Média indépendant, en accès libre pour tous, sans publicité, financé par les dons de ses lecteurs

Tribune

Les pays pauvres commencent à souffrir de la crise économique

Victimes d’une crise dont ils ne sont pas responsables, les habitants des pays pauvres en subissent les premières et douloureuses conséquences. Mais si les pays développés ont trouvé les fonds nécessaires pour sauver leur système financier, l’aide au développement reste toujours aussi limitée.


1. Les pays pauvres et la crise financière
Quelques ordres de grandeur :
-  3 000 milliards de dollars, en quelques semaines, pour sauver les banques (selon Alternatives économiques).
-  70 milliards distribués aux traders de Wall Street, en pleine crise financière (The Guardian du 17 octobre).
-  103 milliards de dollars d’aide mondiale aux pays pauvres en 2007 (selon l’OCDE). Il en faudrait 50 milliards de plus par an, selon l’ONU, pour atteindre les objectifs du Millénaire en 2015 (diviser par 2 la faim et la pauvreté, etc.).
- L’UE ne trouve même pas 1 milliard de dollars face à la crise alimentaire.
-  88 milliards de dollars en 10 dix ans pour l’allègement de la dette des pays pauvres très endettés (selon Eurodad).

Impacts de la crise actuelle :
Ban Ki-moon (Secrétaire général des Nations unies) : « La crise actuelle va affecter tous les pays, mais ceux qui en souffriront le plus seront probablement ceux qui en sont les moins responsables : les plus pauvres. »
Robert Zoellick (président de la Banque Mondiale) : « Ce sont les plus pauvres et les groupes les plus vulnérables (…) qui risquent d’en ressentir les pires conséquences. »

Les pays et les populations les plus pauvres de la planète ne sont pas encore sortis de la crise alimentaire et la crise énergétique qu’ils s’apprêtent déjà à être les principales victimes de la crise financière actuelle :
-  Forte baisse de l’indice boursier des marchés émergents (MSCI).
-  Chute de la demande mondiale (agriculture, ressources minières et pétrolières, produits manufacturés) :
-  Réduction des exportations ;
-  Baisse des prix (pour les produits agricoles et les ressources minières et pétrolières) – avec des impacts très différenciés selon les pays.
-  Baisse des transferts de fonds des migrants vers leur pays d’origine (Ex. d’impact constaté : ralentissement du secteur du bâtiment en Afrique, habituellement financé par les transferts des migrants).
-  Chute annoncée des investissements privés dans les pays pauvres.
-  Le BIT prévoit une augmentation de 20 millions de chômeurs dans le monde d’ici à la fin 2009. Le nombre de travailleurs pauvres (gagnant moins de 2 dollars par jour) pourrait augmenter de 100 millions.
-  Risque de coupes sombres dans le budget d’aide au développement des pays riches pour financer les plans de sauvetage et de relance.
-  Risque de baisse des recettes fiscales (notamment douanières) qui amputerait le financement des secteurs sociaux de base.

2. Pourquoi les pays pauvres attendent depuis longtemps une réforme du système financier
Contrairement à une idée reçue, ce ne sont pas les pays riches qui aident les pays pauvres, mais l’inverse. Selon l’ONU, les transferts financiers Nord-Sud se font chaque année davantage au détriment du Sud (- 475 milliards d’euros en 2007).
A titre d’exemple, les Latino-Américains n’ont retrouvé qu’en 2007 leur niveau de vie de 1980. En cause :
•  Depuis 1982 et la première crise de la dette au Mexique, les budgets sociaux et le développement économique sacrifiés pour faire face aux crises de la dette ;
•  Les plans d’austérité, de libéralisation et de privatisation (ajustement structurel) imposés depuis 25 ans par le FMI et la Banque mondiale, chevilles ouvrières du système de Bretton-Woods, avec de graves conséquences sociales ;
•  La spéculation sur les monnaies, le surendettement et la fuite des capitaux, à l’origine des crises économiques du Sud-est asiatique (1997-98) et l’Argentine (2001), pourtant des élèves modèles du FMI ;
•  Les paradis fiscaux et judiciaires, vers lesquels s’envolent plus de 500 milliards de dollars par an depuis les pays du Sud, sous le coup de la corruption et surtout de la fraude fiscale massive pratiquée par les sociétés multinationales.
•  La spéculation sur les prix agricoles pratiquée par les hedge funds, ces fonds d’investissement généralement non régulés et abrités dans les paradis fiscaux, qui a contribué à la récente crise alimentaire et aux émeutes de la faim.

Les pays pauvres sont exclus de la prise de décision
 - Nées des accords de Bretton Woods en 1944, le Fond Monétaire (FMI) et la Banque Mondiale (BM) sont la chasse gardée des Européens et des Etats-Unis qui en nomment les dirigeants. Le G8 (13% de la population mondiale) possède la moitié des droits de vote et les Etats-Unis ont un droit de veto. Les 48 pays africains ont moins de 5% des droits de vote, à peine plus que la France.
- Le G8 se pose en directoire économique de la planète depuis plus de 30 ans. Le G20 ouvre la porte aux grands pays émergents, au poids démographique considérable, mais exclut plus de 170 pays, en particulier les plus pauvres.  
- 35 ministres des Finances africains ont fait la demande de participer au G20, le 15 novembre à Washington, mais en vain.
- Les pays pauvres sont carrément absents des instances de régulation de la dette (Club de Paris), de l’activité bancaire (Comité de Bâle) et de l’élaboration des normes comptables (International Accounting Standards Board - IASB).

3. Conférence de l’ONU sur le financement du développement à Doha (29 novembre - 2 décembre 2008)
On peut se demander pourquoi le G20 s’est hâté de se réunir pour organiser la refondation du système économique et financier international à seulement quelques jours de la conférence de Doha.
Prévue de longue date, la Conférence internationale sur le financement du développement, qui se tient à Doha (Qatar) du 29 novembre au 2 décembre 2008, réunit l’ensemble des Etats du monde, les organisations internationales compétentes, des représentants de la société civile et du secteur privé, sous l’égide des Nations unies. Pour la France, Nicolas Sarkozy a prévu d’y participer.
(…)
La conférence de Doha devra poser la question d’une nouvelle régulation internationale pour chacun des sujets qu’elle aborde : non seulement pour le secteur bancaire comme l’envisage le G20, mais aussi pour l’investissement, pour la dette, pour l’aide, pour le commerce, pour l’exploitation des ressources naturelles, pour la fiscalité.
Cette nouvelle régulation internationale devra répondre à 3 exigences :
- être légitime et ne pas se décider à quelques-uns, sans contrôle.
- être efficace – la façon dont les Nations unies fonctionnent aujourd’hui sur les questions économiques et sociales (au consensus, ce qui revient à octroyer un droit de veto à 191 pays) ne permet pas en l’état une régulation efficace.
- être juste – l’impératif de répartition plus équitable des richesses doit prévaloir, pour que les Objectifs du millénaire et les droits humains, dont on célèbre le 60e anniversaire de la déclaration universelle, ne restent pas lettre morte.
(…)
 


📨 S’abonner gratuitement aux lettres d’info

Abonnez-vous en moins d'une minute pour recevoir gratuitement par e-mail, au choix tous les jours ou toutes les semaines, une sélection des articles publiés par Reporterre.

S’abonner
Fermer Précedent Suivant

legende