Le très recommandable carnet d’un amoureux des arbres

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Nature ForêtsDans « Les arbres dont je suis fait et autres retours sauvages », Maurice Chaudière raconte ce qu’il doit à la nature, notamment aux arbres, qu’il a appris à connaître en pérégrin touche-à-tout.
Le titre du livre est mystérieux et déconcertant. Le livre ne l’est pas. Très joliment écrit, c’est en quelque sorte le testament d’un touche-à-tout, d’un homme curieux. Curieux des arbres, des animaux, de la nature plus globalement, qu’il a observée attentivement au cours de ses pérégrinations avant de jouer avec elle. « J’ai conscience aujourd’hui, presque impotent, écrit l’auteur, d’avoir voué ma vie à la curiosité de ce qui n’est pas moi (…) Comme le lierre, on a besoin pour s’accomplir de s’attacher à autre chose que soi. »
Ses attaches à lui sont multiples. Les apiculteurs les plus subtils savent qu’il est l’inventeur d’une ruche étonnante — horizontale et extensible, elle n’est constituée que des cadres —, qui se veut respectueuse des abeilles et de leur environnement (des vidéos de « la ruche Chaudière » circulent sur internet) et d’une méthode naturelle pour éliminer les parasites des hyménoptères.
Ceux qui s’intéressent aux arbres savent, eux, que l’auteur appartient à leur confrérie mais qu’il est inclassable. Il ne faut pas attendre de Chaudière des observations savantes sur la botanique pas plus que des connaissances théoriques sur le végétal. Sa connaissance très fine du monde des arbres, il l’a acquise non pas dans des livres mais sur le terrain, dans le midi de la France, où il habite, ou au fil de ses pérégrinations dans le monde méditerranéen.
Chaudière est un greffeur compulsif
Son domaine de prédilection est le greffage, dont il parle avec une passion communicative. Chaudière est un greffeur compulsif. Les membres d’une même famille végétale ont vocation à se marier. Fort de cette règle, il greffe tout ce qui peut l’être : les prunelliers en abricotiers, les chênes verts en châtaigniers, les frênes ou les troènes en oliviers, les térébinthes en pistachiers…
Dans le panthéon des porte-greffes dressé par l’auteur, l’aubépine figure en bonne place. Accueillante, elle se transforme indifféremment en poirier, en néflier du Japon, en cognassier, en pommier parfois, Chaudière en parle avec tendresse et respect. « Malgré la discrétion de sa présence dans nos friches, l’aubépine nous assiste ingénument et mériterait qu’on l’honorât davantage », fait-il valoir.
Mais si la greffe et les surprises qu’elle réserve occupe une partie importante du livre, en touche-à-tout qu’il est, l’auteur nous entraîne sur des chemins de traverse inattendus. Au fil des pages, il vante la beauté étrange d’une variété de pin, le Pinus bungeana ou pin Napoléon (on ne sait pourquoi il a été prénommé ainsi alors qu’il est originaire du Japon), dont le tronc lisse, puis écailleux, se desquame comme celui du platane ; les vertus thérapeutiques de l’écorce des rameaux de frênes pour prévenir la grippe ; la suavité d’un pâte à confiture à base de pulpe de cerises et de pétales de rose broyées ; ou la recette pour conserver pendant des mois le fruit du plaqueminier, le kaki (il faut le faire sécher, pelé mais encore ferme, suspendu bien au sec dans un grenier).
Un observateur perspicace et de bon conseil
Les remarques et les conseils de Maurice Chaudière ne sont pas ceux d’un baba cool solitaire, d’un marginal coupé du monde, mais d’un observateur perspicace et de bon conseil. Lorsqu’il évoque les cyprès, chers à son enfance en Algérie, pour déplorer qu’on n’en plante pas davantage dans un midi méditerranéen régulièrement ravagé par les incendies de pins, c’est un homme de bon sens qui s’exprime : « Ça ne fait pas des aiguilles, les cyprès. Les aiguilles sèches [des pins], c’est ça qui flambe, pour peu qu’on y balance du bord de la route, en pleine canicule, un méchant mégot ! Non seulement ça ne fait pas d’aiguilles, le cyprès, mais ça produit un terreau, discret certes, mais qui n’appelle pas le feu », explique-t-il à des agents des Eaux et Forêts venus le consulter.
Un an plus tard, les mêmes agents vinrent lui proposer d’expérimenter le comportement des cyprès et d’en planter sur son terrain des centaines et des centaines d’exemplaires. Trente plus tard, les arbres se portent à merveille. Une forêt de cyprès se dresse sur le terrain qui rappelle à l’auteur celle de son enfance à Zeralda, non loin d’Alger. Nul incendie ne l’a endommagée.

- Les arbres dont je suis fait et autres retours sauvages, de Maurice Chaudière, préface de Francis Hallé et Thierry Thévenin, éditions Actes Sud, octobre 2016, 272 p., 20 €.