Un livre d’histoires révolutionnaires - qui se passent aujourd’hui

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Larzac, CPE, Notre-Dame-des-Landes, free parties... Dans le livre Constellations, le collectif Mauvaise troupe revient sur les luttes qui ont marqué la dernière décennie, afin qu’elles ne tombent pas dans l’oubli. Mais à travers ces histoires de résistances, il nous fait également découvrir d’autres manières de vivre.
« De ce début de siècle, nous avons encore le souvenir. De ses révoltes, de ses insoumissions, nous sommes nombreux à ne rien vouloir oublier. Nous savons pourtant que nous vivons dans un monde qui s’en emparera, nous en dépossèdera afin que des enseignements n’en soient jamais tirés et que rien qui ne soit advenu ne vienne repassioner les subversions à venir. »
Pour éviter que ces souvenirs ne soient ensevelis sous le poids de l’histoire officielle, le collectif Mauvaise troupe a pris la plume et raconte dans Constellations, Trajectoires révolutionnaires du jeune XXIe siècle, la dernière décennie du point-de-vue des insoumis.
Faire vivre la mémoire des luttes, pas simplement par nostalgie, mais aussi pour apprendre des erreurs et emprunter à notre passé récent des pistes pour affronter le présent. De squats en carnavals, de fermes autogérées en ZAD, de manifs sauvages en places occupées, de contre-sommets en luttes paysannes, Constellations nous invite à découvrir l’univers de ceux qui résistent « à l’anéantissement des territoires », à « l’isolement et l’exploitation ».

Un livre d’histoires révolutionnaires
Pendant de longs mois, Constellations m’attendait sagement sur mon bureau. J’ai mis du temps à l’ouvrir et à m’y plonger. Ses presque 700 pages m’inpressionnaient. Elles lui donnent un caractère austère, des faux airs de publication scientifique ou d’encyclopédie.
Pourtant, les auteurs se défendent d’avoir écrit un livre d’histoire. Ils ne prétendent pas délivrer la vérité et assument leurs partis pris et leur absence de neutralité. Ils présentent l’ouvrage comme un livre d’histoires : « Elles parlent de jardins, de serveurs web, de stratégies, de fictions, de bouteilles incendiaires, de complicités, de zones à défendre, de free parties, d’assemblées, de lieux collectifs... Des histoires à vivre debout et à donner du souffle. »
Le livre est découpé en quatre parties, laissant au lecteur le choix d’entamer son immersion comme il le souhaite. Pour ma part, je l’ai dévoré d’une traite. Il a egayé ma fin d’année 2014 comme un calendrier de l’avent accompagne celle d’un chrétien. Chaque jour j’ouvrais avec gourmandise un chapitre, découvrant un pan méconnu de ce début de siècle.
Malgré sa taille et le jargon militant omniprésent, Constellations reste abordable. Les multiples entrées et les nombreuses notes de bas de page permettent à chacun d’entrer à son rythme dans l’univers radical des auteurs. Ce livre est précieux pour quiconque s’intéresse à la « question révolutionnaire ». Les néophytes de la révolution en actes y découvriront des luttes et des formes de vie éloignées de leur quotidien. Ils comprendront mieux les motivations et la façon de penser de ceux qui ont décidé de ne plus subir leurs existences, quitte à se mettre en marge d’un « monde invivable ».
Au fil des histoires, on saisit les rapports complexes de ces rebelles à la politique, à l’amour, à l’argent, à la violence. Quant à ceux qui ont décidé de vivre leurs rêves au présent, ils trouveront matière à alimenter leurs réflexions, à s’interroger sur leurs pratiques et pourront revivre des événements auxquels ils ont pris part.
Un narrateur collectif, « Le choeur », donne une cohérence à ce recueil « d’expériences singulières ». Il introduit les différents chapitres, partage un vécu ou une analyse collective, interroge des acteurs de ces « révolutions moléculaires ». Mais, régulièrement, le Choeur s’efface pour laisser la place à des récits, des fictions ou des correspondances de personnes extérieures à leur collectif afin de mieux rendre compte de la complexité de la constellation révolutionnaire.
Et l’écologie dans tout ça ?
Les luttes liées à l’écologie sont nombreuses dans ce livre. On y retrouve également des critiques de la civilisation industrielle et de la métropolisation du monde, thèmes chers aux militants écologistes. Pourtant, le mot écologie est peu employé.

Probablement parce que la grille de lecture des auteurs n’est pas celle-là. Ils n’entendent pas défendre l’environnement ou éviter l’apocalypse. Pour eux, la défense de leurs lieux de vie fait partie intégrante de leurs existences. Vivre et lutter participent d’un même mouvement. Ils entendent « arracher des mains du pouvoir les lieux dont nous avons besoin », « habiter sans réserve » des « territoires vécus ». Il est moins question d’une lutte contre la destruction de l’environnement que d’une lutte pour l’existence qui implique nécessairement un souci du vivant.
En fin d’ouvrage, à travers l’interview d’un collectif barcelonais impliqué dans le mouvement du 15 M (aussi appelé « indignados »), les auteurs tentent de « trouver des pistes partielles » permettant de faire tenir ensemble les différentes formes de vie et de lutte évoquées au fil des Constellations. Et c’est l’imaginaire de la Commune, terme qui imprègne les discours et les écrits des révolutionnaires d’aujourd’hui, qui est utilisé pour penser les conditions nécessaires à un « bouleversement social ». Certes, l’ouvrage ne livre pas les clés de la prison capitaliste, mais révèle des brèches dans lesquelles s’engouffrer pour goûter à la liberté.
A noter également que le texte du livre est librement disponible sur internet. Le collectif invite d’ailleurs ses lecteurs à enrichir le texte de leurs récits et de leurs expériences et leur donne rendez-vous dans la rue, dans les cafés, les facs, les squats, les ZAD... afin de « (re)partir à l’assaut de l’histoire ».

Constellations, Trajectoires révolutionnaires du jeune XXIe siècle, Collectif Mauvaise troupe, Editions de l’Eclat, 704 pages, 25.00 €.