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Grands projets inutiles

Une nouvelle Zad est ouverte dans le Tarn contre un barrage destructeur

Au Testet, dans le Tarn, la lutte contre un projet de barrage a pris de l’ampleur depuis l’automne. L’occupation du site par les opposants est maintenant permanente, alors que les promoteurs menacent de venir détruire cette zone humide.


-  Lisle-sur-Tarn (Tarn), reportage

Trois mois ont passé depuis notre première visite et le moins qu’on puisse dire c’est que les choses ont sacrément changé dans la vallée du Tescou, à quelques lieux de Lisle-sur-Tarn. Dès l’entrée, on découvre un campement tout neuf surgi de nulle part. Plus loin, la ferme de la Métairie Neuve, ancien centre névralgique de la lutte, est désormais complètement inhabitée.

Et pour cause, le 23 janvier, des individus ont mis à sac les lieux comme en a témoigné sur l’émission Les Petits Papiers de la radio toulousaine Canal Sud. Camille, une occupante : « Une vingtaine de personnes cagoulées sont arrivées en fin d’après midi et se sont mises à tout casser à coup de masse, ont balancé dans toutes les pièces de la maison des bouteilles pleines de répulsifs rendant inhabitable les lieux et nous ont menacés avant de fuir une fois les autres occupants revenus ».

Si le Conseil Général a bien déposé plainte contre X, cet assaut violent fait suite à d’autres attaques : « incendie d’une maison en construction, incendie d’une cabane en paille et de l’arbre attenant, tronçonnage d’arbres accueillants les plateformes perchées, tags intimidants … » détaille un communiqué rédigé à la suite de l’agression. La belle ferme occupée de notre première visite est désormais vide, de maigres planches barrant les accès. Les lieux ont été désertés au profit d’un nouveau campement.

Une ZAD à part entière

Comme il arrive souvent, la répression a amplifié la puissance du mouvement. Laurent, occupant régulier, raconte : « Jusqu’ici on voyait plutôt des riverains proches ou des tarnais arriver sur place. Désormais, des toulousains et des militants plus éloignés se joignent aux premiers occupants ». De trois habitants permanents, ils sont désormais une dizaine.

Trois jours après l’attaque, un appel large était lancé pour venir construire de nouvelles cabanes, cette fois sur les lieux-mêmes du barrage, dans une parcelle appartenant au Conseil Général. Plusieurs centaines de personnes répondent présent malgré le temps maussade. « En un jour, on a vu surgir la maison ! » s’enthousiasme Camille.

S’y ajoutent bientôt un chapiteau et une tour de garde : bienvenue au camp de la Bouillonnante, hommage aux bouilles, ces terres humides sans valeur (financière) qui seront englouties par le barrage si celui-ci est construit. La Bouillonnante, QG de la lutte de terrain pour sauver la zone humide, un véritable lieu d’occupation organisé, avec ses règles, son quotidien et ses espaces d’expérimentation. À l’instar de sa grande sœur de Notre Dame des Landes, Le Testet est devenu une ZAD à part entière.

Ce dimanche 9 février, nous nous rendons à l’assemblée générale hebdomadaire, qui se tient sous le grand chapiteau disposé de manière presque classique : à l’entrée, les fiches précisant les besoins du moment, à droite tout un tas de panneaux explicatifs de la lutte et du projet et puis plus loin la cuisine et la vaisselle autogérées où l’on prépare un thym chaud qui sera distribué à la trentaine de personnes réunies en cercle sur diverses planches et bottes de paille. Malgré nos demandes, nous n’aurons pas le droit de prendre de photos des personnes présentes. La communication avec nous est réduite et souvent empreinte de méfiance.

Un compte à rebours pour sauver la zone humide

Il faut dire que la situation est particulièrement tendue en ce début de mois de février. Un premier recours suspensif a été rejeté le 5 décembre dernier sans justification. Or, les autres actions juridiques en cours ne peuvent pas empêcher les travaux de commencer.

Depuis le 1er février, la préfète du département peut à tout moment ordonner d’enclencher les travaux de déboisement, qui doivent intervenir entre le 1er et le 28 février. Seul hic : il faut en préalable procéder au déplacement des espèces protégées, en hibernation jusqu’au 1er mars.

