Quand s’engager devient tout simple

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Depuis fin 2014, l’association Astérya aide quiconque souhaite s’investir dans une activité bénévole à le faire. Elle le permet notamment aux personnes plus vulnérables, comme les demandeurs d’asile et celles en situation de handicap. Rencontres.
Cultiver des légumes dans un jardin partagé, défendre une cause… Vous aimeriez vous impliquer dans une activité qui vous stimule, vous fait chaud au cœur, mais le temps, la peur des contraintes vous retiennent ? Depuis fin 2014, l’association Astérya se propose justement de vous faciliter la chose pour trouver la mission bénévole qui vous conviendra le mieux ou même créer un projet associatif, coopérative ou conseil de quartier.
Le premier des outils d’Astérya, c’est son équipe de « connectrices citoyennes », trois « drôles de dames » douées d’une redoutable capacité d’empathie. Cécile Lizé, jeune licenciée en économie solidaire et sociale, est l’une d’elles : « Nous aidons d’abord la personne à préciser ses intentions. Car un besoin mal identifié peut être source de déception et de renoncement. Puis, une fois le désir clarifié, nous recherchons les missions associatives les plus adéquates, en tenant compte de toutes ses contraintes, de temps, de transport, de santé... »

Ensuite, selon l’autonomie de la personne, « soit nous lui envoyons la liste des associations possibles, et nous restons à disposition pour échanger ; soit, si la personne a besoin d’un soutien, nous l’accompagnons sur les lieux et entretenons un contact régulier avec elle pour vérifier que la mission — l’activité, mais aussi le lieu, les relations créées sur place — continue de lui convenir ».
Pour mettre vraiment l’action citoyenne à portée de chacun, Astérya accorde une attention toute particulière aux personnes vulnérables, notamment les handicapés et les demandeurs d’asile. « Nous organisons des ateliers d’information, par exemple dans des centres d’accueil de jour, pour les handicapés, ou des centres d’accueil pour demandeurs d’asile (Cada), afin de réveiller l’envie d’agir, parler des activités possibles, rassurer », précise Cécile Lizé.
« La personnification de la nuit étoilée dans la mythologie grecque »
Une disponibilité qu’apprécie Eléa Spampani, du Cada de Paris : « Les personnes que nous recevons ici ont traversé de grosses épreuves : viols, tortures, déchéance sociale, etc. L’empathie et la patience des gens qui les accompagnent, c’est ce qui va les aider à retrouver la confiance en elles nécessaire à une autonomisation sociale. Dans le cas du bénévolat, c’est d’autant plus important que c’est une expérience qui peut beaucoup les aider dans leur insertion professionnelle si la demande d’asile est acceptée. »
Pour Blandine Sillard, cofondatrice de l’association, « changer le regard des gens sur les bénéficiaires des aides sociales et changer le regard des bénéficiaires sur eux-mêmes, leur redonner confiance, c’est fondamental pour Astérya ». Une ambition salutaire, à une époque où les « bénéficiaires » d’aides sociales sont parfois réduits au « coût » qu’ils représenteraient pour la collectivité.
Pour réaliser ses objectifs, l’association a développé d’autres outils : des Cafés Envie d’agir, ouverts à tout un chacun, un Guide pour agir, qui répertorie des associations dans Paris et sa périphérie, et des portraits vidéos d’engagés, regardables sur son site.
Astérya, ce n’est pas un froid acronyme, « c’est la personnification de la nuit étoilée dans la mythologie grecque. Nous voulions évoquer l’idée de la constellation, raconte Blandine Sillard, des petits points isolés qu’on relie, et qui donnent du sens pour se repérer sur la terre, indépendamment des frontières ».
Claire : « Je voulais faire quelque chose sur mon lieu de vie, mais je ne savais pas quoi »

À 8 h 30, l’air est frais mais un soleil d’automne inhabituellement vif envoie quelques banderilles de lumière sur le parvis gris devant la halle Pajol, dans le 18e arrondissement de Paris. Avec quatre bénévoles de Quartiers solidaires, Claire, une jeune femme blonde qui travaille dans la bande dessinée, fabrique des sandwichs de confiture ou de Nutella avec des invendus récupérés lors de collectes dans le quartier. Devant eux, une file de jeunes hommes, africains pour la plupart. Ils trépignent sur place pour se réchauffer : ils ont souvent passé la nuit dehors.

