Enquête — Climat : de COP en COP
Le site de la COP 21 au Bourget sera énorme... et pas écolo

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Climat : de COP en COPLa conférence sur le climat aura lieu en décembre près de Paris, au Bourget. Un site impressionnant, puisqu’il faudra accueillir plus de 40 000 personnes dans des conditions particulières. Mais pour l’aménager, les solutions les plus respectueuses de l’environnement n’ont pas été retenues, comme le révèle notre enquête.
Comment accueillir 45 000 personnes en préservant le climat ? Pour la France, la COP 21, du 30 novembre au 11 décembre, ne se limite pas à un casse-tête diplomatique – faire s’entendre 196 Etats sur un accord international permettant de limiter le réchauffement climatique. Proposer de bonnes conditions de travail aux quelque 20 000 délégués et représentants d’ONG accrédités tout en aménageant des espaces d’échange et d’animation pour autant d’associatifs, d’entreprises et de simples visiteurs... Le défi logistique pour le pays-hôte est immense.
Fort de ses dix-huit hectares dont 80 000 mètres carrés de halls, le Parc des Expositions Paris le Bourget a été retenu pour recevoir la conférence. 80 000 mètres carrés de structures temporaires supplémentaires devraient y pousser d’ici fin novembre. A l’ouverture de la COP 21, le site sera divisé en trois espaces. Le centre de conférences, réservé aux personnes accréditées, sera géré par l’Organisation des Nations Unies (ONU). Outre deux salles plénières, cœur des négociations, il abritera trente-deux salles de négociations, une salle de presse et des bureaux.
A sa gauche, l’espace Générations Climat offrira à la société civile dix salles de conférence, un auditorium et quelque 10 000 mètres carrés de stands et d’expositions. A sa droite, la Galerie constituera un lieu d’exposition pour les entreprises. La première pierre de cet ouvrage impressionnant sera posée le 5 octobre. Il mobilisera une cinquantaine de prestataires et d’entreprises.

« La forme doit refléter le fond »
Un tel chantier pourra-t-il être écologique ? Pour le gouvernement français, la pression est forte. En tant que présidente de la COP 21, la France entend jouer un rôle moteur dans les négociations. Difficile d’être crédible dans cette fonction si elle accueille les délégations dans des centaines de mètres carrés d’aggloméré et de moquette jetable. « Dans cette conférence, la forme doit refléter le fond », confirme Pierre-Henri Guignard, responsable de l’aménagement du site du Bourget en tant que secrétaire général de la COP 21. Il a présenté l’installation lors de l’événement En avant la COP 21 organisé le 10 septembre à l’Elysée en présence de François Hollande et de l’équipe officielle chargée de la négocation et de l’événement.
Le dossier de presse, remis au début de la matinée, l’atteste : « La France entend donner l’exemple en organisant une conférence éco-responsable fondée sur l’économie circulaire : zéro déchet, zéro gaspillage ; un vaste dispositif de tri ; du papier 100 % recyclé et recyclable ; la priorité donnée aux transports en commun... »
Ecologique... contraint et forcé
Dans une certaine mesure, le secrétariat de la COP 21 n’a pas le choix : les Nations Unies obligent les pays-hôtes à respecter certaines normes environnementales. « Depuis la COP 14, l’ONU impose la neutralité carbone de l’événement : c’est-à-dire la mesure des émissions de gaz à effet de serre et leur compensation ainsi que la publication de ces éléments », lit-on dans un document intitulé Expression des besoins, annexe de l’appel d’offres pour l’aménagement du site du Bourget. Même type de contrainte pour la consommation de papier.
- Télécharger le document, que Reporterre s’est procuré, intitulé "Expression des besoins" :
La préparation de l’écologisation du site de la COP 21 avait bien commencé. L’appel d’offres pour le concept scénographique du site du Bourget a été remporté, en décembre 2015, par une équipe composée des agences Encore Heureux, Construire, Quattrolibri et Elioth, dont la qualité environnementale des projets n’est plus à démontrer. Nicola Delon, architecte et co-fondateur d’Encore Heureux, a par exemple été commissaire de l’exposition Matière Grise sur la réutilisation des déchets dans le bâtiment fin 2014.
Fontaines à eau et compostage
Leur concept était réellement ambitieux sur le plan environnemental. « Nous avons prévu de n’utiliser que des matériaux bio-sourcés, issus de filières renouvelables, explique Nicola Delon. Par exemple, de très grands panneaux de bois massifs qu’on devait rendre au fabricant après la conférence, pour qu’il puisse les remettre en magasin. » Aucun détail n’était laissé au hasard : bouteilles en verre récupérables plutôt que canettes, fontaines à eau et à coca, récupération de la chaleur issue de la cuisson des aliments pour chauffer le site, compostage, forêt de drapeaux avec mâts en bois... « Notre ambition était d’anticiper en amont ce qui en aval aurait pu causer des déchets », complète Julien Dossier, fondateur de Quattrolibri.
Clou du spectacle, une magnifique salle plénière en bois massif, démontable, à très haute performance énergétique. « Elle avait une valeur hautement symbolique, souligne Nicola Delon. Elle serait restée l’endroit où a été signé l’accord de Paris. On devait la réinstaller en Seine-Saint-Denis après la conférence. »

