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EntretienQuotidien

Béa Johnson : « On a adopté le Zéro déchet et la vie est meilleure »

Depuis la parution de son livre « Zéro Déchet », il y a quatre ans, Béa Johnson est devenue l’ambassadrice mondiale du mode de vie sans poubelle. Elle en explique les avantages : une fois le pas franchi, la vie change.

Native d’Avignon, Béa Johnson est partie en Californie pour vivre le rêve américain. Après avoir profité du consumérisme à l’états-unienne — une grande maison, une grosse cylindrée — sa famille et elle se sont tournées vers un mode de vie plus respectueux de l’environnement. Béa Johnson a d’abord raconté ses expériences sur son blog, Zero Waste Home, avant de consigner dans un livre son « mode d’emploi » pour passer au mode de vie « zéro déchet ». Publié en 2013, le livre est devenu un best-seller traduit dans plus de 40 langues.

Béa Johnson.

Reporterre — Vous donnez maintenant des conférences dans le monde entier… Avez-vous senti le regard changer sur le « zéro déchet » ?

Béa Johnson — Lorsqu’il y a eu un premier article sur nous dans le New York Times en 2010, on s’en est pris plein la figure avec les préjugés. Il n’y avait pas d’images dans l’article donc tout le monde s’est dit qu’on devait être des hippies poilus et décoiffés qui habitent en pleine cambrousse. En fait, ils ne savaient tout simplement pas ce que signifiait le mode de vie « zéro déchet ». Mais grâce au blog [Béa Johnson écrit en parallèle son blog, Zero Waste Home], grâce aux médias qui sont venus et qui ont montré comment on vivait, à quoi on ressemblait, à quoi ressemblaient nos placards, on a pu commencer à casser les a priori et à inspirer tout un tas de personnes. Beaucoup de gens se sont dit : « Waouh ! si c’est ça le mode de vie « zéro déchet », nous aussi on veut le faire. »



Qu’est-ce qui a changé depuis la sortie de votre livre ?

Le mouvement a explosé, surtout dans les pays francophones. En France, en Suisse romande ou en Wallonie (Belgique), sans oublier le Québec. Je pense que c’est surtout dû au fait que, dans les pays francophones, il y a cette appétence pour les plaisirs simples, pour la nourriture. On aime avoir un contact avec ce que l’on mange, ce qui va de pair avec la volonté d’éliminer les emballages en achetant en vrac. Des magasins de vrac s’ouvrent d’ailleurs partout dans le monde. En Suisse, un couple de Français a décidé, après avoir lu mon livre, d’ouvrir un magasin de vrac. C’était il y a un an, maintenant, ils en ont neuf !



Et aux États-Unis, là où vous vivez ?

Là-bas, le mouvement est très lent. Je pense que les gens ont peur. Même si le mode de vie les interpelle, ils ne vont pas nécessairement s’impliquer parce que le consumérisme est très ancré dans la culture états-unienne. Les gens ont peur du qu’en-dira-t-on s’ils n’ont pas le dernier gadget. Et ils ont peur d’acheter d’occasion… en résumé, ils ont peur de la vie simple sur laquelle se repose le mode de vie « zéro déchet ».



Vous donnez aussi des conférences dans des pays du Sud ?

Oui, cela m’est arrivé, comme au Brésil. Ces pays, en se développant, cherchent à copier l’image des États-Unis. Mon message était : « Nous nous sommes plantés et nous essayons de défaire ce que nous avons fait, ne faites pas la même erreur. » Les déchets sont un problème de riches, car ils sont reliés à la consommation. Cette problématique est différente dans les pays moins développés : là, la question ne sera pas de gérer la quantité de déchets mais de pouvoir ramasser les déchets.



Depuis que vous donnez des conférences partout dans le monde, comment arrivez-vous à rester « zéro déchet » ?

Ce n’est pas du tout compliqué. Je voyage toujours avec mon savon solide, que j’utilise de la tête aux pieds quand je suis à l’hôtel, pour ne pas utiliser les échantillons. Pour la nourriture, je sors, je choisis mes restaurants… Je voyage aussi toujours avec un thermos et un sac en tissu. J’utilise le thermos pour toute boisson et le sac en tissu pour un croissant, un sandwich ou des fruits. Je refuse le repas dans l’avion : je mange avant de prendre l’avion… et une fois arrivée.



Les marques s’appuient-elles sur votre expérience ?

Oui, il m’est arrivé de travailler pour de grosses entreprises, comme Ikea ou Nestlé Eau pour donner mon point de vue sur des produits supposés faciliter le « zéro déchet », déjà mis sur le marché ou sur le point de l’être. Mais elles ne communiquent pas sur le sujet parce qu’elles savent très bien que leur produit en lui-même n’est pas durable et qu’elles vont s’en prendre plein la figure en s’affichant pour le développement durable. De mon point de vue, les marques ont tout intérêt à s’adapter au mode de vie « zéro déchet ». Dans le cas d’Ikea, j’ai proposé plusieurs matières sur lesquelles ils pourraient se concentrer — des matières plus durables que le plastique, bien sûr. Du côté de l’agroalimentaire, les supermarchés proposent de plus en plus de vrac car ils s’aperçoivent qu’il y a un énorme intérêt pour le sujet.