Cet été, Claire a vécu une « aventure neuve pour [elle] » : avec l’association Route de Jérusalem, elle a marché dix jours de Nice à San Remo, en Italie, pour faire des liens entre les associations qui s’occupent des migrants des deux côtés de la frontière. Depuis qu’elle habitait le quartier de la Chapelle, à Paris, elle était troublée par tous les jeunes migrants qu’elle croisait : « Pendant la marche, j’en ai rencontré qui m’ont raconté des choses pas humaines : leur regard me prenait dans le ventre, comme s’ils avaient vu la mort plusieurs fois. » De retour à Paris, sur le conseil d’une amie, elle contacte Astérya : « Je voulais faire quelque chose sur mon lieu de vie, mais je ne savais pas quoi. Ils m’ont envoyé un PDF de deux pages de contacts. » Après quelques tâtonnements, elle décide de s’impliquer avec le groupe P’tit Déj à Flandre, qui organise des distributions de petits déjeuners dans son quartier. « Très simple : il suffit de s’inscrire avant sur un Google doc au planning de distribution. » Et elle s’en trouve mieux : « Je me sens beaucoup plus chez moi dans le quartier, et j’ai rencontré plein de monde. D’ailleurs, je suis en train de changer : je suis moins timide et plus souriante. »

Une fois par semaine, Claire se rend aussi dans le 1er arrondissement de Paris pour donner un cours de français à l’association la Clairière : « Je voulais transmettre quelque chose de plus pérenne qui permette que la situation évolue pour eux. Profs, élèves, on a tous entre 23 et 30 ans. C’est trop bien, les gens ont juste trop envie d’apprendre ! » Le mardi 24 octobre, avec une collègue, la timide Claire avait choisi comme support de cours une vidéo sur Che Guevara.
Blaise : « Grâce au jardin la Prairie, j’ai retrouvé la joie »

« Vous allez me poser des questions, c’est ça ? C’est bien, on m’a dit qu’il fallait que je parle. Vous voulez voir où je travaille ? » Blaise désigne une photo sur son smartphone où il pose avec Antoine, en costume festif traditionnel de Côte d’Ivoire. « C’est le responsable de la Prairie, le jardin où je travaille, à Bobigny. C’est moi qui lui ai prêté le costume pour une fête », explique-t-il tout sourire.

Svelte quinqua élégamment vêtu de jeans (« des vêtements des Restos du cœur », précise-t-il), Blaise attend la réponse à sa demande d’asile. « En juin, j’ai participé à un atelier sur le bénévolat à France Terre d’asile. Je voulais être utile, travailler la terre, comme mon père. » Il rencontre alors Marine, d’Astérya, qui lui présente la Prairie, ferme urbaine de l’association la Sauge. « J’ai commencé à travailler dès le lendemain. Que du bio : tomates, courgettes, blettes, je ne connaissais pas ça, les “blettes”, dit-il rieur. Le midi, on mange les légumes du jardin, parfois avec les stagiaires de l’école d’agriculture. »

Il tourne la tête de côté, les yeux dans le vague, puis recommence à dérouler les magnifiques images de parterres de légumes de son smartphone. « Je viens de Côte d’Ivoire. J’étais producteur de cacao, j’avais une belle maison, une famille. J’ai tout perdu en 2011, quand les rebelles [d’Alassane Ouattara et Soro Guillaume] sont venus détruire mon village. En 2015, j’ai porté plainte. Et là ils m’ont menacé de mort : “Tu te souviens de ce qu’on a fait à ton village ?” J’ai dû fuir pour la France en 2016. Il m’a fallu six mois pour oser sortir à nouveau dans la rue. »

« Grâce à la Prairie, j’ai retrouvé la joie. Avant, la chaleur humaine me manquait. Je pleurais beaucoup. » Blaise apprécie donc d’échanger chaque semaine avec Astérya sur ce qu’il vit à la Prairie : « C’est bien, je ne me sens pas abandonné. »

Lorsque le jardin a fermé ses portes pour congés en septembre, il en a profité pour aller voir « des personnes âgées avec les Petits Frères des pauvres. Pour parler avec elles, leur tenir compagnie. C’est un grand étonnement pour moi leur solitude. En Afrique, on vit avec les personnes âgées, malgré leurs caprices. Et on s’amuse ! »
Sadio : « La vie est dure. C’est bien de pouvoir construire quelque chose pour moi »

Sadio franchit la porte de la Menuiserie solidaire à 17 heures tapantes. C’est le début du Ménilibre, l’atelier collaboratif hebdomadaire de menuiserie d’Extramuros, une association installée à Ménilmontant, dans le 20e arrondissement de Paris. Chacun est là pour construire un objet de son choix, avec du bois de récupération, « sauvage ou issu de partenariats avec des structures qui ont des stocks à écouler, comme Leroy-Merlin », précise Pascal Jeanne, le directeur d’Extramuros. Deux « encadrants » répondent aux questions, veillent à la sécurité. Après quelques bonjours aux personnes présentes, Sadio va vite chercher son matériel de travail, des lunettes pour les yeux et quelques planches, dont il veut faire des tiroirs de lit.

