Orpaillage illégal : au Brésil, l’armée au secours des Yanomami

Pour des raisons de malnutrition, des membres du peuple indigène Yanomami ont été secourus par des avions de l'armée de l'air brésilienne, le 28 janvier 2023. - © AFP/Michael Dantas
Pour des raisons de malnutrition, des membres du peuple indigène Yanomami ont été secourus par des avions de l'armée de l'air brésilienne, le 28 janvier 2023. - © AFP/Michael Dantas
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Mines et métaux Monde Forêts tropicalesAprès avoir décrété l’état d’urgence sanitaire en territoire yanomami, le gouvernement de Lula s’apprête à déclencher une opération militaire pour déloger les milliers d’orpailleurs de la plus grande réserve indigène du pays.
Rio de Janeiro (Brésil), correspondance
C’est une opération de grande ampleur qui se prépare pour mettre fin au génocide des Yanomami. Au Brésil, ce peuple indigène subit depuis des années les conséquences de l’orpaillage illégal. Les chercheurs d’or ont pollué au mercure tout ce territoire, sanctuarisé en 1992 et qui s’étend sur 96 000 km2 (18% de la superficie de la France métropolitaine) à la frontière avec le Venezuela, en faisant de lui le plus grand territoire forestier indigène au monde.
Le nouveau gouvernement brésilien de Luiz Inácio Lula da Silva, qui a sollicité l’ouverture d’une enquête pour génocide par omission à l’encontre de l’administration de Jair Bolsonaro, prépare une opération militaire pour retirer les orpailleurs clandestins du territoire. La première étape, baptisée « Bouclier », a été enclenchée le 1er février, avec un renforcement du contrôle de l’espace aérien pour empêcher les membres du trafic de pénétrer à l’intérieur de la réserve indigène et de se ravitailler.

Du 16 au 23 janvier, un millier d’indigènes ont été secourus par les équipes médicales d’urgence envoyées par le ministère de la Santé. Les cas les plus graves de malnutrition, de paludisme, d’infections respiratoires et de tuberculose ont été évacués par hélicoptère vers Boa Vista, la capitale de l’État de Roraima, où un hôpital de campagne a été monté pour les soigner. Avec plus de 11 500 cas de paludisme en 2022 et plus de 150 enfants morts de malnutrition depuis 2019, la crise humanitaire s’est aggravée ces quatre dernières années, au même rythme que l’avancée des orpailleurs sur le territoire Yanomami.
« C’est de loin la pire situation sanitaire et humanitaire que j’ai jamais vue », a raconté à son retour de mission André Siqueira, infectiologue de l’institut Fiocruz, dans une interview à la BBC. Les images d’enfants et de vieillards au corps squelettique ont profondément choqué l’opinion, dans un pays où 15 % de la population est en situation de grave insécurité alimentaire. « Voir des familles entières dénutries, ce sont des choses inimaginables, c’est dur d’être témoin d’une telle souffrance », s’est ému le spécialiste du paludisme.
Rivières et sols contaminés
Les terres déboisées par les orpailleurs dans le territoire indigène ont plus que doublé en 2022, pour atteindre plus de 5 000 hectares (50 km2), selon un rapport de l’association Hutukara Yanomami. La déforestation et les cratères inondés par une eau stagnante qu’ils laissent derrière eux favorisent la prolifération des moustiques, qui transmettent le paludisme. Ces trafiquants accaparent l’usage des pistes d’atterrissage qui servent aux équipes médicales, et en décembre dernier, ils ont incendié un centre de santé, privant plusieurs communautés indigènes de tout accès aux soins, aggravant la propagation du paludisme. Dans leur fuite, des orpailleurs ont tué trois Yanomami dans la région de Homoxi, a annoncé dimanche 5 février le chef yanomami Júnior Hekurari Yanomami.
L’armée de terre et la marine devraient agir aux côtés de la police fédérale cette semaine sur le territoire Yanomami, et l’Ibama, la police environnementale, vient de monter une cellule de crise à Boa Vista pour six mois. Tenir sa promesse d’éradiquer l’orpaillage illégal ne sera pas une mince affaire pour le président Lula, en particulier dans ce territoire plus grand que le Portugal. Mais cette opération est une réponse plus qu’attendue aux multiples appels à l’aide des associations indigènes locales, ignorés ces quatre dernières années par le gouvernement de Bolsonaro.
L’insécurité alimentaire et la crise sanitaire perdureront après le départ des orpailleurs. Le mercure qu’ils utilisent pour séparer l’or du minerai a contaminé les rivières et toute la chaine alimentaire pour les vingt à trente prochaines années, selon les biologistes. La contamination de ce métal par les aliments atteint en particulier le foie, les muscles et le système nerveux central.
« Nous devons aussi penser à des alternatives pour que les gens abandonnent cette activité criminelle au profit d’autres moyens de subsistance », a souligné la ministre de l’Environnement, Marina Silva, qui estime qu’en l’absence de statistiques, les orpailleurs pourraient être jusqu’à deux fois plus nombreux que les 20 000 estimés.