Est-ce au consommateur ou aux enseignes d’impulser ce changement ?
J’estime qu’acheter, c’est voter. Si l’on achète sa nourriture en emballage, c’est une façon de voter pour l’emballage. Tout un tas de gens se disent : « Ce n’est pas à moi de changer les choses, c’est aux politiques ou aux fabricants. » Sauf que le fabricant ne fabrique que ce que le consommateur achète. Et justement, plus on achète en vrac, plus il se développera.



Quelle est la responsabilité des politiques ?
Ils peuvent faciliter le « zéro déchet », par exemple en mettant en place un programme de récupération de compost pour ceux qui ne veulent pas avoir un lombricomposteur dans leur cuisine. Mais la politique, ce n’est pas vraiment mon sujet. Mon discours cible les consommateurs.

« Ce mode de vie appartient à tout le monde »



Mais cette volonté de réduction de son impact environnemental est un acte politique ! Diriez-vous que le « zéro déchet » est classé à gauche ?

C’est marrant, ce sont des questions que seuls les Français me posent ! On me parle beaucoup de politique en France mais moi, j’estime que ce mode de vie appartient à tout le monde. Nous avons adopté ce mode de vie pour des raisons environnementales, mais si on s’y tient, ce n’est pas pour des raisons politiques ou militantes. C’est tout simplement parce qu’on a découvert une vie meilleure, point barre.



Justement, ce qui est intéressant, c’est le fait qu’adopter ce mode de vie semble être un aller sans retour.

C’est un peu comme dans Matrix : dans le film, Neo a le choix entre la pilule bleue pour oublier qu’un monde alternatif existe et la pilule rouge pour s’y lancer plein pot. Il choisit la pilule rouge et se retrouve dans ce monde alternatif où il ne sait pas se défendre. Pour nous, c’est un peu pareil. On savait qu’on pouvait faire les choses mieux, mais on n’avait pas les solutions. Il a fallu qu’on teste tout un tas de choses, qu’on teste des extrêmes, mais au fur et à mesure, on est devenu plus fort. On a su se battre dans ce monde alternatif et maintenant on est à un niveau où on a les solutions, on est roi de notre domaine. Une fois que vous avez touché à ces économies d’argent et de temps, comment retourner en arrière ?



Vous dites que vous avez testé beaucoup de choses… parmi lesquelles, faire beaucoup de produits vous-même. Mais selon vous, ce n’est pas la bonne solution…

Beaucoup de blogs se lancent dans un « tout fait maison », comme j’ai pu le faire au début de ma transition. Mais le « zéro déchet », ne signifie pas tout faire soi-même ! C’est un peu ce que je regrette dans le livre de la Famille « zéro déchet » : on nous propose tout un tas de recettes complètement inutiles, pour laver les vitres, les toilettes, etc. Sauf que chez moi, pour nettoyer la maison de fond en comble on utilise du vinaigre blanc, point barre ! Tous ces blogs font peur à ceux qui travaillent à temps plein et qui se disent qu’ils ne pourront pas passer au « zéro déchet » car ils n’auront pas le temps d’appliquer toutes ces recettes. D’autant plus qu’en France, des magasins de vrac proposent maintenant de la lessive ou du liquide vaisselle en vrac.



Passer au « zéro déchet » veut-il automatiquement dire « mieux manger » ?

C’est obligatoire. Lorsque vous achetez en vrac, vous allez éliminer les produits surtransformés, qui sont aussi les produits emballés. D’emblée, votre nourriture devient plus saine et est basée sur des produits plus entiers, plus simples… et on retrouve le vrai goût des aliments. D’ailleurs, je me suis aperçue que je parvenais maintenant à distinguer le goût de l’emballage — par exemple, sur un plateau de fromages, s’il m’arrive de prendre le morceau qui était collé au papier d’emballage.



Cela fait maintenant sept ans que vous êtes 100 % « zéro déchet »…

Au fur et à mesure de ces années, on a pu s’apercevoir des avantages du mode de vie « zéro déchet ». Au départ, vous n’allez pas remarquer les économies de temps parce qu’au début, se désencombrer prend du temps… même savoir dire non prend du temps. On a l’habitude de toujours dire oui à ce qui nous est tendu. Passer chaque tiroir en revue, chaque pièce, pour mettre en place des produits réutilisables, mettre en place des alternatives… Ce n’est qu’une fois que tout cela devient automatique que l’on peut gagner du temps. Par exemple, pour les courses : on va directement aux produits qui nous sont essentiels, on ne passe plus de temps dans les allées centrales. Si tout le monde adoptait ce mode de vie zéro déchet, la société serait fondée sur le verbe être plutôt qu’avoir et cela résoudrait bien des problèmes.

  • Propos recueillis par Martin Cadoret

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