Médine : les écolos déchirés, les Insoumis solidaires

Côté Verts, l’invitation du rappeur Médine à l’université d’été, annoncée fin juillet, a vite suscité des débats. - © Lou Benoist / AFP
Côté Verts, l’invitation du rappeur Médine à l’université d’été, annoncée fin juillet, a vite suscité des débats. - © Lou Benoist / AFP
Durée de lecture : 7 minutes
PolitiqueLa participation du rappeur Médine aux journées d’été d’EELV a divisé les écolos. Chez les Insoumis en revanche, pas de débat : on dénonce une « polémique orchestrée par l’extrême droite ».
Deux salles, deux ambiances. À la veille du lancement des journées d’été d’Europe Écologie-Les Verts (EELV) au Havre (Seine-Maritime), la venue du rappeur Médine continue de déchirer les écologistes. À l’autre bout de la France, à Valence (Drôme), les Insoumis s’apprêtent à accueillir l’artiste lors de leur rassemblement (les « Amfis »)… sans que cela crée de vagues.
Connu pour son engagement à gauche et son soutien aux grévistes durant la réforme des retraites, le rappeur havrais avait été invité à l’université d’été pour parler antiracisme et violences policières. Annoncée fin juillet, l’invitation a pourtant vite suscité des débats côté Verts. En cause : d’anciennes fréquentations et déclarations qui poussent certains à le soupçonner d’antisémitisme et de proximité avec l’islamisme [1]. Il a notamment réalisé une « quenelle » en 2014, un geste antisémite créé par l’humoriste raciste Dieudonné. Des accusations dont le rappeur se défend, comme dans Mediapart le 22 août. « La quenelle, c’est une vraie erreur de ma part, j’en porte le poids aujourd’hui. Pour moi, c’est de l’antisémitisme, je m’en désolidarise et je combats toute forme d’antisémitisme. » Dans Ballast, il y a un mois, il confiait vouloir « en finir avec les mécanismes d’oppression qui frappent à la fois les populations LGBT, à la fois les racisés, à la fois les féministes ».
Mais l’étincelle qui a mis le feu aux poudres de la polémique, c’est un échange d’invectives sur X (ex-Twitter). Début août, l’essayiste Rachel Khan, proche de la macronie, sortait le lance-flammes : « Tout le monde critique l’invitation [de Médine] aux journées d’été des écologistes, alors que c’est une très bonne idée pour l’atelier traitement des déchets. » Dix jours plus tard, rebelote, quand l’insoumise Mathilde Panot annonçait à son tour la venue de Médine aux « Amfis ».
Mme Khan, petite-fille de déportés, l’apostrophait : « Est-ce qu’il y aura une explication de texte de Médine et vous-même sur l’utilisation du mot rescapé ? » Référence au propos controversé de la députée, il y a un peu plus d’un an : elle avait alors déclaré qu’Élisabeth Borne était une « rescapée » des élections législatives, alors que le défunt père de celle-ci était un survivant de la Shoah. Réponse de Médine, le 10 août, toujours sur X : « ResKHANpé : personne ayant été jetée par la place hip-hop et bouffant au sens propre à la table de l’extrême droite. »
La patronne d’EELV a maintenu son invitation
Chez les Verts, en coulisses, c’est l’émoi, raconte Libération. Médine a été joint par téléphone dans les heures qui ont suivi. Le rappeur a supprimé son tweet et plaidé la maladresse. « J’ai attaqué le parcours professionnel de Rachel Khan. La formule, pas adaptée, qui a certainement dû heurter des personnes et je m’en excuse, n’était pas dirigée vers sa famille ni vers les victimes du drame de la Shoah », a-t-il écrit. Rachel Khan a effectivement déjeuné avec Marine Le Pen en avril 2021. L’essayiste proche du mouvement laïciste Printemps républicain, promue par la mairie de Paris à la tête d’un centre culturel hip-hop de la capitale, avait dû démissionner après de vives critiques du milieu.
L’explication de texte du rappeur n’a pas suffi à désamorcer les tensions. L’eurodéputée écologiste Karima Delli a ainsi lancé un hashtag #MedineFallaitPasLInviter. D’autres poids lourds du parti ont exprimé leur embarras.
On n'invite pas quelqu'un qui n’a qu’une audience relative en tant que rappeur, mais qui a par contre une audience disproportionnée en tant que vecteur du confusionnisme politique qui sévit dans la période.#MedineFallaitPasLInviter
— Karima Delli (@KarimaDelli) August 18, 2023
Après moult consultations, la patronne d’EELV, Marine Tondelier, a finalement maintenu son invitation. « Maintenant que nous y sommes, autant que ça serve à combattre l’antisémitisme, a-t-elle expliqué à Libération. Je ne suis ni l’avocate ni la porte-parole de Médine, c’est lui qui va devoir s’expliquer et convaincre. » Le débat, qui comportera un point sur l’antisémitisme, est prévu le 24 août à 18 h 45. Le rappeur sera face à la dirigeante d’EELV.
Mais là encore, l’annonce n’a pas eu l’effet apaisant escompté. Dans la foulée, les maires écologistes Pierre Hurmic et Jeanne Barseghian ont fait savoir qu’ils ne participeraient pas au rassemblement politique. L’entourage de Mme Barseghian a expliqué que Médine avait « une position trop ambiguë sur l’antisémitisme ».
« À l’heure où l’urgence climatique nous rappelle cruellement la nécessité de solutions impérieuses, nous avons trop de défis à relever pour nous disperser dans de vaines polémiques », a tranché le maire de Bordeaux dans un communiqué.
Une affaire pour « pourrir l’été des autres », selon Mélenchon
Chez les Insoumis en revanche, pas de tempête. Le 18 août, Jean-Luc Mélenchon a défendu le chanteur : « Médine n’est pas raciste. » Pour le leader de gauche, l’affaire tient à une « facétie » lancée par la macronie « pour pourrir l’été des autres », et entretenue par les médias « pour avoir de quoi parler ».
Pour la députée Clémence Guetté, « l’affaire Médine » relève d’une « panique morale qui n’est pas justifiée ». « C’est un artiste qui a subi en effet de nombreuses polémiques qui, pour beaucoup d’entre elles, sont orchestrées par l’extrême droite, sur lesquelles la macronie embraye », a-t-elle précisé à nos confrères de France Info.
Au sein de LFI, on préfère rappeler les récentes prises de position de Médine contre les violences policières, notamment depuis la mort du jeune Nahel. « C’est un rappeur populaire. Il a un écho auprès de beaucoup de gens. C’est important de discuter avec ce genre d’artiste », explique-t-on au sein du parti, rapporte Le Figaro. Aux « AmFis » d’été, il échangera donc avec Mathilde Panot, samedi 26 août.
Le philosophe Milo Lévy-Bruhl, bon connaisseur des textes de Médine, et cité dans Mediapart, reste réservé sur la réception de la polémique à gauche. « D’un côté, il ne faut pas faire des procès anachroniques : le Médine que je critique n’est pas le Médine d’aujourd’hui, qui en outre fait face à des attaques scandaleuses qui sont de l’islamophobie pure », dit-il. Mais il s’indigne que la gauche en vienne à considérer qu’il n’y a « que de l’instrumentalisation de l’antisémitisme par la droite, comme le fait toujours LFI », prévient-il, soulignant « l’énorme silence de la gauche depuis vingt ans sur l’antisémitisme ».