Sadio est un « beau p’tit gars » de 27 ans — c’est ainsi qu’une vieille dame le désigne en le voyant poser pour la photo devant la menuiserie. Il a déposé une demande d’asile en janvier 2016. Et en attendant la réponse, il s’active : piloté par France Terre d’Asile et guidé par Astérya, il prend plusieurs cours de français chaque semaine depuis octobre 2016, et participe à cet atelier de menuiserie depuis le 20 septembre dernier. « Je suis très content, car j’aime le travail manuel. J’ai déjà fait une caisse à outils, un lit, seulement avec du bois récupéré », explique-t-il sans cesser d’assembler ses planches. Sadio est si « content » de travailler qu’il vient aussi à Ménilibre le samedi après-midi pour se former comme encadrant.

L’atelier lui permet d’« apprendre des choses, et de parler avec des gens. On se donne un coup de main, c’est bien. J’aimerais pouvoir en faire un métier. C’est ce que j’ai toujours voulu. Mais en Mauritanie, je ne pouvais pas : j’étais forcé de travailler, je n’étais pas libre ».

Sadio a un contact régulier avec les connectrices d’Astérya. « Chaque semaine, si j’ai besoin de dire des choses, je les appelle. Si c’est pour des choses plus compliquées, je prends rendez-vous. Je n’ai plus de nouvelles de ma famille, la vie est dure. C’est bien de pouvoir construire quelque chose pour moi. »
- Reporterre a fait un reportage sur cette menuiserie solidaire : regardez et écoutez le diaporama sonore
Cédric, Guillaume, Jean-Christophe, Julie, Rémi, Teddy, Tiansang : « Liberté, égalité, handicapé ! »

« Je ressens un peu de fierté quand je regarde la vidéo, oui… Elle correspond bien à ce que j’imaginais ! » reconnaît volontiers Cédric, l’« alpagueur » des passants pendant le tournage de HandicapéCpasSorcier. En ce début d’après-midi automnale, au centre d’accueil de jour de la Chapelle, à Paris, les auteurs de cette vidéo s’apprêtent à discuter de sa diffusion avec Lisa et Zénon, d’Astérya, qui étaient présentes à toutes les étapes de sa conception et de sa fabrication. Les auteurs ? Des personnes affligées d’un « handicap invisible », en l’occurrence cérébro-lésées, c’est-à-dire souffrant de lésions cérébrales à la suite d’un AVC ou d’un trauma crânien. Mais leur vidéo vous en dira plus…
« Notre premier projet, c’était une disco-soupe : Astérya nous en avait donné l’idée. Comment parler du gaspillage alimentaire aux personnes défavorisées de manière agréable et sans leur faire la leçon ! » explique Rémi, un des joviaux intervenants de la vidéo créée à cette occasion : Disco Soupe : le gaspi salsifis !

« L’an dernier, on a eu l’idée d’une nouvelle vidéo autour du handicap invisible, en s’inspirant de “C’est pas sorcier”, sur France 3 », raconte Teddy, le convaincant « présentateur » de la vidéo. Huit mois de travail, à raison de deux heures par semaine, pour préparer le film, et cinq heures de tournage place Stalingrad. « Beaucoup de boulot pour chaque seconde de film, même si ça a l’air spontané. Les gens interrogés dans la rue ont dit ce qu’ils avaient sur le cœur. Et on leur a répondu », poursuit Rémi.

« On s’est rendu compte que, vraiment, le handicap invisible, les gens ne connaissent pas. Pour eux, le handicap, c’est le fauteuil roulant. Or, les fauteuils roulants, c’est entre 4 et 6 %, et le handicap invisible, c’est 80 % », argumente Cédric. « Il y a sept ans, avant mon accident de voiture, je pensais comme eux : handicap égale fauteuil roulant, plaide Rémi. Ce n’est pas facile d’avoir un handicap invisible, parce que comme ça ne se voit pas, les gens ne se mettent pas en quatre pour nous faciliter la vie ! » « Li-ber-té, é-ga-li-té, han-di-ca-pé », scande Teddy, que ses amis appellent aussi « Molière ».

« Astérya ? que du positif ! Et je ne dis pas ça parce qu’ils sont là ! [rires dans la salle]. Plein de bonnes idées, et le pôle vidéo a apporté le matériel et des tuyaux très pro », résume Cédric, qui a « adoré » réaliser ce film.

