Tribune — Grands projets inutiles
Auchan et Europacity veulent pomper les finances publiques

Durée de lecture : 6 minutes
Grands projets inutilesCe jeudi 17 mars va se dérouler la première réunion publique sur le projet du parc de loisirs géant EuropaCity à Gonesse, au nord de Paris. L’auteur de cette lettre ouverte interpelle Christophe Dalstein, le directeur d’EuropaCity, sur les « conséquences néfastes pour les finances publiques et le développement économique régional » de ce type de structures commerciales.
Mounir Satouri préside le groupe Europe écologie-Les Verts et apparentés au conseil régional d’Île-de-France.

Monsieur Dalstein,
Non, je n’irai pas déjeuner à votre table !
Depuis 2012, vous me sollicitez régulièrement pour un entretien afin de me présenter tous les bienfaits de votre hyperstructure EuropaCity. Sachez que je connais bien votre projet et que je suis ses évolutions de très près.
Je ne m’étendrai pas sur toutes les réserves qui ont été soulevées par l’Autorité environnementale (AE) dans son rapport 2015-103 et qui confirment tous les risques que les écologistes pointent depuis plusieurs années. Inutile de rappeler ici toutes les menaces qui pèsent sur les terres agricoles et sur l’environnement. Je note toutefois que vous ne faites pas publicité de ce rapport fondamental de l’AE sur votre site Internet. Pas plus que vous ne semblez avoir lu nos articles et publications.
Avec force lobbyistes, vous ne manquez pas de parer votre projet de tous les atours de l’écologie. Le prix Pinocchio qui a été décerné à Immochan [1] en 2012 par l’association les Amis de la Terre pour pointer toutes les prouesses de greenwashing du projet EuropaCity est édifiant.
Vous pourrez répéter à l’infini que votre projet est « écoresponsable », il n’en restera pas moins dogmatique et dépassé puisqu’il induit la perte définitive de terres arables et naturelles. L’écoresponsabilité n’est pas une étiquette que l’on colle et décolle à souhait. Revoir votre copie, comme vous venez de le proposer, ne pourra suffire.
La « bulle des centres commerciaux en Île-de-France »
Mais je préfère, dans la présente, me concentrer sur les aspects économiques de votre projet, de ses conséquences néfastes pour les finances publiques et pour le développement économique de notre région.
Comme le rappelle l’Assemblée des communautés de France [une association de collectivités locales], le nombre de surfaces commerciales en France augmente de 3 % en moyenne annuelle depuis 10 ans, tandis que la consommation augmente au rythme moins soutenu de 1 %. Il en résulte une augmentation significative des surfaces commerciales vacantes qui pèse sur leur soutenabilité économique. De nombreux analystes commencent à évoquer le risque de l’éclatement d’une « bulle des centres commerciaux en Île-de-France » [2] et d’investissements moins rentables. Ainsi, vous-même ne devriez pas solliciter de subventions publiques pour EuropaCity et les infrastructures qui permettraient d’y accéder si vous croyiez sincèrement en la rentabilité financière de votre opération.
Je vois là une première prédation sur les finances publiques, qui devrait permettre à votre groupe d’amoindrir ses risques financiers grâce aux deniers publics. Ce n’est pas la seule prédation, loin s’en faut.

Le nombre de commerces de proximité a été implacablement réduit en à peine 50 ans (- 50 % sur toute la France) par le nombre croissant de ce type d’hyper-centres commerciaux. Cette question, soulevée aussi par l’AE et les associations de Gonesse, n’a jamais été étudiée sérieusement par le cabinet Sémaphore que vous avez sollicité et qui ne s’attache qu’à la création brute d’emplois en occultant l’impact sur ceux déjà existants.
S’il n’existe pas, en France, d’étude officielle complète sur le sujet, il existe toute une littérature étrangère et des témoignages éclairants : à moyen terme (environ cinq années), les petits commerces commencent à être en difficulté et, par là même, leurs gérants. Pour compenser leurs pertes, les commerçants puisent inévitablement dans leurs fonds propres et boivent le calice que vous leur avez rempli jusqu’à la lie ; jusqu’à la ruine.
C’est là que se trouve la deuxième prédation de votre modèle sur les finances publiques. In fine, la puissance publique récupère la lourde tâche de soutenir ces petits commerçants détruits par vos grands centres commerciaux.
« Et vous, la vie, vous l’aimez comment ? »
D’aucuns pourraient croire que vous contribuez par l’impôt à cette solidarité… Mais, pour une troisième fois, votre modèle prédateur s’abat sur les finances publiques.
Au risque d’imprécision concernant le groupe Immochan, je vous renvoie aux multiples études indépendantes et reportages d’investigations qui démontrent qu’une immense part des revenus générés par les activités foncières et commerciales de ce type échappent à l’impôt par des montages d’optimisation fiscale. Il semble même que 90 % des actionnaires des sociétés foncières qui interviennent dans les montages de projet comme celui d’EuropaCity vivent à l’étranger et échappent à l’impôt national.
Malheureusement, l’histoire ne s’arrête pas là. En témoigne le nombre croissant de friches commerciales laissées par votre modèle de gigantisme (plus de 7 % sur toute la France). Dans de trop nombreux cas, ces bâtiments désaffectés restent sur les bras des collectivités.
C’est là la quatrième prédation de votre modèle sur les finances publiques, qui doivent supporter les « déchets » de ce modèle économique.
Pour renforcer mon propos, je voudrais vous rappeler ceux de Philippe Petitprez, directeur stratégies urbaines et environnement d’Immochan France, votre collègue : « C’est inexorable, le sujet des friches commerciales va finir par arriver (…). Ce qui dessinera tôt ou tard une France à deux vitesses ! Et c’est avant que cela ne devienne vraiment sérieux qu’il faut anticiper avec les pouvoirs publics ! (…) Voilà une belle occasion de désurbaniser ce qui ne doit plus l’être. » De l’aveu même de votre collègue, l’avenir des centres commerciaux n’est pas si rose que votre propagande le laisse croire.

Je souhaite toutefois finir cette lettre par une note positive. Il existe en France de nombreuses initiatives qui démontrent jour après jour leur efficacité économique dans le respect de l’environnement et des générations futures. À Gonesse, l’enjeu étant celui des terres agricoles, je vous invite à vous intéresser à une initiative parmi d’autres : les Fermes d’avenir, un modèle de développement soutenable, créateur d’emploi et structurant pour une filière alimentaire locale.
Pour reprendre le slogan du groupe Auchan « Et vous, la vie, vous l’aimez comment ? » je répondrais simplement par « pleine de promesse pour l’avenir de mes enfants ». L’avenir que je souhaite n’est pas celui – bien sombre – que vous me proposez ; c’est pourquoi je suis au regret de décliner votre proposition de me rencontrer.
Cordialement.