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Grands projets inutiles

À La Réunion, la ruineuse route du littoral ouvre… en partie

La nouvelle route du littoral a été partiellement ouverte à la circulation.

Une portion de la nouvelle route du littoral a ouvert à la circulation dimanche 28 août à La Réunion. Entre surcoûts démesurés et dommages écologiques, l’achèvement complet de la « route la plus chère du monde » attendra.

Saint-Denis (La Réunion), correspondance

Vue d’en haut, la falaise n’a plus l’air si terrifiante. L’automobiliste réunionnais domine le paysage. À sa droite, l’océan Indien à perte de vue, à sa gauche, il n’aperçoit même plus ladite « ancienne route » du littoral. La limitation à 50 km/h en certains endroits lui permet à loisir d’admirer le paysage du haut de la deux fois trois voies.

Douze ans après le lancement officiel du projet, la nouvelle route du littoral a enfin été ouverte à la circulation, dimanche 28 août. Enfin presque, puisqu’elle n’est accessible que dans un sens, de Saint-Denis à la Grande Chaloupe. Le reste du parcours vers La Possession passe immanquablement au pied des parois rocheuses. Dans le sens opposé de circulation, les usagers se rendant en direction de la capitale réunionnaise se trouvent toujours coincés sur la deux fois deux voies en contrebas de la falaise. Et cela le temps des travaux de réparation des accropodes [1] abîmés de la digue.

Qu’importe. Certains automobilistes, en voiture ou en deux roues, ont quand même fait le déplacement pour faire partie des premiers à emprunter le tronçon de 8,7 km qui trace une ligne droite vers l’ouest, à une centaine de mètres de la côte, au-dessus des vagues. L’ouvrage est connu comme « la route la plus chère au monde » [2]. Loin d’être terminée, la NRL est déjà entrée dans les annales de La Réunion.

Cette ouverture partielle a lieu 12 ans après le lancement officiel du projet. © Région Réunion

Depuis 2010, la construction de cette route pharaonique a défrayé la chronique et fait de nombreuses fois les gros titres de la presse locale. Surcoûts exorbitants et incontrôlables, enquête du parquet national financier pour corruption et favoritisme, aberrations écologiques, chroniques judiciaires et administratives…

Le projet a été lancé en 2010 par l’ancien président de Région, Didier Robert, et son équipe. L’objectif officiel : protéger des chutes de pierre les 80 000 automobilistes empruntant chaque jour cet axe routier extrêmement fréquenté. 21 personnes ont trouvé la mort de cette façon depuis la construction de cette route, en 1976. L’exécutif régional a alors retenu le projet de construction de la route sur la mer. D’autres options ont ainsi été écartées : celle d’une route à mi-hauteur de falaise, d’un tunnel, de l’installation de barrières pare-avalanches pour éviter les chutes de pierres ou encore celle de la création d’un tram-train. À cette époque, les transports en commun n’ont pas la cote, voire pourraient paraître rétrogrades, quand la voiture apparaît comme la marque du confort et de la modernité.

L’option choisie est alors de réaliser un premier tronçon sous forme de viaduc et un second sous forme de digue, afin notamment de satisfaire les attentes des transporteurs. Faute de matériaux pour la construction de la partie digue, le chantier a avancé au ralenti avant d’être interrompu, puis abandonné en 2020. Cette question des matériaux, pourtant de taille, n’avait pas été anticipée. La route s’arrête donc… dans la mer.

Les différentes sections routières le long du littoral. © Région Réunion

Un article de Reporterre retrace la rocambolesque histoire de la construction de cet ouvrage par les grandes multinationales Bouygues et Vinci. En 2021, la nouvelle mandature à la tête de la Région La Réunion a hérité du bébé — et du gouffre budgétaire qui va avec — promettant qu’elle terminera la route. L’option de créer une digue pour la partie manquante, soit 2,7 km, a été écartée d’emblée par la nouvelle majorité régionale. Ainsi, Huguette Bello, la présidente, entend faire une croix sur le projet d’exploitation d’une mégacarrière à Bois-Blanc (Saint-Leu), qui avait déclenché l’ire d’associations citoyennes créées pour l’occasion.

