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ReportageGrands projets inutiles

M. Valls a inauguré le tunnelier qui va forer le Lyon-Turin

Le premier ministre a inauguré le 21 juillet le tunnelier géant qui va commencer, côté français, le creusement d’un tunnel du Lyon Turin. Toutes les critiques de ce projet de 26 milliards, dont celle de la Cour des comptes, restent ignorées.

-  Saint-Martin-de-la-Porte (Savoie), reportage

Le tunnelier qui va creuser une partie de la ligne ferroviaire entre Lyon et Turin a été inauguré jeudi 21 juillet en présence de Manuel Valls. Dans quelques jours, cette gigantesque machine de 135 mètres de long, 11 mètres de diamètre et 2.400 tonnes, « d’une puissance équivalente à huit moteurs de Formule 1 », comme le précise le communiqué de presse de l’événement, commencera à creuser la montagne au niveau de Saint-Martin-de-La-Porte pour aboutir aux vallées du Piémont, en Italie.

L’excavation de cette galerie de 9 kilomètres de long n’est que la première étape d’un chantier pharaonique. En effet, le projet Lyon-Turin prévoit la construction d’un tunnel de 58 kilomètres, et de 270 kilomètres de lignes nouvelles.

Quelque 300 personnes ont été conviées à ce raout avec visite guidée, amuses-bouches, et discours du premier ministre. Des élus, des fonctionnaires de collectivités locales, et des professionnels du secteur des transports, pour la plupart convaincus de la pertinence de ces travaux.

Pourtant, les organisations ou partis politiques qui dénoncent ce grand chantier ne manquent pas. Il y a, entre autres, France Nature Environnement, Sud-Rail, Vivre en Maurienne, le Parti de gauche, ou Europe-Ecologie Les Verts.

Supposé désengorger les tunnels routiers du Mont-Blanc et du Fréjus – 1.200.000 camions de marchandises y circulent chaque année -, cette ligne s’est révélée très complexe à réaliser. En plus de provoquer la destruction d’espèces protégées et de tarir les sources et les massifs, elle coûterait extrêmement cher : 26,1 milliards d’euros selon un référé de la Cour des comptes publié le 5 novembre 2012.

« C’est un projet absurde, démesuré et inutile, puisque des liaisons ferroviaires existent déjà, y compris pour le fret, et qu’elles sont pour le moment largement sous exploitées », a indiqué Europe Ecologie-Les Verts dans un communiqué publié le 20 juillet.

Tout ceci sur fond de conflits d’intérêt et de grandes vagues de contestation en Italie.

Jeudi 21 juillet, une dizaine d’opposants à la ligne essaient de sensibiliser journalistes et invités sur le parvis de la gare de Chambéry, où des navettes étaient affrétées pour l’événement. « On voudrait qu’ils entendent un autre son de cloche », explique Jean-Paul Richard, un militant.

Raté. Les personnes accréditées rejoignent rapidement le bus. Ils ne verront plus d’opposants, puisque des barrages de gendarmes sont installés sur les routes aux alentours du site.

L’arrivée de Manuel Valls : inauguration sans opposants

Une fois sur place, l’opération séduction de la Tunnel Euralpin Lyon-Turin (Telt) commence. Cette société a été créée le 23 février 2015, au moment de l’annonce du lancement des travaux par François Hollande et Matteo Renzi, Premier ministre italien. Composée de six groupes du BTP dont Spie batignolles et Eiffage, elle est en charge de la construction et de la gestion de la future ligne.

Un « Storybook » de 46 pages dédié notamment à l’histoire du Lyon-Turin est distribué, ainsi que des casques de chantier en plastique.

Transparence : « Manuel Valls ne répondra à aucune question »

Puis la cérémonie d’inauguration de « Federica » (le doux nom du tunnelier) démarre dans la galerie souterraine où est installé l’engin. Manuel Valls, entouré d’une poignée de VIP, regarde un film de promotion projeté sur la voûte du tunnel : « … un réseau qui rendra les citoyens européens encore plus citoyens du monde », conclut une voix féminine. Puis une violoniste joue l’Ode à la joie, l’hymne européen.

