Cigéo : l’enquête publique débute sur fond de contestations et de blocages

Les couloirs du centre industriel de stockage de déchets radioactifs dit Cigéo, à Bure (Meuse), fin 2018. - © Lorène Lavocat/Reporterre
Les couloirs du centre industriel de stockage de déchets radioactifs dit Cigéo, à Bure (Meuse), fin 2018. - © Lorène Lavocat/Reporterre
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Déchets nucléairesAlors que débute ce 15 septembre l’enquête publique pour la demande d’utilité publique du projet Cigéo, le centre de stockage des déchets radioactifs à Bure, les opposants organisent quatre jours de mobilisation pour dénoncer une « grande duperie ».
L’enquête publique préalable à la déclaration d’utilité publique (DUP) du projet Cigéo, le Centre de stockage en couche géologique profonde à Bure (Meuse), commence ce mercredi 15 septembre et s’achèvera le samedi 23 octobre. L’enjeu est de taille : « Le public a pu participer à de nombreuses concertations conduites par l’Andra [Agence nationale pour la gestion des déchets radioactifs] et par la Commission nationale du débat public. Aujourd’hui, nous ne sommes plus dans la construction du projet, mais dans sa phase finale : il s’agit de le valider ou de ne pas le valider », a expliqué le président de la commission d’enquête Claude Bastien, retraité, lors d’un point presse à Bar-le-Duc (Meuse) et en ligne mardi 14 septembre.
Le projet à l’étude consiste à enfouir à 500 mètres sous terre quelque 83 000 mètres cubes de déchets nucléaires d’une dangerosité extrême. Certains d’entre eux resteront radioactifs des centaines de milliers d’années. La déclaration d’utilité publique est une étape d’une importance cruciale pour l’Andra, qui travaille sur ce projet depuis le début des années 1990 : elle doit permettre à l’État d’acquérir les dernières parcelles privées nécessaires à la construction de cet ouvrage, en expropriant leurs propriétaires au besoin. D’après M. Bastien, « il reste à l’État une bonne centaine d’hectares à acquérir, pour environ 700 hectares déjà acquis ».
Concrètement, pendant la durée de l’enquête publique, organisée par les préfectures de la Meuse et de la Haute-Marne, les habitants des onze communes [1] concernées par le projet sont invités à livrer leurs observations et propositions sur un registre numérique, par courriel [2] ou par courrier postal [3]. Ils pourront également inscrire leurs remarques sur un registre lors de vingt-quatre permanences prévues [4] dans les mairies des communes concernées ou prendre rendez-vous pour participer à l’une des trois permanences téléphoniques. L’occasion aussi de consulter le dossier d’enquête publique [5], un pavé de quelque 3 000 pages élaboré par l’Andra, maître d’ouvrage du projet.

Une « grande DUPerie »
Rien n’est joué d’avance, a assuré M. Bastien. « C’est un dossier complexe. On ne prendra parti qu’à la fin de l’enquête, sur la base des observations recueillies, et après avoir pris connaissance du mémoire en réponse de l’Andra au rapport de l’Autorité environnementale. » En janvier dernier, l’Autorité environnementale avait livré un avis très critique sur le projet d’enfouissement des déchets nucléaires, remettant en question jusqu’à ses fondements — choix du mode de stockage compris.
Les opposants à Cigéo, eux, dénoncent une « grande DUPerie ». « Nous ne voulons plus dialoguer avec celles et ceux qui, depuis trente ans, se sont assis sur nos craintes, nos oppositions et nos colères, quelle que soit la manière que nous avions de les formuler, dans des actions, dans des débats publics ou des tribunes, dans la rue ou dans des pétitions, dans une forêt occupée ou sous les dorures des cabinets ministériels », ont-ils écrit sur leur blog. « Par ailleurs, le gouvernement tente de faire déclarer Cigéo [comme une] opération d’intérêt national (OIN). Cette procédure retirerait aux élus locaux leurs compétences en matière d’urbanisme sur un périmètre donné, alertent-ils aussi dans un tract diffusé sur Facebook. Derrière cet acronyme se cache une opération qui permettrait à l’État [...] de délivrer parallèlement des autorisations de construire en lieu et place des acteurs locaux. »
Les opposants à l’enfouissement des déchets nucléaires ne digèrent pas non plus le revirement de la ministre de la Transition écologique, Barbara Pompili, sur ce projet. « Les objectifs politiques sont clairs : pour la ministre Barbara Pompili, il s’agit maintenant d’expédier cette enquête dans l’espoir d’en recevoir les conclusions en début d’année prochaine et de pouvoir promulguer l’utilité publique de Cigéo avant le mois de mars 2022. Au-delà de ce délai, le processus se trouverait stoppé net durant plusieurs mois par les élections présidentielles puis législatives », affirment ainsi « des habitantDijoncter.info.
e s du Sud Meuse » sur le site participatif d’information sur les luttes à Dijon et aux alentoursEn juillet 2015, alors coprésidente du groupe écologiste à l’Assemblée nationale, Barbara Pompili avait qualifié Cigéo d’« insupportable coup de force ». Elle a été rapporteure de la commission d’enquête parlementaire sur la sûreté et la sécurité des installations nucléaires qui, en juillet 2018, n’avait pas épargné Cigéo, relevant « des lacunes en matière de sûreté », « l’impossibilité de prouver la sûreté à long terme » et son « coût imprévisible ». Mais, devenue ministre, elle affirmait en mars dernier que Cigéo « irait à son terme » — même si la recherche concernant d’éventuelles alternatives continuerait.

Rassemblements et blocages
Quatre jours de mobilisation « Ni DUP ni DAC » à l’appel des Bure à cuire, de l’association Bure Stop et du Collectif contre l’enfouissement des déchets radioactifs (Cedra) sont donc d’ores et déjà prévus pour « empêcher cette enquête publique par tous les moyens » et « bloquer chacune des permanences prévues ». En effet, « pour que l’enquête publique soit jugée conforme aux dispositions légales, il faut que ces permanences se tiennent. C’est-à-dire, que les commissaires accèdent aux mairies, que le dossier et les registres y soient consultables (probablement en version électronique), que les créneaux horaires soient respectés, etc. », rappellent les opposants.
Ce mercredi 15 septembre, un grand rassemblement était donc prévu à 9 heures devant la mairie de Montiers-sur-Saulx pour la première permanence de l’enquête publique, suivi d’une déambulation « festive et informative » dans le village et d’un repas pris en commun à 12 heures. Jeudi 16 septembre, se succéderont à Mandres-en-Barrois un tractage dans le village et la préparation de la journée du lendemain à partir de 14 heures, une vente de légumes à prix libre à 18 heures, un spectacle de marionnettes à 19 heures, un repas à 19 h 30 et la projection du film Le dossier Plogoff par le Cinéma voyageur à 20 h 30 [6]. Rebelote avec un rassemblement vendredi 17 septembre à 9 heures devant la mairie de Bure et samedi 18 septembre à 9 heures devant la mairie de Gondrecourt-le-Château pendant les permanences de l’enquête publique suivantes. Un rassemblement est également prévu de 17 à 19 heures à Gondrecourt-le-Château pendant l’unique réunion d’information organisée par l’Andra.
Cette mobilisation est une nouvelle étape d’une contestation qui ne faiblit pas, malgré une intense répression policière. Plusieurs centaines de personnes ont participé au camp antinucléaire des Rayonnantes du 16 au 26 août à Luméville-en-Ornois (Meuse). Point d’orgue de l’événement, la marche du samedi 21 août entre Horville-en-Ornois de Gondrecourt avait rassemblé plusieurs centaines de personnes.