Du côté du Conseil Général du Tarn, Stéphane Mathieu, directeur de l’eau, explique : « Nous avons sollicité les services de l’Etat pour moduler les échéances et faire en sorte que les deux opérations puissent être menées correctement. Nous attendons une réponse de la DREAL. »

Françoise Blandel, membre du collectif pour la sauvegarde de la zone humide du Testet, l’association qui mène les démarches juridiques avertit : « Nous ne nous faisons pas d’illusion. S’ils passent en force, nous devrons déposer immédiatement un référé civil pour destruction des espèces. Dès que celui-ci sera jugé, les travaux devront être suspendus ».

Mais la justice est ainsi faite qu’il faut cinq jours pour que le juge tranche. Or, ce délai est amplement suffisant pour détruire une bonne partie des bois humides. « Peu importe qu’ensuite le projet soit jugé illégal, une fois le déboisement fait, le champ sera libre pour réaliser le reste des travaux » s’alarme-t-elle. Un des occupants confie : « Ils n’interviendront pas directement si on est là. Ils devront d’abord nous expulser. »

La menace de l’expulsion

Alors, à la Bouillonnante, on se prépare à toute éventualité. Du fait de la gravité de la situation et des nécessités de confidentialité, nous devons quitter la réunion de ce dimanche au moment où est abordé le plan d’action en cas d’expulsion. Nous avons juste le temps d’apprendre que le 1er mars se déroulera une journée de convergence des luttes avec un appel aux organisations militantes de la zone, que le site web de la ZAD est désormais fonctionnel et que des collectifs de soutien spécifique au Testet sont désormais constitués à Albi, Toulouse et dans toutes les communes environnantes. De plus, chaque week-end se déroulent des chantiers participatifs pour étendre encore un peu plus la zone d’occupation et augmenter la capacité d’accueil.

Les craintes d’une intervention de l’Etat sont confirmées par Stéphane Mathieu, du Conseil général, qui nous certifie que « des huissiers sont venus sur place constater l’occupation illégale. Cela dépend maintenant de la Préfecture ». Il ajoute : « Nous nous astreindrons à respecter la loi et en attendons autant des opposants. Nous ne voulons pas que ça se passe mal mais si cela n’est pas possible autrement, il faudra probablement en passer par une expulsion. »

Camille, occupant permanent, réagit : « depuis que nous avons bâti la Bouillonnante, aucun huissier n’est venu nous notifier quoi que ce soit. Nous n’avons appris l’existence de cette procédure que ce matin 12 février, et n’avons toujours aucune notification officielle ! ». Suite à cette annonce, un nouvel appel à rassemblement et lancé pour le lendemain.

La nuit tombe sur la zone humide, mais le campement ne dort que d’un œil, pour alerter les occupants et le réseau d’urgence, si nécessaire. En quittant la Bouillonnante, on peut entendre au loin le bruit apaisant du Tescou tourbillonnant. Et on peut aussi sentir qu’aucun barrage ne pourra empêcher le cours d’eau de vivre ici, du moins, tant qu’il y aura des bouilles.

* Témoignage issu de l’émission Les Petits Papiers, Canal Sud.


Les paradoxes du Conseil Général

En surplomb du campement de la Bouillonnante, on trouve la Maison Forestière de Sivens. Outre des jeux de plein air et des informations sur les alentours, l’édifice accueille régulièrement des expositions de toute sorte. Avec Françoise Blandel, du Collectif Testet, nous découvrons une exposition originale, « Le rudoscope », destinée à enseigner aux enfants les rudiments du recyclage via l’histoire d’extra-terrestres confrontés au problème des déchets.

« Toute l’exposition est faite avec des matériaux de récup ‘ » explique la salariée. Mais le message va plus loin. Au détour d’une animation, il est question de surconsommation, de pollution, de capacité de régénération, et même de productivisme, les petits extra-terrestres découvrant « qu’il fallait bien arrêter de produire des objets inutiles avec des machines qui, il faut le préciser, puaient vraiment ».

De là à y voir quelconque contradiction avec le projet de barrage en contrebas, il n’y a qu’un pas, que les opposants au barrage n’hésite pas à franchir. Raison pour laquelle une petite boîte est déposée devant le panneau de présentation de l’exposition et indique : « Pour mettre en pratique les enseignements de l’exposition, rendez-vous juste en dessous, à la Bouillonnante ! ».

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