissons par jour, dont 80% proviennent de la future zone d’extraction (LIEN carte de la pêche dans la baie. Pour lui, la cohabitation avec une activité d’extraction de sable est impossible. « Je n’ai rien contre les sabliers, mais pas ici, parce qu’ils vont détruire la baie et notre travail. »

Le projet est porté par la Compagnie Armoricaine de Navigation (CAN), filiale du groupe agroalimentaire Roullier. Il vise à extraire 400 000 m3 de sable coquillier pour le vendre aux agriculteurs afin qu’ils puissent amender les terres, optimiser leur teneur en acidité et mieux structurer ces sols.

Les treize communes concernées sont opposées à l’extraction de sable

L’enquête publique a été lancée en 2010, les treize communes impactées ont toutes affirmé leur opposition à cette activité ; le commissaire enquêteur a quant à lui émis un avis favorable sous réserve d’aménagements.

Hier vendredi, à la veille de la manifestation, la CAN a expliqué être prête à revoir sa copie, elle propose de n’extraire que 250 000 m3 par an et de cesser l’exploitation du site de mai à août pour la reproduction des poissons.

Pour Odile Guérin, géologue et élue à la mairie de Trébeurden, une des communes concernées, « il n’y a pas d’aménagement possible, ce n’est pas une question de quantité, l’extraction de sable va détruire la baie et l’activité économique, de la pêche au tourisme, en passant par le nautisme ou la plongée. » Le président du collectif Peuple des dunes en Trégor, Alain Bidal, renchérit : « L’Etat finance des zones naturelles protégées, et sur ce dossier, il se positionne en faveur d’un projet qui va détruire ces mêmes zones protégées. »

- Alain Bidal -

Le sable coquillier tant convoité se situe sur une dune sous-marine située à cinq kilomètres de la côte. Pour le récupérer, un bateau irait l’aspirer, détruisant ainsi l’habitat de nombreux poissons, provoquant leur fuite. Cette zone est particulièrement prisée par les lançons, des poissons minuscules qui se trouvent à la base de la chaîne alimentaire, et qui vivent dans et sur le sable. « Plus de sable, plus de lançons, plus de poissons : bref un désert », assène le marin Philippe Priser.

La côte serait également fragilisée selon la géologue Odile Guérin. De par sa nature géologique, « la côte est particulièrement sensible à l’érosion. Retirer du sable va creuser le sol, accroître la houle et donc l’érosion. »

Le risque d’un désert sous-marin

Autre conséquence, selon Alain Bidal : « Le bateau va relâcher des particules qui vont rester en suspension avant d’aller se déposer au gré des courants, elles vont donc inévitablement terminer leur course dans les zones Natura 2000, qui encadrent la zone d’extraction, à moins de deux kilomètres. Lorsque ces particules retombent, elles asphyxient la faune et la flore. Nous allons nous retrouver avec des paysages lunaires, où il n’y aura plus rien. »

Il dénonce l’enquête publique, la jugeant bâclée. L’obstination de l’Etat l’énerve : « tout le monde est contre ce projet : les élus, les habitants, les naturalistes, les pêcheurs, le secteur touristique, les commerçants ; mais le dossier suit son cours dans les cabinets ministériels : je ne comprends pas. »

Déni de démocratie

Les arguments contre le projet s’attaquent à tous les fronts : écologique, économique et politique ; Ségolène Royal, la ministre de l’Ecologie, a même pris position contre cette activité. Pourtant, un avis favorable à l’extraction semble se dessiner, selon le président du collectif qui regroupe une cinquantaine d’associations.

« Cette activité ne sert que les intérêts d’une entreprise privée au détriment de toute une région ; elle ne correspond à aucun besoin », explique Odile Guérin. « On estime que les agriculteurs ont besoin de 100 000 m3 de sable pour amender leur sol, pas 400 000 m3. Où va aller le reste ? A l’exportation probablement, mais ce n’est pas dit. » Elle s’étonne du découpage des sites Natura 2000, « la zone située entre ces deux sites coïncide parfaitement avec celle où se trouve le sable coquillier que le groupe Rouiller veut extraire. Etonnant, non ? »

- Odile Guérin -

Contre le déni de démocratie, tout casser ?

Pour le président du collectif Peuple des dunes en Trégor, Alain Bidal, « tout ceci est absurde, nous sommes en plein déni de démocratie. » A la différence des conflits autour du projet d’aéroport à Notre-Dame-des-Landes, le barrage de Sivens ou le Center park de Roybon, les élus locaux sont unanimement opposés au projet. « Et pourtant, ses promoteurs continuent », dit Alain Bidal. « Ils vont trop loin, ils vont déclencher la colère de la population, et ça, ils devront l’assumer. »

Ce ras-le-bol, ce sentiment de ne pas être entendu est partagé par le marin-pêcheur, Philippe Priser. « Cela fait quatre ans qu’on fait attention pour qu’il n’y ait pas de débordements et quand on voit le résultat, on se rend compte que ceux qui ont raison, ce sont les bonnets rouges. C’est en cassant tout, qu’ils ont réussi à faire plier le gouvernement. Alors s’il le faut ; et bien, c’est ce qu’on fera. »

Plus de 4 000 personnes sont attendues ce samedi dans le centre-ville de Lannion, parmi elles, des habitants, écologistes, professionnels du tourisme, du nautisme, pêcheurs, mais aussi de nombreux élus, dont Christian Troadec, maire de Carhaix et leader des bonnets rouges.

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