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Écologie et quartiers populaires

À la Cantine solidaire d’Alès, « les riches payent un peu pour les pauvres »

Le quartier populaire de Rochebelle, à Alès (Gard) souffre de l’arrêt des mines et du chômage. Ses habitants, isolés du reste de la ville, ont trouvé dans la Cantine solidaire un endroit où « ça se mélange », et qui est un moteur d’initiatives pour redynamiser le quartier.

  • Alès (Gard), reportage

Dans la rue, les façades colorées et baignées du soleil de la mi-journée tentent d’égayer l’atmosphère, mais ne cachent pas les peintures qui s’effritent et les vitrines définitivement fermées. Le quartier populaire de Rochebelle, à Alès, dans le Gard, conserve les stigmates de l’arrêt des mines et de l’arrivée du chômage. Puis la porte de la Cantine solidaire vous surprend au détour d’une courbe du trottoir. A l’entrée, le menu unique — entrée, plat, dessert, café et verre de vin —, pour chaque jour de la semaine, est affiché. Ainsi que le tarif : de 4 à 11 euros. Vous donnez selon vos moyens.

« Ici, on a voulu réinventer les cantines ouvrières. Nous sommes un restaurant populaire qui fonctionne sur le modèle de la solidarité contemporaine », avance Étienne Kretzschmar, à l’origine de l’association. Explication : « On fait un prix ras-les-pâquerettes pour ceux qui n’ont pas les moyens et une contribution solidaire pour ceux qui les ont. Les riches payent un peu pour les pauvres. » Dans la pratique, certains ne payent même pas du tout, d’autres payent encore plus que les 11 euros recommandés. « C’est une échelle de contribution. On ne dit pas prix, pas tarifs, parce qu’il s’agit d’une activité associative », poursuit le retraité.

Étienne Kretzschmar.

La porte passée, on découvre la grande salle intérieure, puis il faut pousser vers le fond pour découvrir la terrasse ombragée par un figuier. Sur chaque table, le couvert est mis, le nom des personnes attendues est inscrit. La réservation est conseillée. « Aujourd’hui, on est plein, on accueille 50 personnes », annonce Mary-Annick Raffault, qui s’occupe de l’organisation, de la communication et de faire le relais avec le reste du quartier. Dès 11 h 30, les premiers convives arrivent. Elle les place sur de grandes tables, qui accueillent ainsi plusieurs groupes. Vous ne connaissez pas forcément votre voisin de déjeuner.

Parmi les mangeurs du jour, certains sont envoyés par des associations d’accompagnement de personnes en grande difficulté, d’autres sont des retraités venant de l’agglomération comme du quartier, des travailleurs en pause déjeuner, des membres d’associations profitant des grandes tablées pour se retrouver, etc.

« Ici on discute, ça se mélange »

Jacques, un tatoué pas très bavard, est venu par l’intermédiaire d’une association d’insertion. Daniel, maçon à la retraite, plus enclin à discuter, vient tous les midis et paye ses 4 euros pour chaque repas en fin de semaine. « Pour ce prix-là, c’est la meilleure formule qui existe ! Ça se passe bien, c’est sympa. Si quelqu’un a un problème, on en parle, on dialogue », dit-il.

Marie-Lise et Danièle, toutes deux retraitées, viennent juste de temps en temps. Elles payent le prix fort. « J’estime que je peux payer le prix maximum. Il faut que ce soit juste, et que la cantine puisse s’en sortir », explique Marie-Lise. « Ici on discute, ça se mélange », poursuit-elle. D’ailleurs, un grand monsieur, barbe et cheveux longs et gris, arrive pour la saluer. Les deux amies lui proposent de s’installer à leur table. « Monsieur est un inventeur », précise Marie-Lise. « Notamment d’une recette de dentifrice », enchaîne-t-il, en distribuant la recette à faire soi-même.

Alors que les assiettes vides disparaissent pour être remplacées par le plat ou le dessert, la conversation s’étend aux deux autres occupantes de la table. Micheline et Régine sont elles aussi retraitées, mais du quartier. « Ce n’est pas un resto, c’est une cantine. On n’est pas là pour avoir des exigences. On est bien servi, bien accueilli. Je voudrais que cela s’étende à plein de choses. Je crois que ça se fait déjà chez certains coiffeurs ou au café, on paye un peu plus pour d’autres. Comme ça, les gens qui n’ont pas les moyens ne se sentent pas exclus », s’enthousiasme Micheline.

