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Le trafic maritime en Arctique va aggraver le changement climatique

Le changement climatique libère les eaux de l’Arctique, ce qui pourrait générer un important trafic maritime. Mais cela accélérerait le changement climatique… du fait des suies rejetées par les cargos. Car, on l’oublie, le trafic maritime est une source de pollution très importante.


Une conséquence inattendue de l’ouverture de l’océan arctique serait l’aggravation du changement climatique. C’est un cri d’alerte lancé par les observateurs des transports (en anglais).

Un paradoxe, puisque c’est le changement climatique lui-même qui permet l’ouverture de la route du nord aux cargos. La fonte de la banquise dans l’Arctique, de plus en plus acccentuée d’avril en octobre, ouvre deux voies nouvelles à la navigation.

Le passage du Nord Ouest longe l’Alaska par le nord, puis la côte du Canada, avant de virer au sud vers l’Atlantique. Il raccourcit le trajet de 1000 miles marins et épargne donc des tonnes de fioul par rapport au circuit par le canal de Panama. Du reste, le canal ne pourrait pas accepter un vraquier aussi monumental que le Nordic Orion, tout neuf, et conçu pour les eaux polaires, avec 80 000 t de charbon à bord, qui a franchi en septembre le passage du Nord-ouest.

Le passage du Nord Est, de l’autre côté, remonte de Sibérie par Béring et suit les côtes de Russie vers la Norvège, puis Rotterdam. Il prend quinze jours de moins, depuis la Chine, que la route par Suez, en évitant la Côte des Pirates (de son nom séculaire) à l’entrée de la Mer Rouge. Moscou l’autorise en été aux navires un peu blindés contre les glaces. Et en cinq ans, 495 déjà l’ont emprunté.

Excellent dira-t-on, autant d’économies de fioul, et donc d’émissions de CO2. Bon pour la Méditerranée, la Rouge, la Caraïbe, ces belles mers fermées, difficiles à nettoyer en cas d’accident. Mais les cargos brûlent un fioul dont les fumées déposent une poudre noire sur les icebergs ; elle absorbe l’énergie solaire, 24 heures sur 24 durant l’été polaire, ce qui accélère la disparition de la glace. Les suies accélèrent aussi la fuite du méthane gelé dans le permafrost (ou pergélisol), sur le sol et sous la mer. Or ce gaz a un pouvoir réchauffant bien pire que celui du gaz carbonique. Si ça continue, on ne pourra plus présenter la navigation comme le mode de transport le plus respectueux du climat.

Le transport maritime, source importante de pollution de l’air

Car globalement, en ce qui concerne le CO2, il est exact que le transport maritime est le moins émetteur des modes de transport : les bateaux requièrent moins d’énergie que tout autre véhicule à cause de la poussée d’Archimède (« tout corps plongé dans un liquide subit une force verticale, dirigée de bas en haut et opposée au poids du volume de fluide déplacé »). Plus ils sont gros, plus la poussée s’exerce et malgré le trafic vertigineux des marchandises à travers le monde, les cargos ne contribuent que pour 3 % aux émissions globales de gaz à effet de serre. Mais ils portent d’autres coups très durs à l’air et la santé.

A dire vrai on ne les voit pas, on les oublie, sauf lorsque, par malheur un porte conteneurs, de 16 000 boîtes de la taille d’un studio tout confort, fonce dans la tour de capitainerie du port de Gênes qui ne résiste pas ; ou si l’un de ces monstres dérive coupé en deux.

- Le Mol Confort, coupé en deux dans l’océan indien en juin 2013 -

La photo fait le tour du monde, on se rappelle leur existence. Tandis que les camions, on a le nez dessus, on ne voit que ça.

Pour se rendre compte de l’importance des cargos, il faut voir la carte des oxydes d’azote sur l’Europe, établie par David Fowler du Centre pour l’Hydrologie et l’Ecologie, d’Edimbourg et ses co-auteurs :

Comme le soulignent les auteurs, « les flux d’émissions d’azote observées sur l’Europe révèlent l’importance du transport maritime international à l’échelle continentale ». Dans cette étude, le transport maritime émet plus d’oxydes d’azote que le réseau d’autoroutes français, qui n’apparaît même pas. On suit les maxima de la pointe de la Cornouaille à celles du Finistère, de Gibraltar et de l’Etna vers Suez.

Le NOx, oxyde d’azote, signe les combustions incomplètes. Il est produit par les chaudières, les centrales à charbon, les cheminées, les cigarettes, les pots d’échappement. Le X de NOx indique l’instabilité de ce gaz, qui se transforme à toute vitesse : de NO, invisible, de bon matin, à NO2, nuage brun sur la grande ville quand monte la circulation. Puis l’air s’éclaircit, et s’il pleut, les oxydes d’azote se lient à l’eau, il tombe de l’acide nitrique, agressif pour la peau, la pierre, le métal, la flore, les poumons… Si le soleil brille, celui-ci cuit les NOx avec les gaz d’essence pour fabriquer des oxydants tel l’ozone, qui nocif pour la santé.

Certes les navires passent loin au large, les oxydants et les acides tombent en mer. Mais le vent d’océan les rabat sur le continent. Le même vent portait les pluies acides de France vers les forêts des Vosges et des Ardennes, d’Allemagne, de Tchécoslovaquie et d’Autriche, qui en mouraient au cours des années 80. Principal coupable alors, l’acide sulfurique né de la vapeur d’eau et du soufre du carburant diesel. La Suisse a mis le holà et interdit ses routes aux camions qui traversaient seulement la Confédération. Moins d’arbres malades, moins d’avalanches. L’Europe l’a compris et à son tour a légiféré, réduisant le taux de soufre dans le gasoil de 3% à 0,5%, et aujourd’hui 5ppm, soit 0,05 % voire 1 ppm pour le « sans soufre ».

Sur mer, c’est une toute autre affaire. Plus un pétrole est lourd, comme celui du Golfe, plus il est soufré. Longtemps les pétroliers qui venaient chargés de Suez, ont brûlé du brut à 5% de soufre. Au retour, ils recyclaient dans la chaudière les fonds de cuve de raffinerie, très toxiques, de composition mal déterminée.

Aujourd’hui les nations dont les navires battent pavillon, ou dont les ports vendent du carburant, ayant signé l’Annexe VI de la convention Marpol sur la pollution marine, - soit 94,77 % du tonnage de la marine civile - ne tolèrent que 3,5% de soufre dans le gaz oil, et 1% dans les zones dites de Contrôle des Emissions, dont la Baltique et la Mer du Nord (Manche comprise). En outre, les moteurs doivent être efficients et munis de dispositifs de mesure des NOx. Mais ce n’est qu’une convention « édentée », comme on dit en anglais, qui ne prévoit aucune sanction : « it has no teeth ». Les contrôles restent à discrétion du pays. Les ports n’hésitent plus à dénoncer aux autres ports les coupables de dégazages (rejets de pétrole en mer), au risque de perdre des clients. Mais on n’a pas entendu parler en Europe, d’amendes pour pollution de l’air en mer.

De plus certaines raffineries, dans les ports pétroliers, ont le droit de relâcher dans l’air le soufre qu’elles enlèvent au fuel. A Berre, par exemple, il s’ajoute aux fumées des vraquiers de Fos. Mais a-t-on vraiment besoin de tous ces gros cargos ?

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