« On avait l’impression qu’il faisait jour » : en Corse, le choc des incendies

Le couvent de Curbara a été évacué la nuit de l'incendie. - © NnoMan Cadoret / Reporterre
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IncendiesMoins d’une semaine après l’incendie qui a ravagé les villages de Balagne, en Haute-Corse, les habitants racontent leur choc. La sécheresse et le manque de préparation font craindre pour les prochains jours et les prochains étés.
Balagne (Haute-Corse), reportage
Mercredi 26 juillet, vers 22 h, un feu a démarré au bord de la route du petit village de Pigna. Depuis plusieurs jours, les températures dépassaient les 35 degrés, et ce soir-là, un vent violent et tourbillonnant soufflait sur la Haute-Corse.
Très rapidement le feu a embrasé le maquis sec et a progressé à grande vitesse en direction du village voisin de Curbara. Il a fallu mobiliser deux Canadairs et deux cents pompiers toute la nuit pour le maîtriser.

Algérie, Tunisie, Grèce, Italie… ce feu en Balagne s’ajoute à la longue liste des incendies violents qui consument le pourtour de la Méditerranée.
Cinq jours après le drame, les habitants de Pigna sont encore sous le choc. Anne-Marie n’a que la largeur d’une route de montagne entre sa maison et le maquis en cendres. Devant sa porte, on sent la forte odeur que dégage le maquis brûlé, encore fumant par endroits.
Cette nuit-là, elle est allée se réfugier au cœur du village pendant que son mari et des amis ont passé plusieurs heures à arroser la route pour éviter la propagation.
« Je suis en colère. Je ne comprends pas comment on peut prendre plaisir à voir ça… surtout qu’on sait l’origine », lâche-t-elle, la voix pleine d’émotion. Neuf incendies sur dix sont d’origine humaine. Le parquet de Bastia a ouvert une enquête pour dégradations par incendie et mise en danger d’autrui, confiée à la gendarmerie de l’Île-Rousse.

Dans sa course destructrice, le feu est passé au bord du couvent de Curbara — évacué dans la nuit —, pour redescendre de l’autre côté du Monte Sant’Anghjulu et arriver au bord des villages de Santa-Reparata et Palmentu.
Marcellu, restaurateur, est originaire du village de Palmentu. Lui aussi était aux premières loges : « Ce qui est impressionnant, c’est qu’on avait l’impression qu’il faisait jour. »
Un tissu mouillé sous une cagoule et des lunettes pour se protéger, accompagné d’autres habitants, il s’est affairé à éteindre les départs de feux sur le village en tapant sur les braises avec des branches.
« Tout ici devient de plus en plus aride »
« Le problème c’est qu’avec le réchauffement climatique, tout ici devient de plus en plus aride, et on sait qu’on est exposé à ce genre de feux. On voit que la nature est plus sèche qu’avant, et on va vers plus de sécheresse, donc le risque ne fait qu’augmenter. »
Lucide sur la situation de la Méditerranée, Marcellu pense qu’il est nécessaire d’appliquer les mesures préconisées par les rapports du Giec pour inverser la tendance mondiale : « À notre échelle on fait le nécessaire, mais les enjeux nous dépassent. »

À la sortie du restaurant de Marcellu, deux habitants de Palmentu évoquent une solution qui, d’après eux, peut permettre d’éviter des drames. Ils aimeraient qu’une formation aux premiers gestes en cas d’incendie puisse être donnée dans les villages.
« Comment est-ce possible qu’un touriste canadien, en vacances ici, nous demande quel est le protocole à suivre, et que nous ne soyons pas en mesure d’en avoir un ? On est dans une zone à risques et on ne nous apprend pas ce qu’il faut faire », protestent-ils.

« Peu de gens le savent, mais ce qui est important en matière d’incendie, ce n’est pas le nombre d’hectares brûlés, c’est la profondeur de terre stérilisée. Un incendie se mesure en centimètres, pas en hectares. La terre est pleine de vie, pleine de germes pour le futur. Quand le feu passe très vite, quand ça brûle à la vitesse d’un cheval au galop, c’est comme un coup de pinceau léger. »
Pour l’artiste Toni Casalonga, à qui la Balagne doit la renaissance et le rayonnement artistique et musical du village de Pigna, il faut trouver les vertus du feu dans l’après-incendie.
« Un feu qui balaie, amène d’une part une forme d’engrais pour la terre, mais surtout pour nous, en tant que citoyens, on se rend compte que ce qui brûle, c’est le ciste [une des plantes composant le maquis], et s’il y a du ciste, c’est le signe de l’inculture. Quand il pousse, il empêche tout le reste de pousser. Quand il brûle, on redécouvre que la montagne était cultivée. Ce feu nous met, êtres humains, au-devant de nos responsabilités. Ces montagnes étaient cultivées : la première année on cultivait du blé, la deuxième année on cultivait de l’orge et la troisième année on laissait en jachère. En 1943, après la libération de la Corse, on cultivait la terre pour se nourrir. »
Si Toni Casalonga s’efforce de prendre de la hauteur et de trouver des vertus au feu, il précise malgré tout que « ce qui peut être bon pour la terre peut aussi en être le poison ».

Présents sur l’intervention, les pompiers d’Île-Rousse ne peuvent rien dire en dehors de la communication officielle. Ils confirmeront cependant que, malgré une sécheresse moins forte que l’été dernier à la même date, l’état de la végétation reste préoccupant et nécessite une surveillance accrue.
Ils sillonnent en permanence les routes de Balagne pour éviter un nouveau départ, et redoutent le retour du vent pour les jours à venir.

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