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EntretienPolitique

« Absente à l’Assemblée nationale, l’opposition va s’exprimer dans la rue »

Le premier tour des élections législatives a vu déferler la vague de la République en marche, noyant la gauche et l’écologie. Celle-là reste cependant bien vivante au sein des luttes comme Notre-Dame-des-Landes et Bure et elle sera centrale dans la recomposition de la gauche, selon le politologue Simon Persico.

Politologue spécialiste des partis et des politiques environnementales, Simon Persico est chercheur associé au Centre Emile Durkheim, à Sciences Po Bordeaux.

Simon Persico.


Reporterre — Ces élections législatives marquent une défaite historique des socialistes (7,44 % des suffrages), et de leurs alliés d’Europe Écologie-Les Verts (4,30 %). Comment l’expliquez-vous ?

Simon Persico — La raison principale tient à l’énorme dynamique d’En Marche : porté par la victoire à la présidentielle, le mouvement réalise des scores phénoménaux. Des inconnus macronistes supplantent des poids lourds, de gauche comme de droite. Si on ne prend que les circonscriptions où des candidats de la République en marche (REM) étaient présents, ils dépassent 35 % des suffrages, soit un bond de plus de 10 points des suffrages exprimés par rapport au premier tour de la présidentielle. Et le second tour, dimanche 18 juin, va accentuer cette déferlante, car le positionnement centriste de Macron permettra à ses candidats de faire le plein des voix, à gauche et à droite. Les élections législatives sont plus que jamais des scrutins de confirmation et d’amplification. L’Assemblée nationale sera unicolore, sans contre-pouvoir, et c’est inquiétant. Car sans opposition forte, sans débats, les décisions prises sont moins bien acceptées par la population. À cette domination institutionnelle correspondra une recrudescence des mobilisations, qui étaient déjà très vives lors du mandat précédent. Absente du Palais-Bourbon, l’opposition va se passer dans la rue.


L’abstention n’est-elle pas également un facteur de la défaite des socialistes et écologistes ?

L’abstention n’est pas tant la cause que la conséquence de la faible dynamique de la gauche. Elle en est un symptôme plus qu’une raison. Bien entendu, cela pose la question de la légitimité du régime de la Ve République : un homme qui a fait 24 % au premier tour de la présidentielle et dont les députés sont élus dans un contexte d’abstention majoritaire se retrouve avec une très large majorité absolue de députés...


Ces élections — présidentielles et législatives — ont vu l’effondrement de l’alliance EELV-PS autour de la candidature Hamon, pourtant portée au départ par une belle dynamique. Quand a eu lieu le décrochage ?

La dynamique Hamon-Jadot s’est effondrée dès que Jean-Luc Mélenchon a fermé la porte à toute alliance. Face à cette décision, Benoît Hamon n’avait d’autre choix que de doubler la France insoumise, en attirant à lui ses électeurs. Mais il est resté socialiste dans ses gènes : au lieu d’affirmer sa rupture d’avec le PS d’Hollande et de Valls, il a voulu ménager la chèvre et le chou, ouvrir ses bras le plus grand possible, ce qui a rebuté les sympathisants de Mélenchon, et n’a pas empêché la droite du PS de l’abandonner. Pour Hamon, c’était le supplice chinois. Chaque jour, on annonçait le départ d’un notable socialiste vers Macron. Cela a donné une image de candidat de plus en plus isolé. L’inverse de l’image de rassemblement qui était nécessaire.


D’un autre côté, la stratégie de la France insoumise — constituer un mouvement en dehors des partis, ne pas construire d’alliances avec d’autres partis de gauche — a permis à la gauche écologiste de faire un score remarquable aux présidentielles.

C’était une bonne stratégie pour la présidentielle, qui aboutit à un très bon résultat, mais la logique jusqu’au-boutiste se révèle contre-productive aux législatives. À part avec Ruffin et Attard, il n’y a eu aucune alliance, même avec des candidats « compatibles », comme Damien Carême à Grande-Synthe ou Julien Bayou à Paris. Et cela a un prix en termes de dynamique de campagne. Des candidatures uniques auraient pu instaurer une dynamique plus positive, et mener à la victoire dans un nombre sans doute plus élevé de circonscriptions.

À l"exception d’Isabelle Attard et de François Ruffin, dont voici le local de campagne, la France insoumise n’a conclu aucun alliance.

Au lieu de cela, le second tour des législatives va être cruel pour les candidats insoumis, car il y a peu de circonscriptions où ils se trouvent dans une position d’avance confortable. Bien sûr la France insoumise sera la première force d’opposition de gauche dans la prochaine mandature, bien sûr, ils parviendront sans doute à former un groupe parlementaire, mais Mélenchon divise par 1,8 son score de la présidentielle ! Comme en 2012, il a changé de l’or en pas grand-chose.


