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ReportageGrands projets inutiles

À La Réunion, des habitants s’opposent à un parc de loisirs en lisière du volcan

Vue depuis le Piton Dugain sur la zone du champ de foire de Bourg-Murat où le Parc du Volcan pourrait voir le jour.

Un vaste projet de parc de loisirs et d’attractions dans le massif du Piton de la Fournaise attise la colère des habitants. La municipalité promotrice de ce « Parc du Volcan » répond emplois et développement touristique.

Bourg-Murat (La Réunion), reportage

Bourg-Murat, commune du Tampon, 3 600 habitants. Un village perché à 1 500 m d’altitude, dans la plaine des Cafres, au milieu d’un paysage qui contraste avec le cliché habituel de La Réunion. Ici, prairies et sommets verdoyants, vaches et météo fraîche, donnent au grenier de l’île des airs de Normandie ou de Cantal.

Surtout, Bourg-Murat est un passage incontournable pour les milliers de personnes qui se rendent chaque année au piton de la Fournaise, volcan actif qui fascine locaux et touristes.

© Louise Allain / Reporterre

C’est là, dans la véranda d’une kaze créole, qu’Hugo Picard apparaît. Devant cette maison trône le panneau « Domoun la plaine », les gens de la plaine, en créole, une association d’une cinquantaine d’adhérents mobilisés contre le projet de parc de loisirs « Parc du Volcan » et l’installation de plusieurs tyroliennes partant du piton Dugain, un petit mont qui surplombe la commune.

« Le béton, ce n’est pas ça qui donne à manger »

Hugo Picard, la cinquantaine, est un enfant du coin : petits-fils du guide du volcan, fils d’éleveur, il est lui-même éleveur de bœufs en contrebas du piton Dugain. Derrière son large sourire, son discours est tranché : « La mairie veut acheter une partie de mes terres pour faire passer la piste d’accès aux tyroliennes. Ils m’ont fait plein de propositions : nettoyer ma retenue collinaire, arranger mon chemin, et même donner un boulot à ma femme ! » raconte le Réunionnais.

Mais Hugo est droit dans ses bottes, il ne veut pas de ce projet et tient à défendre les terres agricoles. « Je préfère développer la souveraineté alimentaire, nourrir le peuple. Mais pas de béton ! Le béton, ce n’est pas ça qui donne à manger », dit-il. Un engagement courageux pour l’agriculteur qui a vu une partie de sa famille lui tourner le dos. Car refuser ce projet, c’est s’opposer à la mairie du Tampon et à son premier édile emblématique, André Tien Ah Koon, alias Tak, 82 ans, aussi conseiller départemental, président de la communauté d’agglomération du Sud (CASud), ex-conseiller régional et ex-député [1].

Hugo Picard, éleveur de la plaine des Cafres, devant le portrait de son grand-père, guide du volcan. © Lola Fourmy / Reporterre

Le Parc du Volcan, c’est un projet que Tak porte depuis 1999 et qui a connu, en 23 ans, bien des modifications. Mais la philosophie, elle, est restée : créer une zone de parc et jardins sur le thème volcanique avec des commerces, du tourisme équestre et des zones de découvertes et attractions à sensation afin de développer économiquement la commune avec 4 500 visiteurs quotidiens. Voilà ce qu’on peut lire dans la déclaration d’intention déposée en 2019.

Depuis, ce projet de parc de 55 hectares a été limité à 15 hectares. À l’intérieur, on devrait trouver deux serres, dont une chauffée pour reproduire le climat des bas de l’île, un ballon captif [2], une aire de pique-nique, des jeux aquatiques, un pump track [3] et trois parkings. Du moins, si l’on s’en tient au rapport de concertation préalable menée en 2019, puisque la mairie du Tampon, sollicitée à plusieurs reprises, n’a pas répondu à nos demandes de précisions.

L’association « Domoun la plaine », les gens de la Plaine en créole, réunit une cinquantaine de personnes mobilisées contre le projet de parc et ses tyroliennes. © Lola Fourmy / Reporterre

Le projet devait initialement entrer en fonctionnement en 2023. Difficile à imaginer, étant donné que les travaux n’ont toujours pas commencé, et pour cause : en plus d’un coût de 11,8 millions d’euros pour la première phase, ce budget s’est vu augmenter de plus de 400 000 euros en novembre pour réaliser des études complémentaires demandées par les autorités après le rejet en avril de l’autorisation du dossier environnemental.