Micheline et Régine viennent à la cantine plus d’une fois par semaine.

Pendant ce temps-là, en cuisine, on s’active à remplir les assiettes des mets préparés depuis sept heures du matin. Pour assurer le service, un chef et deux bénévoles sont aux fourneaux, et trois jeunes filles, en service civique, sont en salle. « On ne travaille qu’avec des légumes de saison, et locaux, explique Paul Alard, le cuisinier. Et pour la viande, on la choisit toujours hallal, car on a une clientèle mélangée. J’aime bien varier, travailler avec les épices. Je fais de l’asiatique, du couscous, de la paella… Mon objectif, c’est qu’on arrive à travailler avec un jardin d’insertion qui ne fait que du bio. On les voit cette semaine. »

En attendant, il cultive quelques tomates et aromates dans la cour de la cantine : thym sauvage, graines bio et de variétés libres de droits, essais d’épices exotiques. Et il s’amuse déjà en cuisine. Ce jour-là, la salade de tomates a « un peu de beurre de cacahuètes dans la sauce », glisse-t-il, le plat est un curry de poulet, le dessert un gâteau au chocolat parsemé de « sésame torréfié au sucre roux ». Avant d’arriver ici, Paul était manœuvre dans le bâtiment. « Dix ans à me bousiller le dos et les épaules, j’ai fait une dépression, je voulais me laisser vivre au RSA », raconte-t-il. Puis sa rencontre avec la Cantine et Étienne Kretzschmar, à qui il a confié adorer cuisiner, a changé la donne. Paul a tenu les fourneaux pendant un an et demi comme bénévole avant d’être embauché il y a six mois. « Maintenant, j’ai une occupation, plein de gens autour de moi qui aiment ce que je fais, Étienne m’a sorti de ma torpeur », se réjouit-il.

Dans le quartier, « tout a fermé »

À la table de nos heureuses retraitées, la conversation dévie sur Rochebelle. Danièle et Micheline se rendent compte qu’elles y ont toutes deux passé une partie de leur enfance, dans les années 1950. « Oh, il y avait des boutiques, des cafés, des restaurants, de l’animation ! » se remémorent-elles en chœur. Les familles de mineurs y vivaient, et ces derniers étaient plutôt bien payés. « Maintenant, le quartier se désertifie, regrette Danièle. Les maisons sont en mauvais état, pas entretenues. » « C’est encore un quartier où les gens se connaissent, mais la mairie nous a abandonnés, estime Micheline. C’est fleuri partout dans le centre-ville, mais pas ici. Ils nous ont refusé la navette pour aller au pôle culturel en haut du quartier, et les bus ne passent pas à cause des voitures garées. La dernière boulangerie a déménagé pour aller vers le centre-ville... » « J’ai donné ma voiture en arrivant ici, mais maintenant que tout a fermé, je le regrette », ajoute Régine. Rochebelle est ainsi devenu un quartier « politique de la ville », confirmant les difficultés sociales croissantes des dernières décennies.

Paul Alard, le cuisinier, et Magali, une bénévole qui vient tous les jours.

Mais la Cantine solidaire ne se laisse pas abattre pour autant. De petites initiatives fleurissent tout autour. Une « give box » — boîte à dons — a été installée à l’entrée. Une initiative, soutenue par la cantine, est lancée avec les habitants du quartier pour éviter la fermeture de la dernière épicerie de jour du faubourg, alors que le propriétaire part à la retraite. Un second local, la Boutique solidaire, accueille des postes informatiques à disposition des habitants, des livres, des ateliers (nutrition, Repair café), des activités de quartier, ou encore les réunions du groupe Colibris. « Des liens se créent, observe Mary-Annick Raffault, qui fait aussi partie du groupe de citoyens écolos. Par exemple, l’an dernier avec les Colibris, nous avions invité François Rouillay, qui a lancé les Incroyables comestibles en France. Le jour suivant, à la cantine, tout le monde ne parlait que de cela. Un groupe s’est monté et nous avons maintenant six bacs cultivés, fabriqués par les habitants, et installés dans une rue voisine. Avec la Cantine, on sème des graines », espère-t-elle.

Mary-Annick Raffault dans la Boutique solidaire.

Reporterre vous invite à l’apéro, à la Boutique solidaire !

Rendez-vous à 18 h, mercredi 14 juin, au 5, rue du faubourg de Rochebelle, 30100 Alès.

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