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Pédagogie Éducation

À Upaya, « les enfants apprennent les maths en comptant les tomates »

Dans la campagne orléanaise, en bordure de forêt, une poignée de familles s’est lancée dans la création d’une école alternative hors contrat. Une vingtaine d’enfants de 4 à 12 ans sont scolarisés dans cet établissement où la nature sert à la fois de support pédagogique et de cadre propice au développement de la créativité et de l’autonomie.

Dans une clairière entourée par la forêt solognote, une petite fille fait sonner la cloche qu’elle tient dans la main. À l’école Upaya, à une trentaine de kilomètres au sud d’Orléans, la journée de cours débute sans sonnerie électrique criante. Pas de cour de récréation non plus : la verdure de fin d’été à perte de vue est le terrain de jeu des enfants, et les arbres remplacent les jeux en plastique.

Membre d’un réseau européen pour l’éducation démocratique, l’Eudec, l’établissement a fait de la nature à la fois un cadre propice à l’autonomisation des enfants et un support pédagogique en soi. « On prend le vivant tel qu’il est et c’est notre matière pédagogique. Les enfants apprennent les maths en comptant les tomates qui poussent au potager, développent leur motricité en grimpant aux arbres. Les premières pontes de têtards dans la mare en février, le passage des oiseaux migrateurs au printemps sont autant de supports d’apprentissage et le départ de discussions avec les enfants », explique Anne-Laure, l’une des deux professeures, devant la yourte qui accueille les élèves quand ils en ont assez d’être au soleil ou pendant les froides journées hivernales. Une jeune élève s’approche d’elle avec une plume et lui demande ce que c’est. « C’est une chouette effraie qui l’a perdue dans la grange », explique Anne-Laure.

Entre la météo et les mesures sanitaires, les activités se déroulent essentiellement à l’extérieur.

Avec deux autres familles, elle a cofondé l’école Upaya en 2019. Après de longues recherches, ils ont trouvé un ancien corps de ferme à Dry, un petit village du Loiret, y ont aménagé une grange, installé une yourte et un petit potager en permaculture. Pour cette deuxième rentrée, ils accueillent une vingtaine d’enfants, dont dix à temps plein. Les autres viennent quelques jours par semaine, et font pour la plupart l’instruction en famille le reste du temps.

Chaque matin, les deux enseignantes — qui préfèrent le terme de « facilitatrices d’apprentissages » — et les enfants se réunissent dehors pour élaborer ensemble le programme de la journée, en fonction des envies de ces élèves pas comme les autres. Melchior, l’air rêveur et volontaire, cheveux longs sous sa casquette, lance l’idée d’une sortie à vélo, déjà prévue pour le 6 octobre. « Ce n’est pas qu’un loisir. Une activité comme ça nous permet d’aborder les notions scolaires avec les enfants : un peu de maths, en calculant l’itinéraire, de la géographie à travers la lecture de la carte, et même du français, car ce sera aux enfants d’écrire le courriel d’information pour les parents. L’idée, c’est d’accueillir les jeunes avec leurs envies pour nourrir leur enthousiasme, et qu’ils ne perdent pas leur confiance en eux, comme c’est trop souvent le cas dans le système scolaire traditionnel », explique Nolwenn, la deuxième encadrante. Ancienne professeure de classe préparatoire, elle a rejoint le projet Upaya et y a scolarisé sa fille, après lui avoir fait l’école à la maison.

« Ça fait beaucoup de bien à mon fils »

Avec l’été indien, les enfants passent encore quasiment toutes les journées à l’air libre. L’ombre d’un prunier fait office de cantine. Le déjeuner avalé, la bande des grands, emmenée par Candice, 12 ans, file dans la grange pour jouer à la maîtresse et s’amuser à faire des opérations de calcul mental au milieu des ballots de paille. Les plus petits courent après le chien. « Pour apprendre aux enfants le respect de l’environnement, c’est important qu’ils soient le plus possible au contact de la nature. Plus ils la connaîtront, plus ils auront envie de la protéger », explique Nicolas, un autre cofondateur d’Upaya, inspiré au début de sa réflexion par Sophie Rabhi, la fille du célèbre paysan écologiste Pierre Rabhi, qui a ouvert une école de ce genre dans les années 2000, la Ferme des enfants, en Ardèche.

