En Haute-Corse, un été sans eau

En Haute-Corse, de nombreuses vignes de Pierre Acquaviva sont sèches. - © NnoMan Cadoret/Reporterre
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ClimatAgriculteurs, locaux ou vacanciers : en Haute-Corse, la sécheresse affecte tout le monde. Des restrictions ont été annoncées pour éviter une pénurie d’eau courante d’ici 25 jours. Sur place, la situation inquiète.
Haute-Corse, reportage
Derrière le cliché des plages au bleu translucide et des petits villages de pierre grise, perchés dans les montagnes et dans le maquis, se cache la réalité du réchauffement climatique. Le 2 août, la préfecture de Haute-Corse a annoncé une nouvelle que beaucoup, ici, redoutent tous les ans : « Si nous continuons à ce rythme de consommation d’eau, compte tenu des évolutions météorologiques attendues, il n’y aura plus d’eau dans 25 jours. » Soit le 27 août.
Le compte à rebours vers une pénurie d’eau courante en Corse est lancé. Pour l’Île de Beauté, qui passe de 340 000 habitants tout au long de l’année à 2 millions l’été, la question de l’eau, de sa gestion et de son stockage, est un sujet préoccupant.
« Entre octobre et juillet, il n’a plu que six ou sept jours », se désolent Serena et Jonathan, jeunes bergers de Balagne. Ce n’est pas assez pour remplir le barrage d’E Cotule, unique réserve d’eau agricole de la région, ni pour permettre à la végétation de se développer suffisamment. Pour tenter d’économiser l’eau qui reste, des restrictions et interdictions — lavage de voitures, limitation pour les agriculteurs, etc. — ont été mises en place et les contrôles renforcés.
Habitants, professionnels, vacanciers... Comment vivent-ils avec la sécheresse ? Comment voient-ils l’avenir de la Corse ? Reporterre est allé à leur rencontre.
Serena et Jonathan, bergers

« C’est très compliqué depuis des mois, il n’y a pas de pluie. Pas d’eau. Les brebis cherchent de la nourriture partout, et sans herbe elles maigrissent. Nous avons besoin de 750 litres d’eau par jour pour abreuver nos 150 brebis. Tout ce qu’on gagne dans la vente du lait on le dépense dans le foin, on perd énormément de sous. On fait très attention à l’eau, on répare la moindre fuite, mais ça ne suffit pas. À côté, des vacanciers remplissent leur piscine. Ça ne devrait pas être possible. Les prochains mois seront très compliqués. Des éleveurs parlent d’arrêter leur activité. »
Pierre Acquaviva, vigneron

« La situation est très inquiétante pour nous. Elle se dégrade très vite, très fort. On est très inquiets : en avril, il n’y a eu que deux épisodes pluvieux de l’ordre de 80 mm en cumulé. Si cela se répète ces prochaines années, les vignerons perdront probablement leur production. La pérennité de l’agriculture me préoccupe. Le monde entier est touché par la sécheresse, nos modes de vie doivent changer, mais on n’est pas partis pour. »
Fabienne et Mario, vacanciers en camping-car

« C’est la deuxième fois qu’on vient en Corse. On fait très attention à la nature, on ne laisse aucun déchet, on évite de gaspiller l’eau. On ne change pas vraiment notre mode de vie, mais hélas, tous les étés on entend parler de sécheresse. L’échéance des 25 jours et la situation globale sont alarmantes en Corse et sur le continent. »
Lieutenant Come, pompier

« On est déployés tous les ans en Haute-Corse, de début juillet à fin septembre. La sécheresse change nos heures de surveillance : le risque d’incendie est plus élevé donc on nous demande de surveiller toute la journée et d’être en alerte immédiate la nuit. Par chance, on est sur une année sèche, mais sans grand feu pour le moment. »
Caroline Piana, forestière de l’ONF

« On mesure une fois par semaine le taux d’hygrométrie [1] sur la végétation entre la Corse et le sud de la France. On détermine ainsi des valeurs de sécheresse. Dans la plaine, à Calvi, le seuil est passé de sensibilité forte à très forte depuis le 2 août. La sécheresse de cet été est beaucoup plus forte que les années précédentes. Mi-juin, on avait déjà un mois d’avance sur la saison de sécheresse. Habituellement on voit plus d’eau qui coule et on a moins de défoliation sur la végétation. »
Joseph Colombani, président de la chambre d’agriculture

« On a cette épée de Damoclès chaque année. Il y a un vrai manque d’infrastructures en Corse : il tombe 8 milliards de mètres cubes par an et nous avons une capacité de retenir seulement 100 millions de mètres cubes. En Sardaigne, il tombe également environ 8 milliards de mètres cubes par an, pour une capacité de stockage de 2 milliards... »
Petru Antone Tomasi, porte-parole du mouvement Corsica Libera

« On a un vrai problème du stockage de l’eau en Corse, on stocke entre 1 et 2 % de l’eau. On est favorable à la maîtrise de ce secteur stratégique, avec un développement des capacités de stockage. Nous militons pour que les collectivités publiques aillent plus loin en matière d’aménagement et de stockage, et maîtrisent l’assainissement et la distribution. L’eau doit être gérée par le bien commun et la puissance publique.
C’est une aberration écologique d’interdire à des maraîchers ou à des éleveurs d’utiliser l’eau agricole, elle est nécessaire à leurs exploitations. En échange on leur propose notamment d’importer davantage de produits de l’extérieur, avec un coût carbone exorbitant. Les annonces préfectorales sont de l’ordre du sensationnalisme. Ni les résidents ni ceux qui produisent ne doivent être les premiers pénalisés par cette situation. »