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Pollutions

Les boues rouges de Gardanne confrontent Nicolas Hulot à ses engagements passés

Face à la pollution provoquée en mer et à terre par les boues rouges de l’usine d’alumine de Gardanne, les opposants ouvrent un nouveau chapitre judiciaire et demandent au ministre de la Transition écologique et solidaire, Nicolas Hulot, de se positionner. Comme citoyen, il avait demandé l’arrêt des rejets.

  • Marseille (Bouches-du-Rhône), correspondance.

Le dossier des boues rouges de Gardanne pourrait être un gravier sensible dans la chaussure du président de la République et de son ministre de la Transition écologique et solidaire, Nicolas Hulot. Dès 1966, l’usine d’alumine de la cité industrielle des Bouches-du-Rhône déversait ses effluents dans la fosse de Cassidaigne en Méditerranée. Une conduite d’une cinquantaine de kilomètres achemine cette fameuse boue rouge jusqu’à 300 mètres de fond. Ces rejets, qui présentent des concentrations en métaux lourds, soude et arsenic inquiétantes, tapisse le fond de la mer.

Fin 2012, un large regroupement d’ONG et de personnalités signait un appel pour l’arrêt des rejets. « Les boues rouges sont brassées par des courants marins qui dispersent les particules fines telles que les métaux lourds beaucoup plus loin en Méditerranée » y est-il écrit. Parce la toxicité qu’elles apportent pénètre dans la chaîne alimentaire « les boues rouges menacent donc directement la santé et l’environnement » argumentent les protestataires, dont l’un des illustres signataire est Nicolas Hulot, lui-même.

Au terme de l’année 2015, les rejets en mer auraient dû cesser. C’était sans compter la volonté du Premier ministre d’alors, Manuel Valls, contre l’avis de la ministre de l’écologie, Ségolène Royal. Au cours d’une réunion interministérielle houleuse, le 13 novembre 2015, Manuel Valls imposa la poursuite de rejets liquides pour six années supplémentaires. Son intervention directe engage le préfet des Bouches-du-Rhône à prendre un arrêté, le 28 décembre 2015, autorisant « le rejet d’un effluent liquide résiduel ». La nature de ce qui se déverse dans la mer a changé. Il ne s’agit plus que d’un liquide blanchâtre qu’Alteo, exploitant de l’usine, considère comme inoffensif. « Les concentrations de métaux lourds et d’arsenic, sont bien supérieurs qu’auparavant » affirme Olivier Dubuquoy, géographe à l’Université de Toulon et opposant de longue date.

C’est à terre que l’activiste entend mener bataille. Depuis qu’Alteo est obligée de séparer ses effluents, la partie solide des restes du minerai de bauxite est déposée sur la colline de Mange-Garri, sur la commune voisine de Bouc-Bel-Air. Selon les riverains, cette mise en décharge est néfaste pour l’environnement et la santé. Des études de la société civile ont démontré la toxicité et la radioactivité du stockage et des poussières qui s’en envolent. Les risques sanitaires sont aussi pointés par une note de l’Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail (ANSES) datée de janvier 2017.

Valls a « outrepassé ses pouvoirs »

Mercredi 28 juin, Olivier Dubuquoy et son association ZEA / Nation Océan ont tenu une conférence de presse pour annoncer de nouveaux recours en justice. La semaine dernière, Me Hélène Bras a saisi le tribunal administratif de Marseille au nom de trois riverains et de l’association pour faire annuler l’arrêté préfectoral du 21 juin 2016 qui autorise le stockage à Mange-Garri. Pour l’avocate du barreau de Montpellier, le déversement à terre constitue « un retour 50 ans en arrière » puisque la colline de Mange-Garri servait de décharge à Péchiney, exploitant de l’époque de l’usine, avant la construction de la conduite. Un autre recours est parallèlement défendu par Me Bras au tribunal administratif de Marseille contre l’arrêté à propos des rejets liquides en mer. «  Celui de juin 2016 est un arrêté béquille. L’arrêté de décembre 2015 ne mentionne pas les rejets solide comme si la pollution avait disparue » commente Olivier Dubuquoy.

Maître Hélène Bras et Olivier Dubuquoy, de l’association ZEA - Nation Océan, mercredi 28 juin, lors d’une conférence de presse à Marseille.

Avec son avocate, ils saisissent également le Conseil d’Etat. Au moyen de diverses démarches juridiques, les opposants cherchent à obtenir depuis plusieurs mois le procès-verbal de la fameuse réunion interministérielle de novembre 2015. Le tribunal administratif de Paris a rendu un jugement en leur faveur le 6 janvier dernier, intimant l’ordre à l’administration de leur fournir copie du document. Le document a bien était envoyé « mais il y a des parties passées au blanco et nous n’avons que 3 pages sur 5 » s’offusque Me Bras. Ces lignes renseignent qu’au cours de la réunion « la ministre de l’Ecologie a fait valoir un avis très négatif ». Les opposants veulent obtenir la totalité du procès-verbal pour connaître les arguments précis qui ont conduit à l’autorisation.

L’autre enjeu est de démontrer « l’incompétence négative », selon le qualificatif de Me Bras, à l’œuvre lors de cette réunion. L’avocate assure que « l’autorité qui a pris cette décision est incompétente. Le Premier ministre n’a aucun pouvoir hiérarchique sur ses ministres. Il a donc pris un pouvoir qu’il n’a pas. » Cela témoigne selon elle d’un « Etat de droit flageolant ». « C’est la révélation de ce qu’a fait ce gouvernement avec l’écologie, une politique de gribouille. La caporalisation générale de ce gouvernement a conduit à une autorisation suplémentaire de polluer pour six ans. »

Hulot sur la réserve

Le tribunal administratif de Marseille aura beaucoup à faire. Six autres associations ont également déposé un recours contre l’arrêté du 28 décembre 2015 dont Surfrider Foundation, France Nature Environnement, Sea Shepherd et la LPO. Par ailleurs, l’élu écologiste de Marseille Hervé Menchon est à l’origine d’une recours hiérarchique auprès du ministre de la Transition écologique et solidaire. Quant à Olivier Dubuquoy, il entend rappeler Nicolas Hulot à ses responsabilités et à son engagement passé. Le nouveau ministre s’est exprimé sur RMC à ce propos : « Je récupère une forme de laxisme qui s’est fait pendant des années et des années et on se retrouve dans une situation où si on prend une décision ferme, on met des centaines voire des milliers de personnes au chômage. On va essayer de regarder si on peut combiner [cela] avec les impératifs écologiques. […] Je vais maintenant évaluer si on peut aller plus loin et plus vite. »

Confiant, Olivier Dubuquoy dit avoir un contact privilégié avec le ministre. « C’est désormais Emmanuel Macron que l’on veut interpeller. »

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