Finalement aux manettes, le leader des foires et salons...
Mas de l’intention à l’action, il y a un fossé. L’appel d’offres est un marché négocié qui prévoit qu’une fois le concept remis, la mission de l’équipe est terminée. Encore Heureux et ses coéquipiers ont bataillé pour être associés au développement du projet et à la maîtrise d’œuvre. En vain. Leur idée a été confiée au leader des foires et salons Jaulin, bénéficiaire d’un accord-cadre qui lui garantit l’exclusivité sur les événements organisés par le ministère des Affaires étrangères, et qui compte dans son portefeuille de clients le Medef, Veolia ou encore Total.
Le concept développé par Encore Heureux et son équipe n’ayant pas valeur de cahier des charges, l’entreprise peut le réinterpréter à sa guise. « Au final, on ne sait pas ce qui va être réalisé », déplore Nicola Delon. Même si Pierre-Henri Guignard, interrogé en marge d’une conférence de presse, le 8 septembre, l’assure : « Nous avons retenu l’ensemble des éléments présentés par Encore Heureux. »
Renoncements pour causes budgétaires
Pas vraiment. En mai 2015, le secrétariat général de la COP 21 informe l’équipe qu’il renonce à son projet emblématique de salle plénière démontable. "Il nous a été dit qu’un projet nettement moins onéreux avait été retenu et qu’ils n’avaient pas besoin d’architectes", nous indique Nicola Delon.
« La salle plénière était dans le projet d’Encore Heureux un élément extrêmement prestigieux, très haut de gamme, explique le secrétaire général de la COP 21. Au moment de budgéter cet élément, nous nous somme rendus compte que les entreprises qui nous les proposaient, sur la base précise de la conception d’Encore Heureux, nous faisaient faire une dépense supplémentaire de quatre millions d’euros par rapport à un projet événementiel qui effectivement est moins glamour, mais qui est aussi réutilisable, qui est aussi en bois, 100 % filières françaises, et qui selon nous rentre totalement dans le cahier des charges. »

Cette décision découlerait du resserrement du budget, sachant qu’à l’heure actuelle seul un peu plus de 10 % du budget de la COP 21 est couvert par les entreprises, contre les 20 % espérés.
Mais pour Nicola Delon, l’argument n’est pas recevable : la salle plénière, d’un coût estimé à 6 millions d’euros, était prise en compte dans le budget de 43 millions d’euros élaboré par son équipe – inférieur aux 60 millions imposés.
« Tout cela n’a aucun sens »
Le coût de massue final intervient jeudi 10 septembre, quand une « visite virtuelle » du site est proposée lors de l’événement « En avant la COP 21 ». « C’est sans rapport avec ce que nous avions dessiné, fulmine Nicola Delon. Moquette verte, panneaux à particule [copeaux de bois agglomérés avec de la colle, NDLR], bambous au mois de décembre... Tout cela n’a aucun sens. On n’a retenu qu’une vague inspiration de notre salle plénière, singée avec des sortes de poutres en bois, pas du tout confortable. Nous allons devoir nous désolidariser tout à fait du projet. » Contacté par Reporterre, Jaulin n’a pas souhaité répondre à nos questions en invoquant un mystérieux « droit de réserve ».
Difficile d’estimer la qualité environnementale d’un projet sur une simulation 3D, et de faire à Jaulin un procès d’intention. Nicolas Delon juge que le chantier est mal parti : « On risque d’être éloigné des volontés initiales. »