Beaucoup de parents ont été séduits par le cadre préservé dans lequel les enfants évoluent. « Regardez autour de vous, c’est tellement calme ici, ça fait beaucoup de bien à mon fils. C’est surtout ça qui m’a convaincu. Je ne suis pas spécialement écolo pourtant, je roule en diesel et je prends l’avion », rigole Zak, le père d’un garçon de quatre ans, qui est venu chercher son fils pour rentrer à Orléans, où ils résident et où il enseigne l’écogestion dans un lycée professionnel. Avec la crise du Covid-19, après le confinement, la classe a eu presque tout le temps lieu à l’extérieur. Plus facile comme ça de respecter les nouvelles règles sanitaires. « Ils sont beaucoup plus calmes à l’extérieur que lorsqu’on passe la journée dans la yourte, l’hiver par exemple. Là, tout le monde, moi y compris, est plus tendu », résume Anne-Laure.

Les enfants participent à l’élaboration du programme et organisent eux-mêmes les sorties.

À la croisée du mouvement européen des écoles démocratiques promouvant une « approche permettant aux enfants de faire leurs propres choix concernant leurs apprentissages et tous les autres » et de celui du Réseau français de pédagogie par la nature défendant l’idée d’une éducation « dans la forêt si possible, ou un environnement naturel qui inspire le développement d’une connexion à la nature », les fondateurs d’Upaya voulaient à l’origine créer un écovillage complet.

Le projet est tombé à l’eau mais, à force de conférences à Orléans et dans les environs, de bouche-à-oreille entre familles et d’un travail administratif sans relâche, l’idée d’une école alternative a fini par se concrétiser. « On s’attendait à être plus soutenu. Sans nous mettre de bâtons dans les roues, le maire de Dry ne nous a pas aidés. On a dû faire face à la méfiance des gens, ce que je peux comprendre : l’inquiétude devant la nouveauté est légitime. C’est à nous d’avoir la tête sur les épaules pour prouver que nous ne sommes ni de doux rêveurs ni un mouvement sectaire », résume Nicolas. Difficile de le contredire quand on voit le regard assuré et les mouvements tranquilles de cet ancien sapeur-pompier de Paris.

Une voix pour chaque enfant et chaque parent

Dans la yourte, les enfants réfléchissent à leur sortie canoë sur la Loire. « Commencez déjà à chercher les contacts des loueurs pour vous renseigner sur les prix. Et à ce que vous pourriez faire pour les payer. » Devant la petite dizaine d’enfants assis devant des cartes IGN ou feuilletant des livres sur la biodiversité locale, Sylvain, le père de deux enfants scolarisés à Upaya, anime un atelier pour la préparation d’un voyage scolaire de quelques jours. « On pourrait fabriquer des doudous et les vendre à Noël », imagine Nathanaël, 12 ans. Si les enfants peuvent proposer les projets qu’ils souhaitent, il leur incombe ensuite de les réaliser par eux-mêmes de A à Z, afin de développer leurs compétences scolaires mais surtout leur autonomie.

Les fondateurs d’Upaya doivent eux aussi redoubler d’imagination pour pérenniser leur modèle économique. Hors contrat, l’école ne bénéficie d’aucune subvention de la part de l’Éducation nationale et ne peut compter que sur les frais de scolarité pour fonctionner, des frais qui s’élèvent pour le moment à 400 euros par mois et par enfant. « Cela ne nous permet que de financer nos smics et le remboursement de la yourte. On a conscience que ce sont des frais élevés pour les parents mais nous n’avons pas le choix pour le moment, car nous excluons de passer sous contrat. On perdrait trop notre liberté. On imagine des solutions incluant les parents, comme se financer en organisant des concerts ou une guinguette comme ça peut se faire ailleurs. Cela nous permettrait de faire des bourses, des tarifs dégressifs », explique Anne-Laure.

Pas de toboggan ni de bac à sable, mais des arbres dans lesquels les enfants ne se privent pas de grimper.

À Upaya, les parents jouent déjà un rôle actif dans l’organisation de l’année. Ils disposent chacun d’une voix au conseil de l’école, qui se réunit régulièrement pour décider des orientations pédagogiques. Les enfants de plus de six ans y disposent également d’une voix. Bon nombre des adultes sont dans des projets de reconversion professionnelle, comme Sylvain, qui tente de devenir guide de rivière.

Souvent eux-mêmes traumatisés par l’école, ayant mal vécu un sentiment d’enfermement entre les quatre murs de leurs établissements de jeunesse ou une hiérarchie trop prononcée, ils souhaitent une autre scolarité pour leurs enfants, leur permettant de devenir plus autonomes et confiants en eux. « Je ne pense pas qu’on va former ici des banquiers de La Défense mais plutôt de futurs pâtissiers, des gens créatifs et qui ont envie d’entreprendre », raconte Zak en regardant son fils grimper une dernière fois de la journée dans le prunier, avant de le ramener à la maison.

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