Vous avez montré par vos recherches que l’écologie est un marqueur de gauche. Pourtant, l’arrivée de Nicolas Hulot au gouvernement et son soutien aux candidats d’En Marche brouille les pistes... L’écologie est-elle compatible avec la République en marche ?

Tout dépendra de la capacité de Hulot à tenir une forme de rapport de force vis-à-vis de deux ennemis de l’écologie : ses camarades du gouvernement hostiles à l’environnement d’une part, et d’autre part, les hauts fonctionnaires qui accompagnent le gouvernement, dont tout indique qu’ils ne sont pas favorables à l’écologie. S’il décide de faire dans le consensuel, comme l’avait fait Nicolas Sarkozy lors du Grenelle de l’environnement, ça peut marcher d’un point de vue de la communication. Il sauvera la face avec des mesures symboliques, mais rien ne changera dans le fond. Il peut aussi décider d’aller au rapport de force, sur la fermeture des centrales ou l’abandon de Notre-Dame-des-Landes, mais c’est peu plausible, sauf s’il se sent soutenu par des dynamiques de terrain.


L’arrivée de Nicolas Hulot au gouvernement est un coup politique de la part de Macron, mais elle pourrait aussi marquer une volonté de faire avancer la cause de l’écologie.

Évidemment. Emmanuel Macron n’a fait montre ni d’hostilité ni de sympathie envers l’écologie. Comme pour les autres enjeux, il a lancé des signaux contradictoires. Mais pour le coup, en mettant Nicolas Hulot à cette position, il envoie un signal fort. Il existe donc une marge de manœuvre pour Hulot. Mais cette marge de manœuvre dépendra aussi de la réaction du chef de l’État, qui ne me paraît pas convaincu de la nécessité de changer les modes de production et de consommation, ce qui constitue le cœur de l’écologie politique. Au contraire, son programme vise à relancer la croissance.

Nicolas Hulot en mars 2017.


L’écologie sera donc certainement absente du gouvernement et de l’Assemblée. Où sera-t-elle ?

D’un point de vue institutionnel, elle reste représentée dans les collectivités locales et à l’échelle européenne. Mais il est vrai qu’EELV, le principal parti écologiste, s’est considérablement affaibli. Cela dit, il y aura des élections européennes en 2019, et municipales en 2020, qui pourront être l’occasion de créer des dynamiques d’alliance et de recomposition à gauche.

Et surtout, l’écologie sera présente dans les mobilisations, qui pourraient connaître une recrudescence. De même qu’entre 2012 et 2017, l’actualité écolo s’est aussi largement faite sur le terrain, à Sivens, à Notre-Dame-des-Landes, à Bure. C’est d’ailleurs la voie à suivre pour reconstituer un mouvement de l’écologie politique : les organisations doivent retisser les liens avec leur base, s’ancrer. Les Verts ont souffert de leur éloignement des mouvements sociaux et des principales associations. Pour renaître, le mouvement de l’écologie politique doit se reconstruire, puiser des forces, une dynamique là où elle est, c’est-à-dire dans les luttes de territoire.


L’écologie peut-elle servir de socle à la reconstruction de la gauche ?

L’écologie en tant qu’idéologie va être centrale dans la recomposition. La convergence des discours d’Hamon, de Mélenchon et de Jadot se fait autour de l’écologie. Tous ont intégré cette prise de conscience environnementale, au point de modifier le discours de politique économique. La pensée sur la nature vient transformer leur vision de l’économie. C’est un ferment de rassemblement fort, et cela les différencie d’Emmanuel Macron, qui n’a pas du tout opéré cette transformation et continue de voir l’environnement comme une politique sectorielle.

Ensuite, la recomposition passe par des alliances. Je ne parle pas de coller des logos les uns à côté des autres, mais d’une forme d’union autour d’un programme écosocialiste. Cela passera sans doute par un renouvellement organisationnel qui permette à toutes les composantes de cette gauche écologiste de se retrouver. Il n’y a pas de recette magique, pas de modèle à suivre. L’Europe nous livre plusieurs exemples : un mouvement citoyen qui s’institutionnalise avec Podemos en Espagne, un parti qui se transforme en interne, avec le Labour de Corbyn, en Angleterre. Les élections européennes de 2019 peuvent être favorables à une dynamique collective. Mais une partie de la réponse viendra de la stratégie de la France insoumise, qui est aujourd’hui en position de force à gauche.

  • Propos recueillis par Lorène Lavocat (Reporterre)

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