Climat : l’action individuelle ne peut pas tout

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L’influence des « petits gestes » sur la baisse des émissions de CO2 n’est pas anodine, mais l’action individuelle se cogne à un plafond de verre. Selon une étude, seuls des leviers collectifs peuvent réellement faire la différence, et l’État et les entreprises sont des acteurs clés des profondes transformations nécessaires.
Le colibri ne pourra pas, à lui tout seul, éteindre l’incendie. Pour lutter contre le réchauffement climatique et les émissions de gaz à effet de serre, « faire sa part » est « indispensable mais largement insuffisant ». C’est ce que révèle, chiffres à l’appui, une étude du cabinet de conseil Carbone 4 qui revient sur le rôle et la responsabilité des citoyens, des entreprises et de l’État face à l’urgence climatique.
Le débat agite depuis longtemps les adeptes des écogestes et les partisans d’une transformation plus globale. Mais l’étude apporte des données quantitatives intéressantes. Pour elle, il faut mener le combat « sur tous les fronts » et remettre en cause « le système socio-technique » qui encage l’individu dans un mode de vie carboné.
Plusieurs éléments clés ressortent de ce travail. Selon ses calculs :
- « L’impact probable des changements de comportement individuel pourrait stagner autour de 5 à 10 % de baisse de l’empreinte carbone ».
- Si un Français actionne l’ensemble des leviers à l’échelle individuelle en adoptant un « comportement héroïque », il réduirait son empreinte carbone de 25 %.
« Une part non négligeable », qui ne permettrait cependant pas de respecter l’objectif de la COP 21. L’accord de Paris affirme que pour rester en dessous de la hausse de la température de deux degrés, il faudrait réduire de 80 % les émissions actuelles.

« Nous étions exaspérés par la suresponsabilisation des individus »
L’empreinte carbone moyenne d’un Français s’élève à 10,8 tonnes de CO2 par an. Or, par ses gestes individuels, un Français réduirait son empreinte uniquement de 2,8 tonnes chaque année. L’ascèse généralisée et volontaire ne peut pas être l’unique solution. D’autant plus qu’il faut, comme le note l’étude, prendre en compte la mauvaise volonté de certains récalcitrants.
« En France, on peut considérer que seuls 20 % des individus sont "moteurs" sur les sujets climat, 60 % plutôt "variables" sur la question et 20 % carrément réfractaires à toute injonction au changement sur les questions environnementales, écrivent les auteurs. Pour gagner la bataille, il faut transcender le seul maillon individuel et accéder à un niveau collectif d’actions », affirment-ils.

César Dugast, un des rédacteurs, explique la genèse de l’étude en mars 2019 : « Nous étions exaspérés par la suresponsabilisation des individus à qui on faisait porter tout le poids de la lutte contre le changement climatique. »
Cette « injonction à l’écocitoyenneté » se retrouvait partout. Dans le discours médiatique autant que chez les politiques. Au même moment, lors du grand débat national, face à de jeunes adolescents, Emmanuel Macron déclarait que « la solution au réchauffement climatique, c’est d’abord chacune et chacun d’entre nous. Quand tu décides de ramasser tes déchets, de faire du tri et de consommer autrement pour améliorer la situation de la planète ».
Comme le dit Anna : la solution au réchauffement climatique, c’est d’abord chacune et chacun d’entre nous. pic.twitter.com/ietwctzHpl
— Emmanuel Macron (@EmmanuelMacron) March 7, 2019
« Croire que l’individu-consommateur serait tout puissant est une chimère », réplique César Dugast. La position inverse ne le convainc pas davantage. « Dire que tout reposerait sur le Système avec un grand "S", nourrit l’impuissance. » L’ingénieur de formation avait besoin « de connaître les bons ordres de grandeurs pour enrichir le débat, savoir qui peut agir où, et fixer des priorités ».
« Chaque individu est limité par l’environnement social et technologique dont il dépend »
Le cabinet fondé par Jean-Marc Jancovici a donc condensé les données existantes de la littérature scientifique et de l’Agence de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie, l’Ademe. Il a ensuite fait la liste d’une douzaine d’actions relevant de la seule volonté des individus, en agrégeant les petits gestes du quotidien et des changements de comportement plus ambitieux. On y retrouve le fait d’équiper son logement de lampes LED, de manger végétarien, de ne plus prendre l’avion, de pratiquer systématiquement le covoiturage, de baisser la température de son logement, de circuler à vélo pour des petits trajets, d’acheter d’occasion l’équipement électroménager et high tech, de limiter sa consommation de vêtement, de viser le zéro déchet...
« On ne prétend pas être exhaustifs mais on souhaitait dresser un panorama du champ d’action individuel, en chiffrant l’impact des écogestes les plus communs, ceux qui reviennent régulièrement dans le débat public », dit César Dugast.
Comme le montre le graphique ci-dessous, le changement de régime alimentaire est l’action qui aurait le plus d’effet. « Il représente à lui seul 10 % de baisse de l’empreinte, soit 40 % du total de la baisse maximale induite par les changements de comportements », observent les auteurs.

L’étude reconnaît néanmoins un biais méthodologique : « Le Français moyen n’existe pas. » Aucune distinction n’a été introduite en fonction des catégories socio-économiques ou du territoire. Un ouvrier en zone rurale ou un cadre vivant en centre-ville n’ont pourtant pas la même empreinte carbone.
Quoi qu’il en soit, l’action individuelle se confronte à un plafond de verre. La baisse qu’elle engendre atteint au mieux 25 % de l’empreinte carbone totale, estime l’étude. « Chaque individu est limité par l’environnement social et technologique dont il dépend » : « Utiliser davantage les transports en commun et avoir systématiquement recours au covoiturage sont des pratiques qui ont un impact indiscutable sur le total des émissions liées à nos déplacements (environ un tiers de moins sur le poste mobilité), notent les auteurs. Mais ces gestes ne supprimeront pas notre dépendance à un système de transports fonctionnant, que nous le voulions ou non, sur la base d’énergies toujours carbonées comme le diesel, l’essence, le kérosène ou le gaz naturel pour véhicule (GNV). » Pareil pour les entreprises, l’individu n’a pas d’impact sur leurs processus industriels, logistiques et techniques.
Des transformations plus profondes pour que l’État joue pleinement « son rôle de régulateur » sont nécessaires
Il est donc nécessaire d’agir sur des leviers plus collectifs. L’étude mentionne d’abord « les investissements » qui ne pourraient pas se faire sans le soutien de la puissance publique : une rénovation thermique d’ampleur des logements et l’aide à l’achat d’un véhicule bas carbone. Selon les chiffres collectés, l’activation conjointe de ces deux investissements réduirait l’empreinte carbone de deux tonnes de C02 par an, soit 20 %.
Mais c’est encore insuffisant. « Plus de la moitié du gisement de
réduction est en réalité aux mains des autres acteurs clés, les entreprises et l’État », relève l’étude. L’État, par ses infrastructures, dans le domaine notamment de la santé, de l’éducation et de la défense, est déjà responsable à lui seul, de 10 % de l’empreinte carbone du pays.

L’étude appelle donc à des transformations plus profondes pour que l’État joue pleinement « son rôle de régulateur » et « édicte des règles capables de réorienter les investissements dans des filières vertueuses ». Les entreprises devraient aussi « décarboner leurs chaînes de valeur », changer leur processus industriel, revoir leur rapport au fret de marchandises, leur stratégie d’approvisionnement énergétique, la politique d’achats ou le recyclage des biens...
Un horizon inatteignable si l’on se cantonne à de « petits pas ».