Des études complémentaires qui expliquent probablement le retard pris pour lancer l’enquête publique sur le Parc du Volcan. Cette consultation publique par voie électronique devait être lancée en juin dernier… Le coût global pour l’ensemble du projet est estimé à plus de 64 millions d’euros.

Anne et Françoise, membres de Domoun la plaine, s’inquiétent des dégâts que ce projet pourrait causer à la biodiversité. © Lola Fourmy / Reporterre

Avec 20,50 % de chômage sur la commune du Tampon, l’argument du développement économique séduit certains habitants. La mairie avance la création de 150 à 400 emplois liés au projet. « Des emplois précaires et à court terme ! » réplique Monique Bénard, élue d’opposition à la mairie. « Ce ne seront que des contrats courts, qui ne permettront pas d’avancement aux gens ni de gagner en qualification et quelle insertion après ? On n’a aucune idée de ce que deviendra ce parc dans 3, 4, 10 ans », s’agace l’élue.

« Personne ne fera un voyage à la Réunion pour faire de la tyrolienne »

Un modèle économique qui questionne aussi la députée réunionnaise Nathalie Bassire (Parti radical) : « Si nous transformons notre écosystème pour des projets touristiques surdimensionnés, comment va-t-on faire pour repenser la souveraineté alimentaire, l’emploi pour nos jeunes et la charge financière pour les Tamponnais ? Car ce n’est pas un projet qui permettra de gagner suffisamment. Personne ne fera un voyage à La Réunion pour faire de la tyrolienne et les locaux le feront peut-être une fois mais pas plus, ce sera trop cher ! »

La députée demande régulièrement des informations sur les coûts « cachés » de ce projet : fonctionnement, entretien, aléas climatiques dans une zone soumise à la pluie, la brume et sur une terre cyclonique. Des questions laissées sans réponse selon elle.

Le sol du Piton Dugain, zone de départ des tyroliennes, est particulièrement friable, prévient Domoun la plaine. © Lola Fourmy / Reporterre

Pour Anne Fontaine, artiste plasticienne dont le travail porte notamment sur la biodiversité « c’est l’aspect écocidaire du projet qui m’a amenée à m’engager. Mais je me pose aussi des questions sur les conséquences du bétonnage des zones humides et sur la véritable connaissance de la géologie de la zone », explique la Tamponnaise.

Une crainte partagée par Gilbert La Porte, président de Domoun la plaine et vice-président du comité de randonnée pédestre de La Réunion : « Le piton n’est pas en basalte, il est très friable, on craint qu’en période cyclonique il n’y ait des coulées de boue », détaille le retraité.

« Il y a bien mieux à faire pour Bourg-Murat », défend Gilbert La Porte. © Lola Fourmy / Reporterre

Plusieurs espèces protégées comme le Tamarin des hauts, endémique de La Réunion et classée en danger par l’Union internationale pour la conservation de la nature (UICN), six espèces indigènes d’oiseaux dont un couple de busards de Maillard, ou encore le papillon la Pâture, se trouvent sur la zone d’installation des tyroliennes au piton Dugain et donc potentiellement menacées, comme le souligne le rapport de la MRAE, la mission régionale d’Autorité environnementale de La Réunion.

La MRAE recommandait aussi en 2021 au porteur de projet de « justifier de la destruction de 88 m² d’habitats endémiques en très bon état » au niveau de la plateforme des tyroliennes. « C’est un projet qui va complètement à l’encontre de tous les rapports du Giec », résume Christophe, un militant venu de Saint-Pierre. Le projet s’inscrit dans le SAR, le schéma d’aménagement régional. Un schéma approuvé en 1995 et révisé en 2011 « qui se base sur une population d’un million d’habitants en 2030, un objectif inatteignable et donc des projets qui ne sont pas en adéquation avec la réalité actuelle », précise Christophe.

Les tyroliennes pourraient passer à seulement quelques dizaines de mètres du lotissement des Topazes (logements blancs). © Lola Fourmy / Reporterre

« On pense qu’il y a mieux à faire pour Bourg-Murat », continue Gilbert La Porte « réfléchir à un village-étape, organiser des soirées culturelles, le développement de l’artisanat et surtout, ne pas occulter l’histoire de cette zone et notamment l’esclavage qu’il faut continuer de raconter », pense le Réunionnais.

Un projet alternatif bien loin de l’idée du Parc du Volcan pensé pour recevoir « ceux qui souhaitent contempler et côtoyer la nature en s’essayant à des activités qui procurent une sensation de découverte du milieu sans avoir à se déplacer », comme l’indiquait sans faux-semblant le dossier de présentation de janvier 2021.

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