L’association la Srepen — la Société réunionnaise pour l’étude et la protection de la nature — ne peut que se satisfaire de cette décision du « tout viaduc » qu’elle défend depuis le début. En effet, par rapport à l’option digue, elle a l’avantage de moins endommager les fonds marins ainsi que la faune et la flore spécifiques de la falaise. Nourrie par les embruns, cette dernière est un biotope d’exception qui héberge une espèce unique, le bois de paille-en-queue.

« Au niveau du Port, il y a de nouvelles espèces de poissons et de coraux, tout un milieu qui se reconstitue », explique l’ancienne présidente de la Srepen. La zone côtière est également fréquentée par les mammifères marins, baleines et dauphins.

« La route complète ne sera pas livrée avant 2028-2030 »

Quelles seront les conséquences de la construction d’un viaduc pour cet environnement ? De nouvelles études devront être diligentées pour le savoir. La précédente étude du Conseil national pour la protection de la nature (CNPN), datée de 2018, faisait déjà état « d’impacts négatifs avérés, d’insuffisances de prise en compte et d’incertitudes relatives aux impacts environnementaux du projet de NRL ». Après le contrôle de l’État, le public devrait être invité à apporter son avis.

« La route complète ne sera pas livrée avant 2028-2030 », a d’ores et déjà annoncé la présidente de Région, Huguette Bello. Un retard de dix ans est donc fort probable sur la date de livraison prévue. « On aura bien dépassé la mandature de Huguette Bello », souligne Jean-Pierre Marchau, secrétaire régional d’Europe écologie les verts.

« À la fin de l’année, la Région est obligée d’organiser les Assises de la mobilité, ajoute-t-il. Ce sera peut-être l’occasion pour les Réunionnais de donner leur avis. Est-ce qu’ils n’en ont pas marre qu’on construise des routes, d’attendre des bus qui ne sont pas à l’heure, etc. ? » L’écologiste, s’il reconnaît qu’il était nécessaire de raccorder le viaduc, estime que terminer la route n’est prioritaire. Il préférerait réinjecter les fonds dans des alternatives au tout-voiture : l’installation de transports ferroviaires, par exemple. « Vous vous rendez compte, dit-il, un tramway urbain coûte entre 400 et 500 millions d’euros. Là, on va mettre environ le prix de deux tramways urbains, tous les financements de la Région sont monopolisés pour finir cette route, qui ne va pas résoudre les problèmes d’embouteillages. »

Des éléments de la digue déjà abimés risquent d’engendrer encore de nouveaux surcoûts. © Région Réunion

Le coût total de la route est aujourd’hui évalué à 2,4 milliards d’euros, mais de nombreuses incertitudes demeurent quant à l’évolution des surcoûts : après deux ans, près de mille accropodes sont déjà abîmés alors que la carapace qu’ils forment est censée être indestructible. Quel coût leur réparation engendrera-t-elle ? Quelle est la solidité des piles du viaduc ? Sera-t-il possible de rapatrier depuis Rotterdam à La Réunion la mégabarge Zourite, qui a servi à construire les piliers du premier viaduc avant d’être mise en vente ? À quelles indemnités auront finalement droit les multinationales au nom des aléas survenus depuis le premier coup de pioche 

La Région laisse déjà entendre qu’elle ne mettra pas en œuvre certaines mesures environnementales de compensation comme le « démontage » de l’actuelle route du littoral évalué à 50 M€. Mais en a-t-elle vraiment le choix ? « Si la Région veut obtenir l’aide de l’État de 420 millions, il y a des engagements, La Réunion ne pourra pas avoir deux routes du littoral », estime Jean-Pierre Marchau. « Il y a un impact environnemental, sans compter qu’il pourrait y avoir un effet sur la solidité de la falaise. Si on enlève le terrassement que constitue la route actuelle, rien ne dit qu’elle ne peut pas s’écrouler. Mais il y a une biodiversité riche qu’on ne peut pas abandonner. »

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