Et pas question de plomber l’ambiance. « Manuel Valls ne répondra à aucune question », nous prévient le conseiller en communication de l’événement.

La majorité de l’assemblée et les journalistes, restés en surface, peut ensuite descendre par petits groupes dans la galerie. Dans un minibus, notre groupe entame une descente de 9 kilomètres, dans les tunnels de service construits entre 2002 et 2010.

Le véhicule s’arrête à l’entrée du tunnelier, à 700 mètres sous terre. Nous montons sur la passerelle qui encadre le long cylindre pour remonter vers sa « tête ».

Dans la passerelle du tunnelier, qui conduit vers sa tête

La gigantesque machine a été fabriquée au Creusot, puis démontée pour être transportée. 34 convois exceptionnels ont été nécessaires pour acheminer l’engin jusqu’à Saint-Martin-la-Porte.

Des lumières, oscillant entre le bleu et le vert, donnent un look futuriste à Federica. Des ouvriers – tous ont moins de 30 ans et un sourire ultra brillant – veillent à ce que les visiteurs ne se blessent pas.

Carole, employée de la Telt et guide improvisée, nous explique comment fonctionne la machine. « Sa tête broie la roche en tournant sur elle-même. Les matériaux sont immédiatement évacués sur une bande transporteuse. » Ces sortes de tapis roulants remontent la galerie jusqu’à la surface, puis empruntent des tubes métalliques qui courent à travers le paysage des Alpes pour cracher les gravats deux kilomètres plus loin.

Cette installation longue de 2 kilomètres sert à évacuer les gravats...

La machine devrait ainsi creuser le mont Cenis d’une dizaine de mètres par jour environ, fonctionnant 24 heures sur 24, 7 jours sur 7.

Une perspective qui enthousiasme Hubert du Mesnil, le président du Telt. « De manière symbolique, nous aurons désormais deux tunneliers qui creusent des deux côtés de notre montagne, déclare-t-il pendant son discours. Federica, nous venons de le voir, est prête à se mettre au travail alors que sa cousine, Maddalena, le fait déjà depuis quatre ans. » Le tunnelier italien a déjà creusé 5,5 kilomètres sur les 7,5 prévus pour cette partie de l’ouvrage.

Puis, Manuel Valls le remplace au micro. « Il y a urgence à agir pour le ’report modal’ de la route vers le rail, affirme le Premier ministre. Il permettra de réduire les émissions de gaz à effet de serre, en particulier dans les vallées de l’Arve et de la Maurienne. Ce projet participe ainsi de notre effort pour respecter les engagements pris en matière de réchauffement climatique lors de la COP21. »

« Sur le rapport du conseil d’administration de 2015, la date de mise en service est estimée à 2031, commente Daniel Ibanez, membre de la Coordination des opposants au projet Lyon-Turin, joint après l’événement. Pendant 15 ans, les habitants des vallées alpines vont donc continuer de subir la pollution, alors qu’il serait possible d’utiliser la ligne ferroviaire existante pour attirer les transporteurs routiers. »

Un détail pour Manuel Valls, qui parle d’un « ouvrage qui vaudra pour les générations à venir qui dans 20, 30, 40 ans profiteront de ce que nous entamons aujourd’hui », et pour son auditoire qui l’applaudit à tout rompre.

Fiers de gaspiller l’argent public. De gauche à droite Jean-Pierre Bernard, maire de Saint-Martin-de-la-Porte, Hervé Gaymard, président du Conseil départemental de Savoie, Emilie Bonnivard, vice-présidente à l’agriculture du Conseil régional d’Auvergne-Rhône-Alpes, Paolo Foietta, commissaire du gouvernement italien chargé du Lyon-Turin, Michel Destot, député de l’Isère, Jean-Pierre Vial, sénateur de Savoie, Bernadette Laclais, députée de Savoie, Manuel Valls, et Béatrice Santais, députée de Savoie.

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