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Les maraîchers peinent à se passer de plastique

Une maraîchère bio bâche des buttes sur lesquelles elle va planter des fraisiers, en Loire-Atlantique, en février 2022.

Alors que les appels à réduire le plastique se multiplient, les maraîchers questionnent eux aussi leur utilisation de ressources fossiles. Mais les alternatives sont rares, voire plus coûteuses.

Sur leurs bâches en plastique tissé, les courgettes de Donatien Jeanlin, maraîcher dans les Yvelines, attendent un soleil masqué par les nuages. La présence de ces étendues de films synthétiques en agriculture biologique peut surprendre.

« Une partie de nos cultures sont en “maraîchage sur sol vivant”, c’est-à-dire qu’on travaille peu ou pas les sols et qu’on apporte massivement de la matière organique pour qu’ils s’autofertilisent. Cela demande beaucoup de paillage plastique, car on ne désherbe pas mécaniquement », explique l’agriculteur. Ces bâches « diminuent l’enherbement sur les cultures et limitent les maladies des plants qui se transmettent généralement via les éclaboussures de l’eau sur le sol », dit de son côté Antoine Charbonnier, maraîcher dans l’Indre. Mais pour ceux qui veulent s’affranchir du plastique, les alternatives restent rares.

La pratique du paillage plastique a commencé dans les années 1950 et n’a cessé de croître. En 2020, plus de 547 000 tonnes ont été mises sur le marché [1] en Europe. Pour les maraîchers, trouver une manière de protéger le sol et les plants de façon aussi efficace et peu chère qu’avec les polymères synthétiques est un casse-tête. Surtout dans un contexte où les agriculteurs subissent la pression des consommateurs qui demandent des fruits hors saison.

Les légumes poussent au contact des paillages plastiques. Mais des résidus de plastique peuvent ensuite rester dans les sols. Pxfuel/CC0

Des alternatives au plastique

L’une des solutions consisterait à poser des films de paillage biodégradable. Conçus à partir d’amidon de maïs, ils sont supposés se dégrader en quelques années. « Ces bâches restent très pratiques, mais elles ne se détériorent qu’au bout de deux ou trois ans et les résidus polluent visuellement les champs », explique Donatien Jeanlin. Ces plastiques sont mal connus et leur dégradation fait l’objet de nombreuses études.

« Nous devons vérifier que ces matériaux tiennent leurs promesses et qu’ils sont bien biodégradables et sans dommage sur la vie des sols », ajoute Stéphane Bruzaud, professeur à l’université Bretagne Sud et spécialiste de la dégradation des polymères. Mais pour Antoine Charbonnier, la production même de ces plastiques doit être réfléchie : « Est-il logique d’accaparer des terres agricoles, mais aussi beaucoup d’eau et d’énergie pour fabriquer ces plastiques ? » Le maïs est en effet une culture gourmande en eau au moment de l’année où elle est la plus rare, l’été.

« L’idéal serait des bâches annuelles en matière organique qui se décomposeraient en nourrissant le sol. L’année suivante, nous n’aurions qu’à installer une nouvelle couche par-dessus », suggère Donatien Jeanlin. L’entreprise Géochanvre propose ainsi des toiles tissées biodégradables et compostables. La culture du chanvre, considéré comme un engrais vert, fertilise également les terres. Le prix particulièrement élevé de ces toiles freine néanmoins l’adoption de cette alternative à grande échelle.

Les bâches annuelles sont en polyéthylène et sont installées grâce à des enrouleurs. © Camille Paschal / Reporterre

Selon Laurent Campos-Hugueney, maraîcher en agriculture biologique en Auvergne, la meilleure solution reste encore l’apport de matière organique, sous forme de paille ou de foin, au pied des plantations : « J’alterne entre des parcelles cultivées et des bandes enherbées. La terre peut se reposer et j’ai de quoi pailler les champs. Cela confère une très grande richesse en matière de biodiversité. »

Produire cette matière organique salvatrice requiert de la place, du temps et de l’argent. Dans le cas de Laurent Campos-Hugueney, son paillage maison ne suffit pas, il doit tout de même en acheter à d’autres pour subvenir à tous ses besoins : « C’est bien plus compliqué avec la matière organique qu’avec les plastiques, cela demande plus de temps, donc c’est moins rentable. C’est comme le coût de l’énergie verte, qui est plus élevée que quand elle est fossile ».

Aider les maraîchers

Afin de limiter les mauvaises herbes, les maraîchers pourraient se résoudre à remplacer les bâches plastiques par un binage. « En matière d’empreinte carbone, le binage demeure largement plus écologique que le plastique et le géotextile », selon Antoine Charbonnier. Cette pratique nécessite cependant plus de main-d’œuvre et de temps ou des machines spécialisées.

« Le machinisme agricole n’a pas développé des outils pour faciliter la mise en place du paillage organique ou pour alléger la difficulté du travail de maraîcher. Il faut inciter la profession à concevoir des appareils pour une agroécologie non polluante, économe en eau et favorisant le paillage organique. C’est essentiel pour notre avenir », assure Laurent Campos-Hugueney. La revalorisation des salaires des maraîchers et les subventions à l’équipement pour mettre en place de telles solutions manquent. « Il faudrait taxer tous les produits issus de la pétrochimie. Cet impôt bénéficierait directement aux solutions envisageables », dit Antoine Charbonnier.

Réduire l’usage de ces bâches en plastique devient pourtant urgent, tant elles sont source de pollution. « Les films de paillage annuels souvent en PVC ou en PE [polyéthylène] se dégradent au soleil en émettant des microparticules de plastique qui contaminent les sols », dit Stéphane Bruzaud. Ces milliers de microplastiques diminuent la densité apparente et la stabilité du sol, et seraient responsables d’un assèchement du sol. Les additifs contenus dans ces plastiques « sont capables de migrer vers les sols et de polluer les légumes », précise le professeur à l’université Bretagne Sud.

Mais pour espérer sortir un jour de l’ère du tout plastique, encore faut-il remettre la nature au cœur de nos préoccupations. « Si la richesse de la terre redevient l’économie de référence pour l’ensemble de nos transactions mondiales, et non le pétrole comme c’est le cas aujourd’hui, alors nous vivrons sur une Terre plus viable et durable », espère Antoine Charbonnier.

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