Après les incendies de l’été, la rentrée inquiète des enfants canadiens

Au Canada, plus de 920 incendies étaient encore actifs en septembre 2023 (ici, le 11 septembre). - Twitter/BC Wildfire Service
Au Canada, plus de 920 incendies étaient encore actifs en septembre 2023 (ici, le 11 septembre). - Twitter/BC Wildfire Service
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Incendies MondeAu Canada, l’automne arrive, mais les feux de l’été brûlent encore. Parmi les 220 000 personnes évacuées, les écoliers sont rentrés en classe, comme si de rien n’était ou presque.
Montréal (Canada), correspondance
Les flammes n’étaient plus qu’à 5 kilomètres quand la famille Jan a décidé de quitter sa maison de Kelowna, la plus grande ville de la vallée de l’Okanagan, dans le sud-ouest du Canada. « C’est pas facile à raconter. On est vite rentrés, on a pris nos sacs à dos, on a tout jeté dedans, on avait tous peur, raconte Paloma, 14 ans, qui tentait de rassurer son frère Noah, 10 ans. Il ne comprenait pas tout ce qui se passait. » Elle ne ratait rien de l’évolution des feux. « J’envoyais des messages à mes amis qui étaient dans la zone concernée par les incendies. »
Voyant la fumée approcher, le père, Ludovic, est monté seul quelques centaines de mètres au-dessus de la maison, pour apercevoir le brasier. Le temps de prendre une photo. Il y est retourné, accompagné de ses enfants, pour leur montrer ce qui approchait. « Ça s’étendait comme une traînée de poudre, on s’est dit qu’on était les prochains. On voulait que les enfants comprennent », explique Ludovic Jan.

Moins de deux semaines plus tard, voilà Paloma de retour à son école. « Elle est arrivée très vite, la rentrée, se désole la jeune fille. On n’en parle pas beaucoup maintenant, entre nous, c’est comme si c’était parti. Les professeurs non plus. J’arrive à penser à autre chose, maintenant. » Pourtant, les flammes continuent de menacer la région, où près de 200 résidences ont déjà été détruites. Dans tout le pays, plus de 920 feux sont encore actifs.

Ludovic Jan, qui fait partie du conseil d’administration du Centre culturel francophone de l’Okanagan, estime que ses enfants tiennent le choc. « Ils m’ont vu prendre en photo toutes les pièces de la maison, je leur ai dit qu’on ne savait pas ce qui allait se passer. Il y a eu des larmes versées. C’est l’incertitude qui était difficile. Ils trouvaient ça triste de voir la montagne brûler, aussi. »
Et d’ajouter : « Nos enfants, on ne leur cache rien, on essaie de les préparer à la vie en général. Nous, on nous parlait du réchauffement climatique. Eux, ils le vivent en direct. »
« À la rentrée, on n’a pas voulu insister sur tout ça »
De l’autre côté du pays, au Québec, plus de 5 millions d’hectares ont brûlé cette année. À Lebel-sur-Quévillon, en Abitibi-Témiscamingue, dans le nord-ouest de la province, les habitants ont dû quitter leur maison deux fois. Une première évacuation le 2 juin, un retour le 18. Puis, ils ont été sommés de quitter à nouveau leur logis quatre jours plus tard.
À l’école primaire du village, le directeur Steeve Paquette s’attend donc à une année différente, même si la vie a repris son cours. « On a perdu un mois de vie normale, en fait. Mais à la rentrée, on n’a pas voulu insister sur tout ça. » Nathalie, une mère d’élève de Lebel-sur-Quévillon, raconte que le feu n’a pas été abordé à l’école de ses enfants depuis leur retour en classe. « On passe à autre chose, je pense. »
« Des enfants qui avaient peur de ne pas s’en sortir, purement et simplement »
Ce qui risque d’avoir marqué les enfants, songe Steeve Paquette, ce sont les circonstances de la première évacuation. « Pendant 1 h 30, la sirène de la caserne de pompier hurlait, les enfants ont réagi très fort, il y a eu beaucoup de pleurs, de cris. Ils avaient peur de ne pas s’en sortir, purement et simplement. »
Un plan avait été mis sur pied le 18 juin : une cellule de crise à l’école pour faciliter le retour des élèves, avec des psychologues sur place. « Malheureusement, la seconde évacuation n’a pas permis de l’activer. Ensuite, de fin juillet à fin août, on se dit que les gens avaient eu le temps de digérer. » À la rentrée, il a vu les enfants sauter dans les bras de leurs enseignants. « La séparation a été trop longue. Il y avait beaucoup d’émotion. »

« L’enseignant doit être à l’affût »
Il faudra surveiller longtemps les signes de stress post-traumatique chez les enfants, d’après Karine Gauthier, présidente de la Coalition des psychologues du réseau public québécois : « L’évacuation a créé un sentiment de perte de contrôle et beaucoup d’enfants ne vont pas verbaliser. Les symptômes peuvent se déclencher plusieurs mois après. Mais il ne faut pas généraliser, beaucoup iront bien. »
L’irritabilité, par exemple, peut-être un signe à ne pas négliger. Des jeunes vont aussi revivre l’événement sans le vouloir, sous forme de flash-back. « L’enseignant doit être à l’affût, mais ça ne sera pas une bonne idée de lancer de grandes discussions là-dessus en classe, explique la psychologue et neuropsychologue. Cela peut déclencher, chez un enfant qui a bien vécu l’événement, quelque chose de négatif. »
Il faudra aussi être sensible aux signes d’évitement. « Si un petit qui aimait faire cuire des guimauves sur un feu de camp ne veut plus le faire, il faut le noter, précise Karine Gauthier. Il ne va pas dire ce qu’il ressent, mais le vivre. Et il ne faudra pas lui dire : “Mais voyons, c’est juste un feu !”. » Le premier mois qui suit un événement traumatisant, il est normal d’observer des symptômes, puis d’aller ensuite chercher de l’aide, estime-t-elle. Les écoliers canadiens seront donc surveillés avec attention pendant encore quelque temps.